4ème colloque Aqui.fr: « Numéricratie : une nouvelle démocratie ? »


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Temps de lecture 18 min

Publication PUBLIÉ LE 03/10/2014 PAR Solène Méric - Lise Gallitre -Romain Beteille

Introduction de Roland Cayrol, directeur de recherche associé au CEVIPOF et Président d’honneur des amis d’Aqui.fr:

L’apparition et la multiplication de médias nouveaux sont telles que les liens qui s’établissent désormais entre démocratie et numérique sont fondamentaux. Il s’est forgé dans nos démocraties un pluralisme de la presse accordant alors au journaliste un rôle très important, au coeur du processus démocratique : celui de filtrer, de hiérarchiser, d’analyser et d’expliquer l’information, un rôle nécessaire qu’il est important de rappeler, de mettre en valeur. Il faut alors réfléchir et ouvrir de vrais débats sur les nouvelles conditions d’exercice de ce métier, en permanente évolution. La situation politique actuelle est aujourd’hui trop souvent parasitée par des éléments qui ne relèvent pas de la vraie information allant de l’interpellation numérique systématique au harcèlement de la vie ces acteurs politiques. Il y a alors un réel besoin de remettre au goût du jour la qualité du journalisme, du vrai journalisme, soulevant la question de la qualité de l’information et du numérique. Le journaliste doit alors confronter points de vue d’élus et de citoyens de manière censée et réfléchie, un rôle au cœur du débat public.

L’enjeu: La question centrale des relations entre Numéricratie et Démocratie – Parole à Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la Communication à l’Université de Lorraine- CREM

S’il est facile de définir la démocratie comme « le pouvoir par le peuple et pour le peuple », à quoi correspond cette notion posée par le colloque de ce jour de «Numéricratie»? Arnaud Mercier dresse quelques éléments de cadrage.

Arnaud Mercier relève d’abord un certain nombre d’usages électoraux via les réseaux sociaux tant pour les citoyens que pour le candidats. Exemple dès 2008 avec Barack Obama qui, s’il n’a pas été élu uniquement grâce à ces réseaux sociaux y a investi sa campagne (et sa personne) bien plus que son concurrent de l’époque Mitt Romney. Côté électeurs, pour cette même élection, les 18-21, ont utilisé les réseaux sociaux comme 4ème source d’information, souligne l’intervenant.
Côté électeurs, sur ces réseaux 8 activités principales y sont relevées à commencer par « pousser ses opinions, réagir aux messages des autres, pousser ses amis à aller voter, …». Au total, «ce sont bien des formes d’engagement mais qui ne sont pas majeures pour autant» estime-t-il. Côté candidats, peu d’entre eux utilisent les réseaux sociaux pour leur potentialité de dialogue avec les électeurs, «les politiques restent dans un logique descendante, alors, note-t-il, que les avantages concurrentiels sont indéniables pour ceux qui s’intègrent dans une réelle conversation avec les électeurs». Sur Tweeter, 6 usages politiques sont relevés par différentes études spécialisées. Le réseau social est «un moyen pour les candidats d’assurer sa pub, un média de mobilisation (valorisation du travail de terrain). On note aussi un usage de personnalisation (s’afficher d’une autre manière, «plus cool», en famille, etc…), d’auto-médiatisation et d’autovalorisation. Tweeter, c’est aussi, pour les politiques, une voie d’interaction sociale, ou encore un lieu de polémique, à l’image de la bonne vieille « petite phrase » des politiques».

