De son escale au pays du Soleil Levant, Aurélien Bory a rapporté un jeu grandeur nature, le tangram et un spectacle tout à fait atypique aux mille combinaisons mathématiques déroutantes et envoûtantes.
Un parcours exemplaire
Il n’était pas évident pour Aurélien Bory de faire son grand retour sur scène après les enthousiasmants « Plan B » et « Plus ou moins l’infini ». Remarqué très rapidement pour ses talents de semeur de troubles sensoriels et de magicien virtuel, il avait provoqué l’admiration et la jubilation de tous à grands coups d’illusion, d’humour et d’une technicité incomparable. Créateur d’univers décalés à l’identité aujourd’hui affirmée, ses deux précédents spectacles témoignaient d’une fantaisie et d’un renouvellement hybride de l’art circassien rarement égalé. Sur les thématiques mathématiques du plan et de la ligne, il explorait l’interaction d’univers vidéo hautement technologiques avec des acrobaties de cirque traditionnel inscrites dans un décor mobile et ingénieux. Pas étonnant, dès lors que son appétit pour les formes insolites et son envie de briser les frontières l’aient conduit sur les routes de la Chine, à la rencontre d’acrobates – comédiens – chanteurs, tous plus talentueux les uns que les autres, et au niveau d’acrobatie le plus élevé au monde. Immergé dans cette culture orientale, en perpétuelle friction entre modernité et tradition, il semble qu’il ait trouvé, sur place, une inspiration zen et extrêmement aiguisée. La meilleure façon de combiner force de la nature et éléments géométriques, propre à perpétuer son dialogue entre « la géométrie et l’humain, comme métaphore évidente de la relation des hommes au monde », initié sept créations auparavant.
De l’art de manier les blocs et les images
La scène s’ouvre sur une sonorité reconnaissable entre mille, issue tout droit de nos représentations les plus communes sur la Chine : le erhu, violon chinois à deux cordes. Une jeune femme joue de cette musique sur un bloc, élément mouvant qui ne va pas tarder à s’animer, dévoilant chaque parcelle de sa composition : cinq triangles de tailles différentes, un carré et un parallélogramme. Voici le tangram grandeur nature, ce jeu datant de l’Antiquité chinoise, célèbre casse-tête aux innombrables figures. Tout d’abord glissant et fuyant, il s’érigera dans le second tableau en formes imposantes pouvant aller jusqu‘à six mètres de hauteur. Face à lui, des hommes et des femmes d’âges très différents s’ingénient, à la force des mains et des pieds, à reconstituer ce qui devra être l’ultime composition : un bloc. Avant cela, il leur faudra en défaire avec de nombreuses tergiversations qui prendront la forme de métaphores de la nature et de l’homme, tels ces paysages mobiles étonnamment reconnaissables. Avec un simple écran aux très beaux reflets colorés et un assemblage de triangles et d’un carré, ils composent : une montagne enneigée, un château digne des meilleurs romans de science-fiction ou un espace urbain fait de blocs et de rocs .
Seul l’esprit fantasque d’Aurélien Bory pouvait transporter ainsi chaque imaginaire dans ces contrées lointaines pourtant jamais clairement dessinées. Créateurs de ces œuvres mobiles, déclinées durant sept tableaux, les comédiens se fondent et se glissent entre les interstices de chaque morceau de jeu, grimpant tels des hommes-araignées sur les sommets des collines virtuelles dans une aisance défiant l’inébranlable loi de l’apesanteur. Réunis pour mieux œuvrer, ils devront avoir une confiance infinie en chacun d’eux et une maîtrise parfaite de la manipulation pour ne pas laisser s’échapper une pièce du château de carte. Car attention au faux-pas, dans ce spectacle, il pourrait être fatal, tout étant une question de millimétrage. Dirigés avec humour (comme à son habitude) et respect de la culture orientale, ces maillons de la chaîne bien que remarquables d’agilités n’en seront pas moins écrasés par l’imposante structure de bois verni. Quelque peu désincarné et répétitif, on regrette que ce spectacle ne laisse pas plus de place à ce vivier de talents rarement présent sur nos scènes. Il faut croire que le propos n’était pas là où on l’attendait mais bien dans le dispositif en lui-même, ce qui bouscule notre attente de spectateur. Pour autant, une chose au moins reste sûre et mérite d’être réaffirmée : Aurélien Bory n’a pas perdu cette générosité et cette flamme qui font de chacun de ses spectacles un vrai moment d’émerveillement ludique et poétique.
Les Sept planches de la ruse mis en scène par Aurélien Bory
Du 21 au 23 février 2008 au TnBA. Réservations au 05 56 33 36 80 ou sur www.tnba.org