Jean-Marc Pesques, le nouveau responsable de l’antenne Génicart depuis un mois, présente Domofrance et la rénovation du quartier : « Beaucoup de ces tours et barres ont été construites dans les années 1960 pour reloger les rapatriés d’Algérie. Aujourd’hui on ne construit plus de grands ensembles, on essaie de rendre la ville aux habitants, que l’environnement soit un peu moins dur, un peu moins dense. C’est pourquoi en novembre 2006, une convention de rénovation urbaine a été signée à Génicart. »
Mais les participants ne sont venus écouter des idées générales. Ils veulent obtenir des réponses aux questions concrètes qu’ils se posent qui tournent autour de ces deux interrogations : « Quand ? » et « Où ? » leurs familles seront-elles relogées ? Car depuis quelques temps rues Garosse et Rousseau, où les barres d’immeubles doivent être détruites, le rythme des relogements baisse et les familles vivent dans des bâtiments à moitié vide. M. Rodeau, chargé du relogement Génicart, assurent que les familles de l’immeubles Garosse seront relogées « cet l’été ou à la fin de l’année », mais, ajoute-t-il, « je manque cruellement de logement neufs ».
Une femme intervient : elle ne veut pas aller dans le neuf qui coûte plus cher, elle veut de l’ancien. M. Rodeau insiste sur les avantages du neuf, mieux isolés, mieux insonorisé, on entend moins la rue, les voisins… De plus, quand le loyer augmente, les APL suivent souvent, il faut évaluer le coût du loyer résiduel. « Il faut que chacun trouve un arrangement « dans la limite du raisonnable » », avance-t-il sans convaincre. Pour beaucoup, l’affaire est entendue, les logements neufs sont plus chers, à cause de l’individualisation de la facture d’eau et de gaz. (lien : intro Génicart)
Les conditions du relogement pas toujours très claires
Plusieurs questions abordent les conditions du relogement, notamment pour les faibles revenus. M. Rodeau explique que la loi ANRU prévoit 6 mois de délai et impose une seule proposition de logement adapté. « Domofrance fait mieux. C’est pour cela que je suis là. Je fais jusqu’à trois proposition. Je n’impose rien, on fait ça en douceur. »En ce qui concerne les délais, il ne peut pas traiter tout le monde en même temps. Il lui reste une quarantaine de familles à reloger à Garosse. « 7 à 8 familles sur 10 sont très attachées à la commune. J’ai des logements ailleurs mais je comprends que les gens veulent rester à Lormont. Garosse, c’est essentiellement des T4, il y a donc beaucoup de demandes de T4 ou de T5 mais il y en a peu actuellement. Ils vont être construits. » (lien : fiche pratique conditions du relogement)
La taille des logements
C’est sur cette question que se focalise l’attention : il y a peu de logements neufs de prévus avec 4 pièces et encore moins de 5 pièces. Les famille nombreuses, ce qui est souvent le cas des familles d’origine étrangère, ont l’impression d’être les oubliés de la rénovation urbaine. M. Pesquès explique : « Pourquoi ne construit-on pas beaucoup de T5 aujourd’hui ? La réponse tient à la logique : les études statistiques et démographiques montre que la tendance est à la réduction de la taille de la famille, avec au maximum deux enfants. On construit pour un siècle, donc on anticipe. La grande majorité de la demande est pour des petits logements. » L’argument suscite l’incompréhension. Un locataire s’exclame : « C’est donc pour envoyer les familles nombreuses, ailleurs, plus loin ! » Un autre renchérit: « Moi j’ai 5 enfants et mon fils, il ne va en faire que 2 ? ! Il va en faire peut-être plus, alors il va loger où ? ». L’incompréhension s’installe, le responsable de Domofrance insiste sur les études statistiques mais les locataires parlent de leur situation actuelle. Une femme prend la parole : « Aujourd’hui la préoccupation des gens, et des familles nombreuses, c’est de trouver un lieu de vie dans de bonnes conditions. Ils ne veulent pas être expatriés, il y a la question de l’école, de la famille, du réseau social, du travail qui n’est pas loin, parfois. »
Un locataire avance qu’avec la situation économique actuelle et l’important taux de chômage sur la ville, il y a peu de possibilités pour que les aînés puissent trouver un appartement. S’ils se marient, cela fera une personne de plus à la maison. Comment faire alors,s’il n’y a pas de grands logements ? M. Rodeau dit qu’il est possible de faire dans ce cas des « décohabitations », c’est-à-dire répartir une famille dans deux ou trois logements. « Malheureusement, il n’y a pas assez de logements. Je ne peux le faire que dans les cas critiques ».
Le rêve du « pavillon social »
Arrivée en retard, M. B. est cependant bien décidé à se faire entendre. Cela fait 10 ans qu’il demande un T5. Il voudrait avoir aujourd’hui pour sa famille nombreuse une maison. Il accuse Domofrance de la lui refuser et de vouloir le mettre devant le fait accompli « où vous prenez ce qu’on vous propose, ou vous dégagez ailleurs ». Une vive discussion s’ensuit avec le responsable de Domofrance qui connaît bien son cas : « Des T5 ou T6, il n’y en a pas, il n’y en a plus. Il faut être raisonnable, vous avez un 77 m2 aujourd’hui, on vous propose un 112 m2 à Lormont en appartement et vous refusez, une maison à Ambarès et vous refusez. Vous discutez aussi le prix. On ne peut pas avoir une maison, neuve, pus grande pour moins cher ! » M. B. n’en démord pas, il estime qu’il a droit à une maison, que cela fait des années qu’il attend et il veut rester à Lormont. Le ton monte, le responsable de Domofrance l’accuse de « vouloir profiter du relogement ». Deux logiques s’affrontent, difficilement conciliables. En créant de nouvelles opportunités, le GPV a aussi ravivé de légitimes attentes qui ne seront sans doutes pas toutes comblées. Alors que toute la société ne jure que par la maison individuelle et que le gouvernement veut faire de chaque Français un propriétaire, les familles modestes ont pu caresser un moment le rêve d’habiter un pavillon, que cela soit en location ou en accession. La réalité reste plus dure. M. Rodeau soupire : « il n’y a pas de pavillon disponible à Lormont pour l’instant. »
Même pour un appartement, les tarifs restent chers : pour un F4, il faut compter plus de 150 000 euros, soit avoir des revenus mensuels de 3000 à 3500 euros.
Eloigner les « cas soc’ » ?
Un locataire synthétise le sentiment de beaucoup de participant : « La mixicité sociale, on l’entend dans les médias mais on ne la voit pas autour de nous. On a l’impression qu’on essaie de mettre les « cas sociaux » plus loin ».Il réclame aussi des espaces pour mieux vivre ensemble, dans la diversité culturelle, ethnique et sociale : des salles de réunion, des salles polyvalentes pour les mariages. « Les problèmes vont s’aggraver, il faut prévoir des pôles d’activité pour toute une jeunesse ». Une des responsable de l’association qui accueille la réunion soupire « Même l’Ajahg ne sait pas où elle va aller, une fois les tours détruites… » M. Pesquès répond « Nous ne sommes que des bailleurs sociaux, on gère les logement le petit commerce. Cette question dépasse notre compétence. Cela relève de la politique de la ville dont nous sommes une composante parmi d’autres. »
Vincent Goulet
Photographie : Alban Gilbert