« Ni benoîtement optimiste ni sombrement pessimiste, juste lucide »Au delà de ces usages électoraux, les réseaux sociaux sont aussi un nouvel espace de paroles pour les citoyens. Dans cette optique les réseaux sociaux sont à la fois outils de «désintermédiation journalistique, et un accès à un micro espace public» par lequel certains parviennent même à concurrencer la parole politique, comme ce fut le cas en 2005 avec le blog d’ Etienne Chouard, un professeur d’économie en lycée, à propos du Traité constitutionnel. Un espace ouvert de paroles qui porte ainsi le pire comme le meilleur, l’invective et l’insulte gratuite comme la contestation constructive ou le «fact checking» ou la vérification des paroles ou annonces notamment des hommes et femmes politiques.
Autre phénomène porté par cette numéricratie: « l’avènement du tweetspectateur » ou le commentaire sur les réseaux sociaux d’une émission télé en même temps que sa diffusion. Une nouvelle problématique pour les politiques, comment faire quand sa parole est commentée et critiquée de manière immédiate, et que l’effet persuasif d’un discours peut être directement démonté?…. Si les réseaux sociaux sont aussi un lieu de moquerie et de mise en dérision de la parole politique, Arnaud Mercier en est persuadé: «Les réseaux sociaux ne transforment pas des citoyens désabusés en militants engagés. De même, «le lien de confiance entre citoyens et politiques ne peut pas être uniquement cherché par le biais des outils technologiques, comme il est innocent de croire que de mettre en œuvre un vote électronique amènera plus de citoyen dans les urnes.» Au total, cette numéricratie, ce n’est pas être « benoîtement optimiste ni sombrement pessimiste », mais juste lucide. «A l’égal de notre classe politique, on aura la démocratie numérique que l’on mérite», conclut-il.

«Plus on numérise, plus on s’humanise»

Table Ronde : Le ressenti des citoyens, les pratiques et suggestions du tiers secteur et des corps intermédiaires animée par Vincent Goulet, sociologue des médias et auteur de « médias et classes populaires »

 1) Marie-Hélène Filleau, directrice de la communication de la ville de Cenon

Cenon, c’est 23 000 habitants, une ville dont la diversité d’origine et sociologique est une richesse qui fonde la façon dont la communication de la mairie s’est organisée depuis longtemps déjà. Notre principale mission est de rendre visible et lisible le déroulement des projets, expliquer et donner un sens dans le temps aux actions menées afin que les habitants sachent et comprennent ce qui se passe dans leur ville. Notre travail est à la fois d’accompagner et de conforter les relations directes entre la municipalité et les habitants et d’intensifier ces relations avec les outils de la communication, qu’ils soient traditionnels ou relevant des nouvelles technologies. Ces nouveaux outils régénèrent nos fondamentaux de communication et de contact et de fait, la médiation entre action politique et population est alors diversifiée. Il y a une vraie nécessité de mettre en avant les outils performants ; Internet est aujourd’hui essentiel et les réseaux sociaux, avec l’usage qu’on leur connait aujourd’hui facilitent notre travail; il nous permet d’élargir notre propos. En même temps, leur foisonnement et leur multiplicité nous obligent bien-sûr à une lucidité et à une vigilance permanentes. Pour exemple, la biche Canell, une I-biche (animal-totem de la ville de Cenon), permet, via un blog et un compte facebook, cette prise de parole de tout un chacun, une façon ludique et ouverte à tous de rendre compte de cette communication citoyenne de service public.

2) Moussa Diop :  reporter multimédia de la ville de Cenon: Notre mission actuelle par rapport à la production de vidéos, consiste dans le recueil des initiatives qui se dessinent dans la ville. C’est un projet de renouvellement urbain, un processus qui a touché plus de 500 familles cenonnaises. Intitulé « images, récits et rencontres d’habitants », ce programme s’est fait en association avec la station O2 radio : une organisation de reportages qui était souvent la première expression dans un studio radio pour les habitants qu’on amène ainsi à participer à la mise en lumière de l’histoire de leur territoire, cet accompagnement est très important. La validation la plus déterminante est celle de l’habitant, il faut qu’elle se retrouve dans le propos, que les choses et éléments qui soient mis en avant ne lui soient pas étrangers mais au contraire, qu’ils lui soient familiers, qu’il se reconnaisse dans ce qui est dit et montré . (échange avec la salle et témoignage de Cenonnais ayant participé au programme)

« Le numérique dépend de la manière dont on l’investit »
3) Evocation de « Habitants Lieux Mémoire », nouvelle plateforme participative dédiée aux habitants de la Rive Droite avec Hugues de Domingo, community manager, chargé de mission au Grand Projet des Villes: « C’est une idée qui a fait son chemin, il a fallu le temps d’élaborer un dispositif cohérent. Mis en ligne le 3 septembre, c’est un site qui a pour vocation de regrouper et de mettre en valeur les savoirs sur la Rive Droite, au sens le plus large possible. Le contributeur est invité à s’exprimer dans différentes rubriques afin de rendre visible la documentation du territoire de Bassens, Cenon, Floirac et Lormont. Il y a bien-sûr eu la nécessité d’indexer les différents sujets évoqués pour permettre leur référencement sur les moteurs de recherche. « Habitants Lieux Mémoire », c’est un « work-in-progress » permanent, un projet vivant, dont la visibilité et la pérennité existera grâce à la contribution des habitants.

