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PUBLIÉ LE 13/06/2023 PAR Bernard DaguerreMarin Ledun sait se saisir des sujets d’actualité à l’intérieur comme au-delà des frontières nationales, pour en faire le carburant, souvent incandescent, de ses romans noirs. Voilà quelques années déjà, il avait écrit une solide fiction sur la guerre des polices et des barbouzes contre les nationalistes d’Euskadi à cheval sur le pays Basque des deux côtés des Pyrénées (L’homme qui a vu l’homme et Au fer rouge, éditions J’ai Lu). Avec Free Queens, on change de continent pour aller au Nigéria.
Certes, l’histoire débute en France avec la traque qui aurait pu mal se terminer pour Jasmine Dooyum : cette jeune fille échappe de justesse aux hommes de mains du réseau de prostitution qu’elle a fui. Serena Monnier, la journaliste française qui a recueilli le récit de l’adolescente nigériane décide d’aller enquêter sur place.
Le roman a le rythme d’enfer d’une immersion totale dans ce pays, le plus peuplé du continent africain, aux villes-mondes comme Lagos la capitale économique, Kaduna la métropole du nord du pays, terre d’Islam qui se vit comme délaissée, en marge de la vitalité flamboyante du Sud. Le livre est un mélange détonnant d’analyse journalistique solidement documentée et de péripéties d’un choc frontal entre un système politioco-économique corrompu, violent et tout puissant, et la population qui le subit et les quelques forces dont celle, autonome, des femmes nigérianes qui s’y opposent.
Le représentant de commerce hollandais d’une internationale du commerce de spiritueux appuie le développement bien compris d’une bière locale, la First ; les potentats locaux de la firme MB Nigeria Inc assoient leur pouvoir sur le monopole de la boisson, diffusée partout où c’est possible, par une armada de jeunes prostituées, enrôlées pour en accompagner la consommation dans boîtes de nuit, bars et bistrots…. Contre cette féroce exploitation sexuelle au service du profit, se lèvent les Free Queens, association militante de défense des femmes au Nigéria, livrant un combat opiniâtre contre l’exploitation de leurs sœurs. Ce sont elles qui vont aider Serena Monnier dans son enquête.
Marin Ledun décrit avec force un système où il peut dire des enfants d’un village financé par la branche santé de MB : « Tous connaissaient déjà le goût amer la bière et de la misère ». Il évite les pièges faciles de l’angélisme, de la dénonciation bien-pensante d’un univers imaginaire où tous les voyants, les bons comme les mauvais, sont allumés et clairement identifiés. Il le fait notamment par la mise en place de personnages masculins moins d’une pièce qu’il n’y paraitrait. Que ce soit Oni Goje, policier intègre et révolté qui mène son enquête envers et contre tous pour offrir la justice, au-delà de leur mort, à deux prostituées sauvagement assassinées par les sbires du pouvoir ; qu’il s’agisse de Corey Stander, garde du corps de la journaliste, ancien mercenaire dont la clairvoyance sur l’issue du combat difficile de sa cliente frôle le cynisme ; ou même Ira Gowon, chef des flics, abominable voyou au service des puissants en même temps que combattant dévoyé croyant servir sa région, ils ont leur poids de chair dans le cheminement chaotique d’une impossible vérité, d’une improbable justice.
Quant à la journaliste, seule Blanche au milieu des Noirs, ce que lui rappelle avec une gentille malignité ses compagnes de combat, elle est comme l’image en miroir de l’écrivain qui s’aventure et défriche pour nous le paysage d’une poignante fiction.
