Les ouvertures de procédures collectives devant les tribunaux de commerce augmentent de 80% en région Nouvelle-Aquitaine en janvier 2023 par rapport à 2022. 60% en février, par rapport au même mois de l’année précédente. Le réveil des défaillances d’entreprises est brutal. C’est dans la plupart des cas, une étape sinistre dans la vie d’un entrepreneur : déposer le bilan, voir son activité placée en redressement judiciaire et dans 80% des cas subir une liquidation. Autrement dit la fin brutale d’une aventure économique pour laquelle une femme, un homme ou plusieurs, ont donné sans compter.
Après un seuil historiquement bas
En France depuis dix ans, le rythme ordinaire est de 50 000 à 60 000 défaillances par an. Mais depuis 2019 ce sont les montagnes russes. 52 000 en 2019, puis 32 000 en 2020, et un seuil historiquement bas en 2021 : 28 371!
Mais en 2022, violent inversement de tendance avec 42 500 défaillances en France. Et 2023 s’annonce encore plus meurtrière si l’on en croit les chiffres de janvier et février. « On assiste à une explosion des chiffres, » confirme Armelle Coudene, chargée de mission à l’association 60 000 Rebonds, en Nouvelle-Aquitaine, dont les 170 bénévoles ont déjà accompagné 250 entrepreneurs « défaillants » depuis 2012.
Le remboursement des prêts garantis par l’Etat (PGE), les reports de charges sociales et la batterie de mesures fiscales qui ont permis d’accompagner l’économie pendant la pandémie, arrivent donc comme une série de missiles sur la trésorerie des entreprises. « Petit à petit on débranche les aides et c’est la chute d’un certain nombre d’entreprises, » constate Armelle Coudene.
Un mouvement qui s’amplifie et se prolonge avec la concomitance d’autres crises. La guerre en Ukraine bien sûr, avec son cortège de conséquences sur le coût des matières premières, les délais d’approvisionnement qui s’allongent et l’envol durable des coûts de l’énergie. « Le contexte n’est pas réjouissant et personne n’est en mesure de savoir quand et comment ça va se solder, » analyse la salariée de 60 000 rebonds, qui est associée au plan de relance du gouvernement aux côtés de la Banque de France, la BPI et d’autres instances économiques et financières.
Tous les secteurs économiques touchés
Cette lame de fond n’épargne aucun secteur économique. L’hôtellerie restauration s’enkyste dans des difficultés de recrutement qui peuvent mettre des entreprises en péril. Le secteur de la construction est aussi frappé. « Quand vous signez un contrat avec un certain prix des matériaux et que ceux-ci arrivent avec un gros retard et à un prix qui s’est emballé, la situation se complique mécaniquement. »
Le bien-être, le commerce de détail, le textile… Les secteurs touchés sont disparates. « Le Covid a clairement rebattu les cartes et déclenché une accélération de l’évolution de la société et une modification des façons de consommer, » poursuit Armelle Coudene en visant le développement du commerce par internet.
« On ne prévoit pas d’amélioration sensible dans les prochaines semaines, tant que les prix de l’énergie vont rester à ce niveau. En réalité c’est souvent une accumulation de faits mis bout à bout qui provoque la défaillance. Sans oublier les effets de chaine : quand un gros client ou un fournisseur essentiel disparait, pas toujours évident de s’adapter. » Du côté de la commande publique, les prestataires constatent aussi une inflexion de l’activité, les collectivités devant consacrer davantage de budget aux charges d’énergie notamment, le chauffage des bâtiments publics par exemple.
Nous avons une grosse problématique post covid avec un changement de constantes autour de la valeur de travail qui conduit un collaborateur à vous lâcher du jour au lendemain, sans autre forme de procès.
Au Pays basque, Georges Strullu, président de la confédération des petites et moyennes entreprises en Pyrénées-Atlantiques partage le constat. « C’est vrai que les dettes contractées pendant le covid sont devenues exigibles, notamment l’Urssaf qui appelle aujourd’hui les cotisations pas prélevées à l’époque. » Il évoque aussi les augmentations de prix voire les pénuries de matières premières.
Mais pour lui, la difficulté la plus imprévisible qui peut conduire à la défaillance c’est la main d’œuvre: « Nous avons une grosse problématique post covid avec un changement de constantes autour de la valeur de travail qui conduit un collaborateur à vous lâcher du jour au lendemain sans autre forme de procès. » Si les prélèvements URSSAF étaient anticipables en termes de gestion d’entreprise, « la dimension salariale était impossible à prévoir. Le fait que des collaborateurs privilégient leur confort est totalement nouveau. »
Et l’entrepreneur de pilotage maritime du port de Bayonne avec six salariés, également élu à la Chambre de commerce, de témoigner d’un sentiment de ras le bol chez les chefs d’entreprise. « A quoi bon se battre quand le prix du gaz et le prix du baril du pétrole sont bas tandis que le prix à la pompe continue à s’affoler ? Plus rien n’est corrélé avec la réalité. Aujourd’hui on subit des coûts et des taxes qui ne correspondent plus à rien. A force de faire le dos rond, on finit voutés! Certains abandonnent, lassés qu’on vienne les chercher dans le domaine de l’incompréhensible, épuisés moralement. »
60 000 rebonds se prépare à une tendance durable
L’association 60 000 rebonds se donne pour mission d’aider les femmes et les hommes à se reconstruire et à rebondir vers un projet professionnel. L’accompagnement, gratuit, est animé par des bénévoles, engagés à soutenir les entrepreneurs post-liquidation en les aidant plus vite et mieux que s’ils restent isolés. La délégation Nouvelle-Aquitaine se prépare à accompagner davantage d’entrepreneurs bénéficiaires en recrutant des coaches, des parrains et des experts sur toutes les antennes notamment les plus récentes: Dax, Mont-de-Marsan, Agen, Périgueux, Limoges. « Nous avons la volonté de mailler le territoire pour permettre à tout entrepreneur d’avoir accès à un accompagnement. » La délégation Nouvelle-Aquitaine expérimente aussi une antenne digitale, notamment pour l’Est et le Nord-Est de la région, « pour ne laisser aucun entrepreneur de côté. On sait par expérience qu’il faut entendre parler trois fois de l’association avant de se décider à pousser la porte ».