4) Luc Paboeuf:  Président du Ceser d’Aquitaine

Il faut opposer numéricratie et démocratie numérique. En 2020, nous aurons 50 millions d’objets connectés. Mais le numérique peut aussi être un outil d’aggravation. Se questionner sur nos intentions collectives, c’est le fondement de la politique. Sans se questionner, nous pourrions faire confiance à la technique. Concevoir ensemble une intention collective ne peut pas être l’affaire d’une expertise extérieure des expériences vécues. Nous avons encore l’image d’une démocratie arithmétique : un taux de pourcentage pour un point de vue figé face au point de vue d’une opposition. C’est, bien plus que cette vision simpliste, l’idée d’une incertitude ultime.
La grande nouveauté d’internet, c’est ces citoyens qui n’apparaissent pas nécessairement engagés dans des organisations, ce qui modifie profondément le rôle des institutions. Aujourd’hui, les partis se résument à des logiques d’écurie. Il y a cependant une capacité de dialogue nouvelle qui peut être ouverte. Avec le concours de Motion Design, lancé par le Ceser à l’occasion de ses 40 ans, on s’est aperçu qu’il valait mieux avoir fait des formations à l’IEP qu’avoir une expérience militante. L’expérience militante, elle, avait tendance à être disqualifiée. Le numérique dépend de la manière dont on l’investit.
Aujourd’hui, il faut écouter les jeunes car ils ont des visions pour l’avenir. Internet, c’est un outil qui contourne la nécessité d’avoir des organisations. Il offre des opportunités nouvelles mais prendre des initiatives, cela reste la responsabilité des actions publiques.
Cet espace de dialogue, c’est avant tout un lien entre nous et le territoire. Une sorte de citoyenneté active. Pour faire une société ensembles, il faut faire entrer la notion de société que l’on construit.
L’un des aspects de notre société, c’est que tout s’accélère. Aujourd’hui, la parole sur le net est zappée, tout comme le débat public. Or la contradiction, ce n’est pas que l’affaire de l’autre. En inscrivant les citoyens dans une utilité sociale, en faisant en sorte de créer un élargissement du spectre d’analyse que l’on propose sur du long terme, on transformera la démocratie.

« Une éducation populaire numérique »

Table ronde: Les analyses et les choix d’élus de terrain animée par Pierre Sauvey, Président du Club de la Presse

Parole à Jacques Bilirit, conseiller général du canton de Marmande-Est, vice-président du conseil général du Lot-et-Garonne, Stéphane Delpeyrat, vice-président du Conseil Régional d’Aquitaine, délégué aux sports, à la jeunesse et à la vie associative, Josy Poueyto, conseillère générale de Pau-Centre, première adjointe en charge des affaires sociales, Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la cohésion sociale et territoriale, Jean-Marie Darmian, conseiller général du canton de Créon vice-président du conseil général de la Gironde, Laurence Harribey, maire de Noaillan, et député suppléant.

C’est une véritable palettes des usages et pratiques du numérique et des réseaux sociaux par les élus, qui a été donnée à voir et à entendre cet après midi sur la scène du Rocher palmer, tant d’ailleurs dans leur rôle d’émetteurs d’informations que de récepteurs. De Josy Poueyto, seule élue à cette table ronde à ne pas avoir de compte sur Facebook mais un compte Tweeter créé le temps d’une campagne électorale, à Alexandra Siarri, très active sur Facebook, et présente sur Tweeter, en passant par Jean-Marie Darmian, blogueur consciencieux. Des élus investis à divers niveaux sur la sphère numérique à hauteur bien souvent de leur regard sur la place des outils numériques dans leur rôle d’élus. Morceaux choisis de leurs interventions:

