François-Xavier Mahon : « L’institut Bergonié, un chantier permanent »


Marianne Chenou
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 16/01/2019 PAR Marianne Chenou

@qui.fr – L’institut Bergonié est en pleine transformation depuis septembre 2016. De nombreux travaux sont en cours, en témoignent les échafaudages qui parsèment le centre. Le chantier est-il en bonne voie ?

François-Xavier Mahon – Les travaux sont bien avancés. Le pôle Josy Reiffers, du nom de mon prédécesseur, sera bientôt achevé. Sa construction avait été décidée sous sa mandature. C’est un bâtiment qui va permettre de transformer l’institut Bergonié, car il est voué à la chirurgie et à l’intervention. Cela comprend la fibroscopie et la radiologie interventionnelle, une des marques de fabrique de notre établissement. Cette discipline nouvelle permet de voir et de traiter la tumeur. Dans le bâtiment Josy Reiffers, il y aura deux blocs opératoires dédiés à cette technique, équipés de scanner.

Les travaux courent jusqu’à mi-mars, il y aura ensuite la mise en normes. Nous prévoyons le déménagement des équipes médicales fin mai, du moins avant l’été. Nous souhaitons nous mettre en situation dans ces nouveaux locaux avec la totalité des équipes, avant les congés, pour prendre nos marques et repérer les éventuels dysfonctionnements. L’inauguration officielle aura lieu en septembre. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn ainsi que leur maire de Bordeaux, Alain Juppé, m’ont promis qu’ils seraient présents. L’idée avec ce nouveau bâtiment, est de se tourner à nouveau vers la ville. Avec les travaux, l’accès au centre est compliqué. Donc nous souhaitons proposer une entrée sur le cours de l’Argonne, tournée vers le tram. Au rez-de-chaussée du bâtiment, il y aura tout le service d’accueil pour les patients.

Bien sûr nous restons un centre régional et cela se voit dans nos collaborations. L’institut est le seul centre de lutte contre le cancer de la région, ainsi nous sommes amenés à travailler avec tous les hôpitaux de Nouvelle-Aquitaine : le CHU de Bordeaux, le CHU de Limoges, le CHU de Poitiers, mais aussi Périgueux, Bayonne, Mont-de-Marsan, Blaye bientôt… Hôpitaux publics et cliniques privées, nous travaillons avec tout le monde dans l’intérêt des patients, nous ne sommes pas les seuls à traiter le cancer.

@qui.fr – Justement, vous abordez votre travail avec tous les pôles médicaux de Nouvelle-Aquitaine. Quelle aide vous apporte le conseil régional ?

F-X. M – Le Conseil régional soutient la recherche, l’une des trois missions d’un centre de lutte contre le cancer, avec le soin et l’enseignement. Le volet recherche est ainsi régulièrement cofinancé par le Conseil régional. Récemment, nous avons reçu une aide non-négligeable pour un projet sur l’immunothérapie. Nous allons accueillir au sein de nos laboratoires à l’institut une start-up girondine, ImmuSmol, dédiée à cette cause. Le but est de mieux comprendre ce qui fait qu’un patient répond ou non à l’immunothérapie. C’est une avancée importante dans la lutte contre le cancer, que le cofinancement de la région nous a permis de réaliser.

Mais l’enjeu principal autour de ce traitement est que nous ne savons pas actuellement, lorsque nous le commençons, si le patient sera réceptif ou non. Seuls 30 à 40 % répondent positivement à l’immunothérapie. Si nous le savions en amont, si nous pouvions repérer plus facilement les candidats à cette thérapie, nous les sélectionnerions mieux. On éviterait ainsi les effets secondaires d’un traitement lourd, mais également des coûts investis sans résultat. Cet argent pourrait être mis ailleurs, dans une autre thérapie pour certains patients. Nous voulons réussir à proposer à chaque patient un soin adapté.

@qui.fr – L’Institut Bergonié a effectivement plusieurs missions, dont la recherche. Quelles sont les avancées récentes que vos équipes ont pu faire dans ce domaine ?

F-X. M – Il y a eu plusieurs avancées, mais ce sont de petites évolutions. Il y a des pistes en immunothérapie, avec l’identification de quelques facteurs de résistance. Mais cela ne peut pas se décliner de façon générale.

Les avancées ont principalement eu lieu vis-à-vis des patients qui ont des prédispositions au cancer. Je pense notamment au cancer de l’ovaire : certaines patientes ont les mêmes prédispositions que celles atteintes d’un cancer du sein, avec le gène BRCA. Parfois il mute et donne des prédispositions à ce type de cancer. Le traitement doit alors être très spécifique. Cela permet d’introduire une nouvelle catégorie de médicaments que l’on appelle les « PARP inhibitors ».

Aujourd’hui, finalement, la notion d’organe a tendance à se gommer peu à peu. On traite plutôt des anomalies moléculaires que des cancers du sein, de la prostate… La notion d’organe subsiste car elle est la porte d’entrée du diagnostic. Le patient reçoit toujours un signe d’un organe, quel qu’il soit. Mais en analysant la tumeur, on s’aperçoit qu’on retombe sur des gènes que l’on retrouve dans d’autres cancers. C’est une notion nouvelle. Dans un organe donné, ces anomalies moléculaires permettent de classer les cancers et les tumeurs dans des sous-catégories beaucoup plus précises. Ces sous-groupes sont relativement petits et ainsi, s’inscrivent d’autant plus dans le projet médico-scientifique de l’institut Bergonié, qui souhaite faire du cancer une maladie rare. On va de plus en plus vers une médecine personnalisée, nous peaufinons le traitement en fonction de la mutation du cancer chez le patient.

