Comme au café du commerce chacun apporte son grain de sel. Tout le monde s’accorde à dire que mis à part un incident mécanique, Contador devrait l’emporter. Le Tour se joue dans les Pyrénées, mais huit secondes d’avance c’est peu et c’est rare. Suffisamment rare pour qu’on en discute tout l’après-midi ! On se souvient d’une situation analogue lors d’un duel épique entre Poulidor et Anquetil qui se solda encore par la victoire de maître Jacques. Aujourd’hui, les « Vas-y Poulidor ! » sont mâtinés d’un accent espagnol, c’est pour Alberto Contador que les coeurs battent. « Vamos Contador ! » Entre les Norvégiens aux couleurs de l’équipe Sky et les Espagnols, champions du monde toutes catégories, Maurice rêve en secret d’une victoire de Stéphane Auge, le petit béarnais de Salies. « Peut-être qu’ils vont le laisser gagner… » nous confie-t-il d’un ton un peu candide, quand tout à coup le speaker annonce une échapée du peloton. Tout le monde frissonne. Un deus ex machina qui viendrait renverser les certitudes de l’après-midi ? Maurice y a cru, mais désabusé il assure que le Tour est joué d’avance.
« A l’époque la voiture Cochonou lançait le saucisson entier, maintenant regardez ce qu’ils nous donnent, des échantillons ! »On est venu voir les héros. » Des héros qui prennent le TGV pour aller à Paris… » se plaint ce couple venu de Charente, privée de Tour de France cette année. Il ne faudra pas les rater, alors on se prépare : Armstrong c’est le 21, Andy Schleck c’est le 11 et le maillot jaune bien sûr c’est le numéro 1. En attendant les coureurs, on s’amuse à attraper les cadeaux de la caravane. Un peu pingre selon certains : « A l’époque la voiture Cochonou lançait le saucisson entier, maintenant regardez ce qu’ils nous donnent, des échantillons ! ». Soudain, le speaker annonce que les coureurs ne sont plus qu’à cinq kilomètres de l’arrivée et que Tom Cruise et Cameron Diaz seront là aussi. Deux kilomètres, la foule trépigne d’impatience. La police montée et la voiture du maillot jaune passent à toute allure. L’hélicoptère de la télévision survole Bordeaux, les gens sourient. Au loin, des applaudissements, puis c’est pour nous. On exulte, on frappe des mains contre la barrière, on hurle en espagnol et en norvégien, on essaie d’apercevoir nos coureurs préférés, mais c’est trop tard, ils sont déjà passés. Les retardataires sont particulièrement applaudis, et puis la fête est fini. Chacun rentre chez soi, les bras chargés de cadeaux avec sur le visage l’air tendre du communiant.
Photo : Thomas Guillot, Andréa Schimtz