Jacques Bilirit: «Ces outils, notamment les réseaux sociaux, ouvrent des horizons nouveaux. Ils ont pour moi une incidence dans ma connaissance de ce qui se passe, aide à réfléchir et à prendre des décisions. Une manière aussi de prendre les humeurs du temps, ce qui a été pubié, et par qui, ce qui a été « liké»… »

Josy Poueyto: «Je n’ai pas de compte Facebook parce que je n’en ressens pas le besoin. J’ai un réseau humain que je connais, avec lequel je communique et échange des idées, via le numérique, le mail, notamment. Et en tant qu’élue strictement locale, j’ai une relation longue et depuis des années avec les paloises et les palois, je n’éprouve pas le besoin de passé par Facebook pour les rencontrer. De nombreuses réunions publiques, et permanences où on se rencontre et on échange sont organisées ». En outre, elle insiste sur la sanction, souvent anonyme, de commentaires laissés « pour démolir ou dénigrer quelqu’un ».

Jean-Marie Darmian: « Mon blog, c’est une réaction à l’information dominante, à ce que j’appelle aux « émissions perroquets », qui toute la journée répètent la même chose». Le choix des sujets de mes billets se font dans une démarche personnelle, en fonction de ce que j’ai perçu dans l’actualité, pour traiter de ce qui n’a, justement, pas été traité ou par une analyse différente, indépendante, y compris de mon parti. Je ne veux pas rester suiveur d’un point de vue dominant, et montrer qu’il peut y avoir une autre façon de voir l’actualité.

« L’expression, ça n’est pas toujours une démocratie »

Alexandra Siarri: « Depuis 7 ou 8 ans, être sur les réseaux sociaux c’est mon quotidien. Sur Facebook, des gens viennent à moi parce qu’ils ne viendraient pas par d’autres moyens. C’est une possibilités pour eux de pouvoir s’exprimer sans sanction directe sur leur physique, leur humeur, leur manière d’être, etc… Une sorte de permanence virtuelle, mais le but c’est bien ensuite de rencontrer la personne. Selon moi, les réseaux sociaux, c’est indispensable pour redonner une citoyenneté active, et c’est libérateur de potentialités. Pour moi, c’est un enjeu de démocratie, qui permet de rendre les comptes qu’on a à rendre en tant qu’élus. On peut nous interpeller et nous pouvons expliquer pourquoi et comment on a pris telle ou telle décision, le processus du choix, une sorte de pédagogie du complexe». Elle relève par ailleurs l’inégalité de maturité des élus et de leurs regards sur le numérique et la place qu’ils peuvent y prendre et insiste sur la notion, le besoin «d’une éducation populaire numérique».

Laurence Harribey: «Ce sont plus les administrés qui nous envoient cette exigence d’être présents sur internet. Personnellement je suis très perplexe sur la réappropriation de l’espace public par le citoyen grâce à ces outils, mais en tant qu’élue, il faut accepter le débat. Et accepter le débat ça veut dire y aller. Pour autant, selon moi, ces outils sont des outils d’expression or l’expression, ça n’est pas toujours une démocratie. D’ailleurs, le numérique est souvent une expression de frustration ou en tous cas de réponse individuelle, or on ne construit pas de démocratie sur une addition de frustrations ou de réponses individuelles, mais sur une démarche collective et d’une décision commune. Donc, il y a là une espèce de contradiction…  La question se pose de savoir comment utiliser ce mode d’expression sachant qu’il ne vaut pas construction.»

Stéphane Delpeyrat-Vincent: «Le bénéfice des réseaux sociaux c’est d’établir un système plus horizontal, ici tout le monde est remis à égalité, avec l’inconvénient de l’instantanéité.» Il soutient aussi l’idée d’une éducation au numérique, et note, la «nullité des réponses politiques en termes numériques, les partis politiques sont totalement absents de cette sphère. Côté partis politiques, il ne se passe pas grand chose… Au lieu de pleurnicher sur les journalistes ils pourraient s’occuper de ça ». D’autant plus que pour les élus qui sont présents sur le web, «ces outils, selon moi, sont en train de faire évoluer les relations entre élus, c’est une source d’enrichissement très important de ce point de vue là aussi ».

