Interview: Jean-Charles Leygues : « l’intégration européenne n’est pas la priorité des États de l’UE »


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Interview: Jean-Charles Leygues : "l'intégration européenne n'est pas la priorité des États de l'UE"

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 22/06/2015 PAR Romain Béteille

@qui ! – Il y a deux mois, 900 migrants mouraient dans le naufrage d’un chalutier au large de la Libye. Depuis, les drames se sont multipliés, et l’Europe semble impuissante. Existe-t-il une « solution européenne ? »
Jean-Charles Leygues
 – Le drame actuel qui se déroule en méditerranée mélange à la fois l’immigration régulière pour des raisons économiques et les gens qui fuient des zones de guerre, notamment dans le Moyen-Orient (Irak, Afghanistan, Pakistan, Erythrée, Syrie). L’Union Européenne n’a pas de compétence institutionnelle en matière de droit d’asile. Le traité n’autorise pas à dire qui relève du droit d’asile et qui n’en relève pas. La compétence va à chacun des gouvernements nationaux, qui décident de la quantité de personnes qu’ils prennent ou pas. Ca n’a pas empêché la commission de Mr Juncker, il y a quelques semaines, pour essayer de se coordonner avec les gouvernements, de proposer qu’il y ait une répartition (ou un quota) la plus équilibrée en fonction de la richesse de chacun des pays, de leurs traditions, etc. Cette discussion a été refusée car d’ordre politique. La France et l’Allemagne ont dit « occupez vous de ce qui vous regarde ». La négociation a évolué ces derniers jours, et la Commission devrait arriver à un consensus, à une acceptation de prise en charge, avec des critères qui seront certainement ajustés. Mais il faut savoir que les critères sont déjà très stricts. En France, la Cour de Justice spécialisée qui statue sur les droits d’asile en accorde deux sur dix personnes qui entrent dans le pays. L’Allemagne est un peu plus ouverte, de même que les pays scandinaves, mais ça va changer. Un accord politique, et non pas juridique, est cependant en train de se réaliser. 

@! – Le fait que l’accord soit politique et non pas juridique, c’est donc une faiblesse pour vous ?
J-C L.
– C’est évidemment une faiblesse majeure. L’Union Européenne n’existe que lorsqu’il y a du droit et des règles qui s’appliquent ; des règles qui ont été décidées par les Etats voire par le Parlement Européen. Comme pour le cas de la zone euro, tant qu’aucune règle juridique n’engage chacun des États, c’est évidemment plus difficile d’appliquer les décisions. L’Union n’a pas non plus de compétence militaire ou de police. Cependant, l’agence Frontex, incluse dans l’Espace Shengen, a été créée pour aider les administrations des États et les accompagner dans le contrôle et intervenir en accompagnement de ce que font les administrations de chaque pays. L’Union a donc un pouvoir très limité. Jean-Claude Juncker, dans sa répartition, s’est adressé uniquement aux gens relevant du droit d’asile, soit le nombre le plus faible de migrants. C’était évidemment volontaire : il s’agit d’un grand élément de sensibilisation par rapport à nos valeurs et c’est plus facile d’organiser de la coopération pour un nombre de personnes limité qui sont incontestables par rapport aux droits qu’ils portent. Concernant la migration irrégulière, elle dépend essentiellement de l’évolution économique et démocratique des pays dont les migrants sont originaires. 

@! – Frontex a récemment renforcé sa surveillance en Méditerranée d’ici l’été. Mais Frontex a-t-elle un pouvoir réel sur la situation ?
J-C L. 
– Simple image : regardez la dimension territoriale des frontières extérieures de l’Union : elle est de l’ordre d’environ 60 000 kilomètres, et environ 20 000 kilomètres pour la seule partie sud. Le budget de Frontex, à l’origine, était de 60 millions d’euros par an pour accompagner les gardes frontières avec quelques hélicoptères civils. Devant le drame, les Etats membres ont décidé d’en tripler le budget, en le passant à un peu moins de 200 millions d’euros par an (le budget mensuel est en effet passé de 3 à 9 millions en avril dernier sous l’impulsion de l’Union Européenne). Il leur a été alloué, via des accords avec les administrations nationales. Finalement, Frontex finance aussi l’intervention des Etats pour soutenir leur action budgétaire. Parler de son échec, c’est très facile pour les hommes politiques ou les médias, mais la compétence principale relève de l’armée et de la police de chaque état frontalier extérieur. Dans cette situation, Frontex n’est malheureusement qu’une petite goutte d’eau…

@! – Pourquoi ce rôle si mineur, avec la situation actuelle, où près de 2000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée depuis janvier dernier ?
J-C L. – La réponse est malheureusement assez simple. Pour l’instant, nos États font le choix politique de dire que l’intégration européenne n’est pas leur priorité, en tout cas moins que leur souveraineté nationale. Schengen a prévu qu’en cas de crise, chacun des pays membres peut refermer sa frontière pour des immigrations irrégulières… Comme toujours, la politique ne donne des choses concrètes que lorsqu’il y a des règles. Pour l’instant, aucune décision stratégique n’a été prise par la Commission Européenne. Nous sommes débordés par l’effet de masse, comme c’est le cas dans le sud de l’Italie. Nous faisons également face à un débat idéologique souvent nauséabond… La situation invoque une émotion légitime et interpelle les opinions publiques, notamment en France, sur la réelle détermination du pays d’accueillir les gens ou à les mettre dehors. 

L’info en plus : Une rencontre est prévue fin novembre au sein de Sciences Po Bordeaux pour la cinquième année consécutive, autour d’un grand sujet de débat dans l’actualité européenne. Pour l’édition 2015, le thème choisi est bien évidemment… l’espace Schengen. 

M.A.J : Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne a lancé ce lundi 22 juin une opération « EU Navfor Med », mission navale de lutte contre les passeurs. Écouter et analyser les mouvements des trafiquants, et détruire à termes les embarcations principales, aussi appelés « bateaux mères » qui servent à tracter les radeaux de fortune. La Navfor pourra intervenir au sein même des eaux territoriales lybiennes, « soit via l’autorisation de l’ONU soit via celle du gouvernement lybien », selon le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian. On  n’exclue pas ainsi des frappes aériennes visant directement les caches des passeurs.

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