C’est une profession ingrate, l’histoire est bien connue depuis que les auteurs de romans noirs américains s’en sont emparés. L’introduction du personnage dans la littérature de genre française remonte- pour le dire vite- à Jean -Patrick Manchette et à son héros, Tarpon, (Morgue pleine 1973) un ancien gendarme reconverti difficilement dans les filatures. Peut-être le narrateur lui rend-il hommage, que ce soit à travers la banalité de son annonce professionnelle (« Cabinet Fulmard Assistance. Renseignements &Recherches, Litiges &Recouvrements, Promptitude &Discrétion. ») qui renvoie à la carte professionnelle du héros de Manchette (« Eugène Tarpon enquêtes, filatures, discrétion »). Ou encore considérant l’étroitesse de son local professionnel, à partir d’un aménagement sauvage de son minuscule appartement de deux pièces et demi, à l’identique de l’espace exigu dont souffrait déjà le héros de Manchette pour exercer son métier. Mais là encore, le thème se clôt, les clients se faisant trop rares pour démarrer une enquête et, partant, une intrigue policière.
Le récit bifurque encore : on visite la cuisine interne d’un petit parti soupçonné d’extrême droite, avec un aperçu peu ragoutant de son fonctionnement : enlèvement de la secrétaire générale, statut d’amoureux transi du président qui aime une jeunesse, sa belle-fille. Fulmard, bien malgré lui, par le truchement de son médecin psychiatre, va se trouver au centre des manipulations et misérables jeux de pouvoirs enfantins, mais dangereux, de cette bande de bras cassés. Voilà résumée à grands traits l’intrigue du livre d’Echenoz. La multiplication des fausses pistes est manifestement un élément moteur du roman. Quel sens peut alors donner le lecteur à ce récit ? « Il y a longtemps, disait Jean-Patrick Manchette (encore lui), que le roman à énigme s’est fait cravater. À son tour, le polar à l’américaine est entré en agonie. Certains de ses soubresauts sont plaisants. ». Manchette écrivait ceci à propos du premier roman de Jean Echenoz, Le Méridien de Greenwich. Bien des années après, que dire alors de cette Vie de Gérard Fulmard ? Eh bien, que l’impasse paraît totale et que le cadavre du roman noir ne bouge désormais plus de manière exquise.
Une fois que table rase est faite, et du sens de l’histoire, et des personnages, pitoyables ou grotesques, il reste à l’auteur de jouer avec les mots, de déployer une extraordinaire richesse lexicale, d’accumuler de bien plaisantes ruptures de ton. Il y parvient, trouvant ainsi une complicité manifeste avec le lecteur, parfois renvoyé devant une condition d’élève découvrant un texte littéraire dont il lui faut impérativement louer la beauté et l’élégance. C’est ainsi que gisent désormais, dans la châsse un peu vaine d’une prose brillante, les reliques du roman noir.