Photos tronquées et canulars

Les « emballements de l’information ». Les « morceaux choisis et perles rares observées sur la toile » animé par Nicolas César, journaliste Aqui.fr

C’est un groupe d’étudiants en journalisme 4ème année de l’IEP de Bordeaux qui s’est intéressé à quelques morceaux choisis et autres perles de l’emballement médiatique observées sur la toile, pour les présenter cet après-midi sur la scène du Rocher Palmer. Parmi elles, ils ont notamment évoqué le hashtag #bringbackourgirls, mouvement numérique qui s’est crée sur Twitter pour obtenir la libération des 200 adolescentes enlevées par la secte islamiste Boko Haram en mai dernier. Quelques mots qui sont très vites devenus un phénomène : 9 millions de tweets après seulement 10 jours de campagne, qui a eu pour conséquence la publication de fausses photos et autres « manipulations de l’opinion » selon les étudiants.
Ils ont également rétabli la vérité sur la célèbre photo tronquée de François Hollande et Angela Merkel qui regardent dans la direction opposée des gérants de l’Otan. Ce cliché a entre autres contribué à l’emballement du « Hollande Bashing », et est devenue le « symbole d’un président français isolé ».
Autre fait évoqué, ce célèbre canular monté par le site satirique « Les cahiers du foot » qui s’est retrouvé en une du célèbre journal « Times ». Ces nombreux exemples cités par les étudiants ont permis de souligner par l’exemple le côté pernicieux de l’information sur le web, et ont permis au public du colloque de poser des questions plus éthiques à ces futurs rédacteurs.

La question des algorithmes s’impose Table ronde: Les réponses des professionnels de l’information et leur vision des tendances en Europe et dans le monde animée par Maria Santos Sainz, professeur à l’Institut de Journalisme de Bordeaux en Aquitaine (IJBA), qui a tour à tour évoqué différents aspects des liens fondamentaux entre la presse actuelle et le numérique : évolution de la profession, question des algorithmes, du data-journalisme, de l’éducation numérique, des réseaux sociaux, de l’avenir du papier, du lecteur, des perspectives nouvelles…

Intervenants : Eric Scherer, directeur de la prospective à France télévisions, Yves Eudes, reporter au Monde, Catherine Debray, redactrice en chef de Sud Ouest Dimanche, Laurent Guimier, Directeur de France Info (via Skype), Joël Aubert, Aqui.fr et Thierry Gadault, fondateur d’Hexagones

Laurent Guimier : Aujourd’hui, tout est question de moyens au sein des rédactions pour construire un journalisme amélioré qui résiste aux pressions de tous ordres. Il faut bien-sûr aussi de l’audace, présenter des choses et des sujets novateurs et singuliers.

 Yves Eudes : Grâce aux médias numériques, les remontées sont beaucoup plus rapides, il faut vite réagir, vérifier palier à tout débordement. La vitesse est absolument nécessaire aujourd’hui, tout va vite avec le numérique et le journaliste doit savoir gérer cette urgence, c’est désormais un aspect fondamental de la profession qui est bien-sûr favorisé par le numérique, les ressources web…

 Eric Scherer : C’est vrai que la question des algorithmes s’impose quant à la position du journaliste. Les réseaux sociaux jouent un rôle évident à ce sujet, ce peut être un avantage comme un problème, ils permettent à l’information de circuler et d’être lue par le plus grand nombre mais la question de la correction et de la vérification s’impose aussi.

 Thierry Gadault : Il faut veiller à centrer le débat sur le journalisme. Ce n’est pas parce qu’un fait est publié ou relayé sur les réseaux sociaux que c’est une information, ça n’a aucune importance ni aucun poids s’il n’y a pas eu de vérification journalistique.

 Catherine Debray : La question de savoir alors si un journaliste peut se tromper se pose et oui, un journaliste peut se tromper, ça arrive, c’est arrivé et ça arrivera. Autre point essentiel, le Data-journalisme, notion qui nous permet aujourd’hui de re-territorialiser notre information, il faut avoir des moyens, former les journalistes aux logiciels adaptés. C’est un très long processus mais il faut le faire. Il est difficile d’accepter de prendre du temps pour ça dans cette société et dans ce métier où on court après le temps mais il faut le faire. Le data-journalisme prend le même temps que l’investigation. La question actuelle est de savoir comment trouver les moyens d’apporter du fond et du fond différent dans la presse actuelle.

