Cette saison, le metteur en scène pousse sa démarche de création au delà des frontières de la mise en espace, en passant directement une commande d’écriture à l’auteur Wajdi Mouawad. Une aventure théâtrale loin d’être anodine lorsqu’on mesure l’énorme pari engagé et le côté périlleux de l’entreprise : mettre en scène un texte dont il a toujours rêvé mais dont il n’aura finalement qu’une connaissance intégrale à son ultime délivrance, quelques semaines avant le première présentation du spectacle.
Pitoiset-Mouawad, une éventuelleincompatibilité artistique
Obligé par les délais d’écriture à anticiper sa mise en scène sur le texte, on sent que le spectacle de Dominique Pitoiset n’est pas abouti comme il le souhaiterait. Souvent confus, tâtonnant vers des registres non nécessaires voir incohérents, le résultat final tend plus vers l’expectative que vers la réelle surprise. Aux multiples interrogations posées par le texte répondent celles des spectateurs un peu hébétés par cette forme de représentation. Pourquoi traiter de manière extravagante, avec autant d’étalage incongru et un décalage certain entre le propos et la forme, des thèmes aussi fondamentaux que ceux de la foi, l’errance, la guerre, les origines… Des interrogations omniprésentes dans ce texte fleuve, à la prose oscillant entre le tragique d’Euripide et la contemporanéité multiculturelle de Wajdi Mouawad. Dès lors, la question se pose de la réelle complémentarité entre les deux hommes de théâtre. Si la création littéraire s’est déroulée entre complicité et friction semble-t-il, se rejoignant sur les questions philosophiques, le résultat final semble démontrer l’inverse. Seuls quelques rares moments permettent au texte de se fondre dans la mise en scène, pour le reste on assiste à un dialogue de sourd entre l’ultra modernisme de Dominique Pitoiset et la logorhée de Wajdi Mouawad. Le spectre des deux hommes flotte au dessus de la scène, empêtrant le plaisir de la représentation dans les travers de la démonstration.
Le Soleil ni la mort… un cadeau empoisonné?
A l’écoute de la pièce, ce que l’on ressent avant tout c’est l’empressement de l’auteur à dire le monde qu’il entrevoit et ses angoisses face à la destruction et à l’histoire qui se répète. Ses paroles sont celles d’un homme dans l’urgence, qui ne possède pas assez de vies pour interroger sa propre destinée et celle de l’humanité, mais qui possède les mots. Une profusion de mots, un débit vertigineux et entêtant qui laisse supposer que chaque phrase compte mais qui malheureusement est un énorme obstacle à la mise en scène. Enlisé dans ce marécage verbal, Dominique Pitoiset tente de s’en extraire, en demandant à ses comédiens de retrouver la spontanéité de la diction, quand bien même tout n’est qu’écriture. Comble de l’exercice, il doit faire face à plus d’une vingtaine de changements de lieux et à une multitude de personnages de tous âges. Comment alors affronter ces remparts pour traduire ce qu’il avait toujours imaginé représenter un jour: l’éveil de la conscience chez l’homme à travers la figure mythique d’Oedipe. Au delà d’un certain mauvais goût qui consiste à décrédibiliser les comédiens par une série de grimages en tous genres, ces derniers restent tout de même le ciment fondamental de la pièce. Ils ne sont que trois pour tenir à bout de bras durant plus de deux heures ce spectacle fourre tout, accompagnés régulièrement par le dessin, la marionnette et la musique. Une véritable performance, qui, si elle n’est pas toujours égale en fonction des rôles interprétés, à le mérite de tirer la pièce vers le haut et de la rendre plus audible. Rien n’est plus aisé que de tirer à bout portant sur Le Soleil ni la mort..maisil faut admettre que la tâche est ardue et que l’équipe fait de son mieux pour assurer la cadence. Recréer le destin de ces personnages vivant entre deux époques, saisir leurs origines et traduire leur langage n’est pas évident mais au moins en comprend-onl’intention. L’antiquité n’avait pas souhaité laisser de traces des destins de Cadmos, Laïos et Œdipe, peut être aurait-il fallu s’interroger plus longuement sur ce fait? Car finalement, le drame de cette pièce est peut être moins lié à sa mise en scène et à son texte qu’au fait d’avoir donné naissance à des personnages improbables, n’appartenant à aucune temporalité et qui aujourd’hui errent entre les lignes de la tragédie contemporaine.
Photo : Angelo Barsetti
Hélène Fiszpan
Jusqu’au 05 juin au TnBA
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