Réforme des retraites : un mouvement « toujours très suivi » pour le barreau de Bordeaux


RB

Réforme des retraites : un mouvement "toujours très suivi" pour le barreau de Bordeaux

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 30/01/2020 PAR Romain Béteille

C’est une prise de fonction qui ne se déroule pas dans le plus apaisé des contextes. Après les prise de position tranchées de son prédécesseur Jérôme Dirou sur la réforme de la justice, le nouveau bâtonnier du barreau de Bordeaux Christophe Bayle et la vice bâtonnier Caroline Laveissière adressaient ce jeudi 30 janvier leurs vœux de nouvelle année à l’interprofession judiciaire bordelaise au moment où le climat est toujours tendu au sujet de la réforme des retraites.

Garanties et « passage en force »

Depuis plusieurs semaines, le Conseil National des Barreaux et, par son intermédiaire, de nombreux barreaux en France, ont durci le ton : renvoi des audiences, jets de robes, manifestations devant les marches du TGI… « Globalement, le mouvement est très suivi, la grande majorité des audiences sont reportées, y compris à la cour d’assises. Certains avocats plaident quand même pour des raisons diverses mais objectivement, c’est très suivi », a commenté ce jeudi Christophe Bayle. Principal point de crispation : le bousculement, du fait de l’instauration du régime universel, de la Caisse Nationale des Barreaux Français, un régime autonome dont les réserves représentent deux milliards d’euros. Ils s’opposent également à la promesse d’un montant des cotisations retraites des avocats qui passerait de 14 à 28% pour les avocats gagnant moins de 40 000 euros par an et à une baisse des pensions de 1450 euros à 1000 euros par mois, selon la CNBF. Enfin, la profession craint une paupérisation et tend même le spectre d’une disparition des petits cabinets (un tiers de la profession gagne moins de 30 000 euros par an, là où le revenu médian est à 44 000).

Dans une délibération datant du 25 janvier, le Conseil National des Barreaux, qui a été reçu par le Premier Ministre le 23 janvier à Matignon, reste sur sa faim. « Le Premier ministre a confirmé qu’il maintenait son projet d’intégrer les avocats dans le régime universel et n’a formulé aucune nouvelle proposition. A ce stade, il a signifié qu’il ne comptait ouvrir aucune négociation ni sur le principe, ni sur le cadre, ni sur le calendrier de mise en place du régime universel », précise ainsi la délibération, affirmant que « les propositions du Gouvernement pour réduire l’impact de l’augmentation des cotisations demeurent des mesures financières permettant la modification de l’assiette de cotisations et une baisse de charges sociales, l’utilisation des réserves constituées par la profession pour « lisser » la transition. Par ailleurs, pour maintenir le niveau des pensions des avocats, le Gouvernement les invite à prévoir une « sur-cotisation » pour les revenus annuels supérieurs à 80 000 euros. Le Conseil national des barreaux dénonce la campagne de communication du Gouvernement aux termes de laquelle l’ensemble des avocats pourra « bénéficier, avec le régime universel, de pensions plus élevées que dans leur régime actuel ». Il omet notamment de faire référence aux augmentations de cotisations conséquentes qui l’accompagneront (+55% pour la moitié des avocats) et fonde son analyse sur des hypothèses marginales. De même, la garantie d’une absence d’augmentation de cotisation jusque 2029 est des plus hypothétique dans la mesure où l’équilibre financier du régime n’est pas garanti ».

Une réponse adressée par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet et le secrétaire d’État chargé des retraites Laurent Pietraszewski datant du 15 janvier, tentait de rassurer : « les avocats continueront à bénéficier, dans le cadre du régime universel de retraite, d’une caisse propre à la profession. La CNBF pourra continuer d’être le guichet unique de la profession sur le domaine de la retraite. Au-delà des régimes d’invalidité et de prévoyance, la CNBF pourra également mettre en œuvre des dispositifs de solidarité entre avocats (solidarité interne entre les hauts et les bas revenus) ». Pas touche non plus, selon cette lettre, aux réserves de la CNBF, et présentation de simulations « montrant que les avocats pourraient bénéficier d’une pension annuelle supérieure de 20% pour ceux qui perçoivent le revenu médian ». Mais le CNB persiste et signe. Lors de vœux à la presse, sa présidente Christiane Feral-Schuhl a largement dénoncé les simulations présentées et un « passage en force » du gouvernement.