 Eric Scherer : On est aujourd’hui incontestablement mieux informés qu’il y a quinze ans. On est certes débordés par l’information avec la démocratisation de la prise de parole mais toute une partie d’émissions et du travail des journalistes a été pris par le public et c’est tant mieux. On sait tous aujourd’hui que notre audience et notre lectorat en savent beaucoup plus que nous, via les médias, les nouvelles technologies. Il faut néanmoins vérifier, analyser, hiérarchiser et amener une valeur ajoutée à ce trop plein d’informations parfois erroné, c’est aussi ça le travail du journaliste aujourd’hui.

 Laurent Guimier : Dire que le journalisme en ligne est aujourd’hui une suite d’informations erronées est une erreur, ça ne se passe pas comme ça, ce qui est mis en ligne est vérifié est pesé comme dans la presse papier traditionnelle. Le journaliste a bien-sûr le droit à l’erreur mais la presse numérique reste de la presse professionnelle, il faut veiller à ne pas généraliser.

Yves Eudes : La question des moyens du médias intervient bien-sûr ici, il s’agit là plus d’un problème d’argent que de support 

Eric Scherer : Cette difficulté montre combien la nécessaire connexion de la société n’est pas assez représentée. L’éducation numérique doit aujourd’hui être au cœur du débat, l’accès à l’information passe par là et ce fait va aller grandissant. Il est facile de dénigrer les nouveaux outils mais il faut avant tout savoir les utiliser correctement et avec sens.

« L’opposition web/print en train de se dissoudre »Catherine Debray : D’un point de vue régional, la question du nécessaire passage au numérique se pose aussi, évidemment : Sud Ouest en est à sa V5 pour le Site Internet et vient de lancer une édition d’abonnés pour le soir ; ce sont des passages obligés, on doit s’adapter à cette mutation technologique. Le journaliste a, via les réseaux sociaux, un rôle de passeur avec le citoyen connecté et passer par les technologies du net est désormais une stratégie nécessaire pour transmettre l’info.

 Laurent Guimier : Parler des chantiers numériques va de pair avec les entreprises de presse actuelles. Le monopole de la parole journalistique n’est plus, il faut s’adapter à cet état de fait et donner à la profession la mission d’être en veille, de vérifier, de participer à la transmission de bonnes informations, vérifiées et analysées rapidement. Les réseaux sociaux font évidemment partie de ce chantier numérique. Il faut avoir une bonne vision quant à la mission de chacun au sein des rédactions, les missions et le travail de chacun sont aujourd’hui différents, il faut les envisager de manière stratégique. Quant à l’éducation numérique, je rejoins ce qui a été dit, c’est un passage nécessaire et il faut davantage axer le débat public sur ce fait, lire le numérique doit s’apprendre à l’école, en pratique et dans les manuels scolaires. La France est en retard sur ce point, c’est évident.

 Yves Eudes : Il faut aussi voir les côté positifs du numérique et ils sont nombreux! Les choses sont en train de s’améliorer : l’opposition web/print est en train de se dissoudre. Le support s’efface et est moins un problème qu’avant, écrire pour la version papier ou pour la version web? L’importance se fait plus mince, le travail est fait dans le même état d’esprit. Certes, la taille diffère mais aujourd’hui, avec le recul, je suis plus fier de mon travail réalisé pour le web que pour le papier. La possibilité de l’enrichir avec images ou vidéos ou tout autre support est un vrai plus pour le lecteur.

 Catherine Debray : Il faut néanmoins situer les choses dans le contexte actuel et le constat est différent concernant la presse Quotidienne Régionale. Aujourd’hui, impossible pour Sud Ouest de s’affranchir du papier, nous n’en sommes pas encore là et en sommes loin ! Pour revenir sur le présage de 2029 disant qu’il n’y aurait plus un canard… je n’en suis pas sûr ! La version numérique est évidemment un plus mais pour une grande partie du lectorat, la version papier est essentielle.

 Laurent Guimier : C’est un processus très récent, tout ça vient de naître et même s’il est essentiel de s’adapter à cette numérisation de la société, il faut aussi lui faire confiance. Cette révolution, il faut aussi se laisser le droit de la voir avec optimisme. On est aujourd’hui beaucoup mieux informé qu’il y a quinze ans, beaucoup plus informé est c’est malgré tout formidable !



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