Le Grand Entretien – Anne-Marie Cocula : Voyage dans la Grande Région – 1. la terre des eaux et des cours d’eau


Lefebvre Hervé
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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 13/11/2015 PAR Joël AUBERT

@qui! – Anne-Marie Cocula quand on évoque cette nouvelle grande région Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin en quête d’une identité, on cherche toujours dans son passé, dans l’Histoire… Et si nous parlions, un peu, Géographie… J’ai le souvenir qu’à l’école primaire le seuil du Poitou ça voulait dire quelque chose…
Anne-Marie Cocula
. Certes ! La géographie du relief, c’est non seulement magnifique à étudier mais c’est très important. Nous nous trouvons devant un bassin sédimentaire, avec plein de hauteurs de sédiments pour la plupart calcaires, entourés de massifs montagneux, presque protecteurs parce qu’ils correspondent au bord du bassin aquitain. Ces montagnes peuvent avoir le caractère de montagnes anciennes, comme le Massif Central qui a été rajeuni à l’époque tertiaire, mais qui est beaucoup plus ancien ou de montagnes jeunes, comme les Pyrénées qui jouent le rôle de frontière entre nous et la péninsule ibérique. Mis à part les massifs montagneux qui ont la chance d’avoir servi à l’énergie et, maintenant, aux sports d’hiver, nous avons un relief en pente douce, qui amène jusqu’ à l’océan

@! – On n’est donc pas surpris d’être Aquitaine, la terre des eaux…
A. M. C. –  C’est exactement le terme gallo-romain de terre des eaux et, Guyenne, c’est la même chose. Je tiens à préciser, une fois pour toutes, avec une succession dans la langue parlée : Aquitania a donné Guyenne ; le parler d’Aquitania a abouti à celui de Guyenne. L’Aquitaine qui est venue après est donc un terme savant, forgé sur Aquitania mais, du temps de Montaigne, il n’est pas question de l’Aquitaine mais de la Guyenne, même si elle est plus restreinte que la grande région dont on parle aujourd’hui. Et, au sud de la Garonne il est question de la Gascogne ; c’est aussi simple que cela.

@! -Terre des eaux et des cours d’eau…
A. M. C. – S’agissant du relief, je dois ajouter que cette région, ce bassin, sont traversés de grandes rivières. Je suis prête à démontrer que l’existence de cette grande région est forgée sur la présence de ces cours d’eau qui ont la particularité d’être assez pacifiques ; en tout cas par rapport au Rhône, par exemple, mais aussi d’avoir un régime de climat océanique, avec l’apport des eaux de la montagne. Cela leur confère une assez grande navigabilité, au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’Océan. Par exemple, si je prends la Dordogne, elle était navigable six à sept mois sur douze à Bergerac. Si je vais en amont, à Argentat, elle l’était trois mois sur douze et si je descends, jusqu’à Libourne, la Dordogne y est navigable douze mois sur douze. En fait, toute cette région est drainée par ces rivières qui mènent à l’Océan, de la Charente à l’Adour. Ces rivières, elles ont servi à trois choses : à l’installation des peuplements, depuis la préhistoire, avec des changements climatiques forts ; elles ont servi à la naissance des villes, parce que les villes sont riveraines de cours d’eau ; elles ont servi à une économie d’échanges fondée sur des ressources, essentiellement agricoles.

@! – Ce rappel très didactique montre clairement qu’il existe, à tout le moins, sur le plan physique une manière d’unité dans le territoire. Avec des conséquences sur la vie des gens et l’économie…
A. M. C. –
C’est d’autant plus important que ces rivières ont été exploitées et ont servi de voies de transport, pendant des millénaires. Dans la longue durée historique, l’arrivée du chemin de fer n’est que très récente ; ce qui a vraiment forgé ce territoire au sens primordial d’empreinte fondamentale c’est ce tracé de cours d’eau qui n’ont pas été trop difficiles à domestiquer, mis à part l’Adour qui a changé de lit. Mis à part les Gaves pyrénéens, la Haute Dordogne, la Haute Corrèze

Même dans les parties non navigables existait une activité très importante : le flottage des bois qui permettait l’exploitation des forêts, la fabrication de la tonnellerie, à partir des chênes et le bois merrain. Des ressources agricoles aussi diverses qu’abondantes ont fait que cette grande région fonctionne comme un grenier où on entasse les récoltes. Et ce grenier, il a attiré les gens de pouvoir… Ce grenier, vu du coté de La Rochelle, de Bordeaux, a joué une attraction considérable sur les Anglais ou plutôt sur ceux qui vont être rois en Angleterre et ducs en Aquitaine, à partir d’Aliénor, les Anglo-Gascons .. Les Anglais sont peu nombreux mais ce sont les Gascons qui sont là et, sans trahison quelconque, ils sont les officiers, les serviteurs des Anglais. Tout le monde en tire profit. Cet attrait agricole repose sur des produits clés – on pense au vin qui descend les rivières et est embarqué par les ports – mais il faut aussi penser à un produit, très important, à cette époque : le sel. Il remonte de tous les marais salants qui vont du sud de la Bretagne jusqu’au sud de l’Estuaire de la Gironde et, surtout dans la Saintonge, l’Aunis et les îles de Ré et d’Oléron. Le sel est un produit clé, vital, qui remonte par les rivières et par les sentiers jusqu’au cœur du Massif Central.

Là, figure la base fondamentale d’une région tournée vers l’Océan, même si c’est un sujet de controverse pour les départements qui se disent isolés. Les Corréziens, avant de faire le commerce de vin qui leur a rapporté beaucoup au 19° siècle, sont des marchands, des négociants qui vendent des bois, et transportent du sel quand ils remontent vers le pays. Quand on parle de l’isolement, il faut être toujours très méfiant parce que l’on pense à une forme d’autosuffisance. C’est faux : l’isolement est foncièrement faux sur le plan commercial ; on en a la preuve à partir de 800 à 900 ans avant Jésus Christ. Je n’irai pas jusqu’a la préhistoire mais je suis persuadée qu’avec le climat de l’époque, finalement ces échanges existaient .

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