Écrire un roman noir en milieu rural, c’est de prime abord faire la part belle à la nature, c’est aussi mettre en scène une rareté sociologique, tant nous sommes nombreux à être des urbains
et le polar suit le mouvement majoritaire.
Il faut dire l’originalité du récit de Sébastien Vidal, bref ce qu’il n’est pas : un livre qui décrirait le monde paysan, une enquête policière qui se déroulerait autour d’un crime à la campagne. Non, ce serait plutôt une œuvre de bascule, le passage à une noirceur dont on ne revient plus : de l’insouciance au poids de la brutale réalité pour quatre adolescents dans la Haute-Corrèze, une soudaine et violente plongée dans le crime pour deux jeunes adultes en cavale après un braquage sanglant. Le tout sous l’œil à la fois tranquille et sourcilleux d’un univers rural paisible, apaisant, harmonieux souvent, quelquefois mystérieux.
Ils sont quatre adolescents, trois garçons et une fille, d’une quinzaine d’années, à préparer, en ce mois d’août 1987, leur passage au lycée : dans l’oisiveté des périodes de vacances et dans le plaisir d’une amitié soudée depuis leur plus jeune âge. Il y a là Christophe, qui se fera plus
tard le narrateur de leur histoire ; Johanna, qui donne son tempo au groupe, à défaut d’en être le chef de file ; Vincent, si savant déjà sur la nature et le vivant, et subissant la violence paternelle ; Franck le plus âgé et boute-en-train.
La découverte d’un étang caché en pleine forêt va renforcer les liens entre eux, comme la confirmation d’une heureuse insouciance rendue possible par le partage secret du lieu. Des orages non désirés vont pourtant se lever sur la petite bande, bien qu’elle ait trouvé dans le propriétaire du lieu, René, un solide et solitaire quadragénaire, un tuteur et protecteur. La narration alterne cette montée de tension avec une autre : celle de la fuite de Jacques et Antonio, une sinistre et sanglante chorégraphie du crime, jusqu’à l’explosion finale.
Sans dévoiler les péripéties d’une chronique bien menée, il faut célébrer la finesse de l’étude des personnages, le parti pris original de l’enchâssement de l’action au cœur d’une nature ni indifférente, ni ténébreuse. Comme si sa prestance et son charme, voire sa majesté rendaient encore plus charnels et prégnantes les destinées tragiques des humains ici réunis. Une réussite.