Calendrier chargé

Entre temps, l’avis rendu par le Conseil d’État et ses conclusions ont jeté un froid (même s’il a jugé « adéquat le niveau de normes retenu pour définir l’affiliation de chaque catégorie d’assurés), alors même que démarrait ce jeudi un marathon de trois mois de discussions sur l’équilibre financier de la réforme. Pourtant, si jusqu’à présent l’interprofession judiciaire était globalement assez unie dans la poursuite du mouvement de grève dure, des voix dissonantes ont récemment commencé à se faire entendre. Ce jeudi, les magistrats et fonctionnaires du tribunal judiciaire de Toulouse ont adopté à l’unanimité une motion dénonçant les conséquences du mouvement de grève, arguant dans un communiqué que « les actions locales choisies déstabilisent le fonctionnement du service public de la justice au mépris des libertés et droits fondamentaux dont nous sommes les garants » et craignant le rallongement des délais de traitement des procédures. Le 20 janvier dernier, les propos du procureur de Rennes Philippe Astruc lors de l’audience solennelle de rentrée du TGI, dénonçant une « giletjaunisation de l’audience », ne sont pas passés inaperçus. Plus proche de nous, hier, la présidente du TGI de Libourne Stéphanie Forax, lors de son discours de rentrée solenelle, dit en substance la même chose avec d’autres mots : « ne cachons pas notre déception de voir nos efforts en partis mis à néant par le mouvement de contestation qui anime la profession de nos partenaires, les avocats (…) qui occasionne déjà des retards dans le traitement des procédures que nous ne rattraperons pas. Nous entendons votre colère sans en être la cause, entendez notre désarroi de préparer magistrats, greffiers, adjoints des audiences qui tournent à vide, de travailler en vain et de se retrouver dans des situations ubuesques avec des justiciables perplexes ». 

Des oscillations qui semblent ne pas vraiment remettre en cause l’engagement des bâtonniers bordelais. « On a la chance, à la fois du côté des avocats et des magistrats, d’avoir des comportements modérés et professionnels. C’est regrettable pour Toulouse, mais nous ne sommes pas dans ce contexte », a souligné Caroline Laveissière. Christophe Bayle, lui, avoue tout de même « être un peu entre deux chaises. D’abord, on est partisans de ce droit de grève, on a été élus pour représenter les confrères donc on doit exécuter les décisions du Conseil de l’Ordre. On est aussi garants des bonnes relations entre les avocats et les juges. On doit donc trouver une position de compromis. Elle passe par le fait de prévenir de tout mouvement en amont les chefs de juridiction. Dans un barreau de 1800 avocats, vous ne pouvez pas empêcher des comportements parfois excessifs. C’est à nous de faire le service après-vente. À mon avis, pour la motion toulousaine, c’est excessif. Ça se tend parce qu’on bloque le système, certains magistrats n’ont plus rien à juger, notamment en matière civile. On est tous les deux au front avec un ton assez incisif qu’on assume, mais il faut garder des relations courtoises ».

En revanche, malgré un climat tendu, la cible reste la même. « Il ne faut pas se tromper d’ennemis. Notre ennemi, ce n’est pas les magistrats, c’est le gouvernement. C’est une chose de vouloir bloquer le service public de la justice, mais ce n’est pas pour ça qu’on doit être agressif vis-à-vis des magistrats. La vigueur du mouvement s’explique aussi par l’accumulation : l’éternel sous paiement des missions d’aide juridictionnelle, globalement, l’État s’en fout. Ce qu’il veut, au fond, c’est une justice sans juges : la réforme de la procédure civile (dont le décret d’application a été déposé le 12 décembre au Journal Officiel) qui permet dans certains cas une saisie numérique d’un juge sans débat est révélatrice. C’est une réforme qui considère que la justice est faite d’agents économiques et non plus de membres du service public. Il y a un démantèlement du service public de la justice qui fait que, malgré tout, les magistrats et les greffiers sont plutôt bienveillants par rapport à notre combat. Je pense qu’eux-mêmes souffrent du fait de leur silence ». Le calendrier, lui, est clair pour Caroline Laveissière : « le dimanche 2 février, le CNB sera à nouveau reçu par Édouard Phillippe pour évoquer la réforme. Le lendemain, une manifestation nationale est prévue à Paris aux côtés du collectif SOS Retraites, et une manifestation locale à Bordeaux pourrait des faire en interprofession pour nous avec les kinésithérapeutes et les orthophonistes, notamment. Un bureau extraordinaire doit être réuni le même jour pour savoir par le CNB si on poursuit la grève dure avec les mêmes modalités ». Interrogée, la vice-Bâtonnier évoque aussi un amendement déposé ce mercredi 29 janvier à l’Assemblée Nationale par le CNB, dont elle dit ignorer le contenu pour le moment. Il fait en tout cas partie des plus de 10 000 amendements déposés (dont 6000 par La France Insoumise), un chiffre qui devrait encore grimper d’ici la fin du délai de dépôt fixé à ce vendredi 31 janvier à midi. À Bordeaux, la dernière manifestation à l’appel de l’intersyndicale contre la réforme des retraites organisée ce mercredi a réuni entre 3500 et 10 000 personnes, mobilisation plus faible que la semaine passée.

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle ! Gironde
À lire ! SOCIÉTÉ > Nos derniers articles