Interview: Éric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions : « le service public doit rester indépendant »


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Interview: Éric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions : "le service public doit rester indépendant"

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 09/10/2015 PAR Romain Béteille

@qui! – Dans une lettre adressée aux administrateurs du groupe France Télévisions en septembre dernier, Delphine Ernotte, fraîchement élue présidente, alerte sur le déficit prévisionnel pour 2016, chiffré à 50 millions d’euros. Sur quoi va se baser la stratégie des prochains mois ?                                                                                                           

Éric Scherer – ll y a une toute nouvelle équipe à France Télévision. Pour l’instant, elle travaille sur sa stratégie. Je pense qu’on en saura plus lors des assises qui devraient durer jusqu’à la fin de l’année. Il y aura un contrat d’objectif et de moyens qui sera signé avec l’Etat. Ce que l’on peut déjà dire, c’est qu’elle va au moins passer par une chaîne d’info sur les supports numériques, essentiellement mobiles. Une autre partie se situera probablement autour de la refonte de notre plateforme de vidéo à la demande et en différé, Pluzz, avec une nouvelle version améliorée et enrichie pour être plus conforme aux nouveaux usages. Le mobile est devenu un axe puissant de la stratégie numérique des groupes de télé aujourd’hui, puisqu’environ la moitié du trafic en ligne des programmes viennent de là. 

@qui!Dans un manifeste paru en 2011, vous parlez de « Journalisme 2.0 ». Vous avez fait une grande partie de votre carrière à l’étranger ou le journalisme, notamment sur le web, est plus valorisé qu’en France. Pour vous, par quoi passerait cette « mise à jour » du métier ?  

Éric Scherer – Il faut faire revenir les audiences, rendre le journalisme plus pertinent et les médias plus intéressants. Aujourd’hui, ils sont confrontés à une concurrence pour le temps d’attention du public qui n’a que 24 heures. On a de plus en plus de sollicitations dans la journée pour des manières très différentes de s’informer. Les médias et les journalistes doivent retrouver une crédibilité et une confiance qu’ils n’ont plus, notamment en ce qui concerne le « journalisme augmenté ». La valeur ajoutée de ce type de journalisme passe par un effort considérable à mettre pour donner du sens à ce qui est en train de se passer, expliquer la mutation de la société, tenter de comprendre le monde qui vient. Nous sommes en train de vivre une mutation extraordinaire, de basculer dans un monde nouveau avec de nouvelles règles économiques et politiques beaucoup plus horizontales. Les rédactions ont parfois du mal à expliquer et à rendre compte de ce qui se passe parce qu’elles le font parfois avec des outils du siècle dernier et des mentalités du passé. Médiapart a trouvé son modèle économique. Le Monde est en train de réussir son pari puisqu’il engrange de plus en plus d’abonnés numériques. Le Figaro vient de racheter avec son capital pas mal de nouveaux sites web situés à l’extérieur du groupe qui vont faire en sorte qu’il devienne le premier média numérique français, grâce à l’addition d’audiences numériques cumulées qui fait qu’ils pourront financer le journalisme par des activités tierces. Car ce métier n’a jamais été financé tout seul par sa qualité mais toujours par des petites annonces, des publicités, des choses tierces. 

@qui!On voit s’étaler dans les médias les affaires internes de Canal Plus et du groupe Bolloré, les inquiétudes grandissent sur la censure publique et un amendement européen sur le secret des affaires : Un ouvrage intitulé « Informer n’est pas un délit », rédigé par 16 journalistes d’investigation, est sorti ce mois-ci en librairie. Vous même prônez l’investigation, l’enquête comme un des quatre fondements du métier alors qu’il y a de moins en moins d’investigation dans le journalisme traditionnel. Faut-il voir le journalisme comme « une entreprise comme les autres ? » 

Éric Scherer – Je ne pense pas. L’investigation est bien sûr la partie noble du métier; elle consiste à essayer de dévoiler des choses que d’autres essayent de cacher; ça fait partie intégrante de la mission du journaliste. Le problème c’est que ça peut coûter cher, ça demande des ressources et les médias traditionnels sont aujourd’hui sous une pression économique très forte et ont de moins en moins de capacités à financer ces enquêtes au long cours qui coûtent cher et demandent des ressources humaines ou technologiques importantes. Je pense que le service public a un rôle très important à jouer dans cette investigation et ce travail d’enquête. Ce n’est pas un hasard si des émissions comme Cash Investigations ont du succès. Le service public doit rester indépendant du pouvoir politique en place, de l’économie (car non financé par la pub), de ses banquiers ou de ses annonceurs. Parce qu’il est financé par les citoyens, il a cette mission encore plus grande que les autres d’enquêter. Il a un peu plus de ressources, il est moins pressé par les bénéfices ou la bourse, ne doit pas forcément montrer qu’il doit être rentable (même si c’est son objectif) et qu’il doit cracher du profit. La censure existe malheureusement souvent dans les médias qui dépendent beaucoup de la publicité et des annonceurs. Elle existe tout de même mais lorsqu’on est journaliste et qu’on a une carte de presse, notre travail c’est d’essayer de faire en sorte qu’il y ait une barrière étanche forte, une « muraille de Chine » avec la partie commerciale du journal ou de la télévision. Et que l’on puisse mener à bien ces enquêtes. Il y a aujourd’hui certains propriétaires de journaux qui ne pensent pas de la même façon. Je pense que dans ce cas là, leur crédibilité journalistique risque d’être rapidement entachée…

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