Nous avons également fait des progrès, au sujet de l’ADN tumoral circulant. Nous savons que des tumeurs circulent dans le sang, même dans le cas des tumeurs solides. Cela nous permet de capter le matériel génétique qui les constitue et ainsi de l’analyser. Donc même dans le cas d’un patient qui a une tumeur profonde (poumons, abdomen), on peut commencer une recherche sans biopsie ou opération lourde. On pourra privilégier une simple prise de sang. Cela allège le suivi médical, ça évite d’être agressif ou invasif. Cela permet aussi évidemment d’adapter la thérapeutique.

@qui.fr – Vous évoquez un suivi de plus en plus personnalisé pour les patients, mais comment cet accompagnement se manifeste-t-il concrètement ?

F-X. M – Pour améliorer le suivi des patients, on utilise l’innovation scientifique, mais la meilleure façon d’avoir un suivi qui soit rationnel, c’est d’inclure un patient dans un essai thérapeutique. Il y a beaucoup de règles très strictes, avec une législation lourde lors d’un essai. Cela évite de potentielles déviances dans les suivis. Le facteur humain est très important. C’est la marque de fabrique de l’institut Bergonié : insister sur l’humanité. On ne traite pas le cancer, on traite des patients atteints de cancer, des hommes et des femmes dans leur globalité.

Nous avons beaucoup développé à cet effet les soins dits de support. Ce sont les soins qui ne traitent pas directement la maladie, mais qui aident le patient au quotidien. Cela va du traitement de la douleur, qui est très important, via l’hypnose, à la kinésithérapie, l’activité physique. L’idée est de redonner au patient une vie la plus normale possible.

Au sein de l’institut, nous avons par exemple mis en place une permanence, primée cette année par Unicancer, relative aux droits des patients. Tous les vendredis, un avocat est présent et les patients peuvent lui poser leurs questions pour les démarches administratives, sociales, juridiques, notamment les questions d’emprunt ou de droit à l’oubli. Pour moi, cela fait partie de l’accompagnement à apporter aux patients. Un patient qui est en difficulté psychologique, il faut lui apporter un soutien, car une des meilleures façons de lutter contre le cancer, c’est d’être bien dans sa tête. On a forcément un système immunitaire plus prompt à lutter.

@qui.fr – Les molécules des traitements que vous administrez aux patients ont un coût. Comment assurer une équité d’accès aux soins à tous ?

F-X. M – On a la chance d’avoir la Sécurité Sociale en France. Donc pour le traitement, tous les patients peuvent y avoir accès sans que cela ne leur coûte. Mais il existe un vide juste avant la mise sur le marché du médicament : dans les essais thérapeutiques, les médicaments sont fournis. Mais lorsqu’est délivrée l’autorisation de mise sur le marché et que le patient n’est plus dans le cadre d’un essai, il y a une période de transition où le prix n’est pas encore fixé. C’est là que nous avons quelques problèmes. Les autorisations transitoires de mise sur le marché sont encore rares. Donc il faut insister pour que les laboratoires acceptent de les délivrer. Mais il ne faut pas les voir comme la source de tous les maux, bien au contraire, ils ont fait le choix de s’intéresser au cancer, et ils nous permettent de grandes avancées.

Pour garantir une équité géographique d’accès aux soins, nous avons également détaché un de nos praticiens à Bayonne. Cela a permis d’ouvrir une antenne d’oncogénétique à l’hôpital de la ville. Le sud de la région n’était pas du tout couvert auparavant. Ce problème de couverture du territoire, surtout dans une grande région comme la nôtre, peut être solutionné en partie avec le développement dans la e-santé, la télémédecine. Pour les patients âgés, c’est plus facile de les traiter à distance, plutôt que de les faire se déplacer.

Quand on voit sur le parking de l’institut des voitures venant des Pyrénées-Atlantiques, des Deux-Sèvres, de la Vienne, cela pose un problème, les gens viennent de loin et ce n’est pas pratique pour eux au quotidien. Avec la télémédecine, on a des projets pour mettre en relation nos médecins avec les généralistes ou les infirmières des patients. Les consultations de télémédecine étant maintenant reconnues, elles sont un progrès. Elles ne doivent pas devenir systématiques, bien sûr, mais c’est un outil supplémentaire pour améliorer la prise en charge.

Je suis très sensible au fait que nous prenons en charge des patients en dehors de nos murs. Ils disposent ainsi d’une plateforme dédiée, avec une infirmière pour les renseigner, les rassurer, répondre à leurs questions ou le cas échéant, les mettre en relation avec un spécialiste. L’espoir est de désengorger et de donner des conseils plus personnalisés. La mise en place est progressive, cela nécessite une réorganisation des équipes, une mise à niveau des outils technologiques, des lignes téléphoniques.

Certes, le chantier physique est presque achevé, mais l’institut Bergonié est un chantier permanent. La prise en charge des patients, c’est une construction permanente. Nous innovons, rien n’est figé. Il faut être capable de réagir à l’imprévu. La maladie est imprévisible.

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