C’est un roman en forme de poupée russe dont les parties s’emboîtent parfaitement les unes aux autres. C’est une fiction traduite de l’américain, s’il faut en croire la présentation qui en est faite ; il est vrai que ce mélange de réalisme et de naïveté dramatiques qu’on trouve chez les personnages, fait sacrément penser aux œuvres- à tort ou à raison- de là-bas.
Ce n’est pas seulement parce que l’histoire se déroule sur le territoire des États-Unis, qu’elle en épouse pas mal des soubresauts récents. Prenez par exemple le jour de la naissance du héros qui donne son titre au livre, le mystérieux Philip-Joseph Deloncle : ça se passe à Dallas au moment même où le président Kennedy est assassiné, victime d’un complot dont on n’a pas encore fini de mettre à jour tout l’écheveau maléfique, le narrateur y ajoutant une brassée complémentaire. C’est une des forces du livre que de mélanger à plaisir les éléments d’un contexte général connu et dans le même temps de livrer des éléments complotistes, comme un miroir à peine déformant du climat politique actuel des États-Unis.
Une ténébreuse affaire
Se dessine en même temps le portrait du virtuose inventeur Philip- Jo ; il a repris, nous apprend-on, les travaux de Nicolas Tesla, souvent présenté comme le malheureux rival de Thomas Edison ; il aurait retrouvé le principe de l’énergie libre, inventé le walkman et aussi un puissant stimulant d’activité sexuelle, ancêtre du viagra. Bref, dans quel domaine scientifique, n’a- t-il pas fait, dès son plus jeune âge, des prouesses ? On sait dès les premières pages qu’il connaît un destin tragique, à 34 ans ; parce que, se confie-t-il à futur beau-frère, Garry Sanz : « Il y a des forces qui agissent dans l’ombre. des courants très puissants, et profonds. Ce sont eux qui nous dirigent, en réalité. Ce sont eux qui influent sur le sens de nos vies. Les décisions. Les ordres. Le contrôle… Le véritable pouvoir, il est là. Caché. Et sans limites. La police n’est qu’un de leurs nombreux instruments. Ils ont des antennes et des tentacules partout ». Le roman est une recherche sans fin de la vérification de son hypothèse ; déjà persuadé d’être poursuivi par les exécutants anonymes autant qu’efficaces d’un vaste complot dirigé contre son génie, il veut en convaincre Garry. Lequel raconte son odyssée, entachée d’épisodes criminels. Puis c’est au tour d’un certain Dipak Singh, étudiant parti enquêter sur ce même Garry Sanz, condamné à mort, de présenter ses doutes et ses convictions . Mais des indices d’une remise en cause des faits avérés dans la partie précédente s’accumulent… de sorte que se dessine petit à petit la recherche d’une vérité toujours plus ondoyante ; au total cinq récits de narrateurs différents, accentuant à chaque fois le doute du lecteur.
Roman de la défiance et de l’incertitude, en effet, et de la manipulation, thèmes brillamment développés par l’auteur. Mais aussi une narration placée presque en permanence sous le signe de l’ironie distante, accentuant de l’effet d’équivoque des partis-pris tranchants des personnages. Dans ce théâtre d’ombres où la certitude lumineuse jamais ne surgit, on aura aussi plaisir à suivre leurs tribulations amoureuses poignantes autant que les péripéties de leurs aventures à rebondissements incessants : et c’est ainsi que Marcus Malte est grand, nous baladant dans son infernale machine romanesque, ludique en même temps que tragique.