Immigration : tribune libre


DR

Immigration : tribune libre

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 29/12/2007 PAR Nicolas César

 


«On est confronté à une industrialisation de l’éloignement»



Vendredi, les sans-papiers en grève de la faim au centre de rétention du Mesnil-Amelot ont été dispersés dans différents lieux de rétention. Ils ont lancé un appel au secours. Ce genre de mobilisation reste pourtant rare…


Laurent Giovannoni : C’est la démesure de la politique d’expulsion qui provoque cette colère, cette exaspération. Les gens savent qu’ils sont les victimes de l’obsession du chiffre, des quotas d’expulsion à atteindre. Les situations personnelles et familiales sont négligées par l’administration qui « ramasse » tous azimuts. L’un des deux centres de rétention de Vincennes a été incendié par des retenus au début de l’année. On a relevé aussi deux suicides en rétention ces derniers mois. Ce qu’on n’avait pas vu depuis dix ans. Vendredi, le centre de rétention de Nîmes a connu aussi un début de révolte.


Où en est-on des objectifs chiffrés?


La photo est difficile à faire. Une partie de la machine suit. Mais certains fonctionnaires, policiers ou magistrats, considèrent qu’on leur demande un travail qui n’est pas le leur. Parallèlement, on a augmenté le nombre de places en rétention, par l’ouverture de trois nouveau centres cette année. On approche des 2.000 places en Centre de rétention administrative (CRA), sans compter les locaux de rétention – une centaine en France. Des moyens supplémentaires sont engagés pour permettre à la machine administrative de gérer plus d’expulsions et de renvois. 400 à 500 places nouvelles sont encore attendues. On est confronté à une industrialisation de l’expulsion. Les modalités d’interpellation ont aussi évolué. Les arrestations au domicile sont devenues quotidiennes, alors qu’elle étaient encore rares l’an passé. Plus de trois cent mineurs ont été conduits en rétention avec leur proches en 2007. Ces faits, qui étaient considérés comme exceptionnels auparavant, deviennent le lot quotidien de la rétention.

Quel est le statut des locaux de rétention?


C’est le brouillard. Initialement, il s’agissait de locaux transitoires, des sas, avant la conduite au Centre de rétention. Aujourd’hui dans certains endroits, des personnes peuvent être amenées directement à l’avion, sans passer par les centres. C’est très problématique. Dans la plupart des lieux, seule la police est présente. Et nous n’avons aucun contrôle sur ce qui s’y passe. C’est très souvent une garde à vue qui ne dit pas son nom. Certains locaux – comme à Nanterre – sont des centres déclassés. A Choisy-le-Roi, ce sont des cellules. La communication avec l’extérieur est aléatoire, sinon impossible. C’est pourquoi nous demandons la fermeture des locaux de rétention.


Vous avez lancé aussi une pétition contre le projet de directive européenne sur la rétention et l’expulsion des étrangers…


Ce texte est dangereux parce qu’il ouvre la voie à l’enfermement comme principe de gestion des personnes migrantes. Il prévoit que la durée de rétention pourrait aller jusqu’à dix-huit mois. On envisage d’enfermer l’étranger en situation irrégulière en attendant de voir ce qu’on fait. C’est-à-dire en attendant de savoir si l’étranger fait ou fera l’objet d’une décision de refus de séjour, on l’enferme et on le prive de liberté. On ne comprend pas comment tous les groupes représentés à la commission
des libertés civiles du Parlement européen – y compris ceux de gauche – ont pu approuver ce document. Le vote du Parlement a été repoussé à plusieurs reprises, mais il pourrait intervenir fin janvier. L’argumentation de certains parlementaires consiste à dire que ce texte est susceptible d’améliorer les conditions de rétention dans certains pays, comme la Grèce, Malte ou Chypre.


Assiste-t-on par là à une internationalisation des politiques de contrôle et de répression de l’immigration ?


De plus en plus de mesures sont prises au niveau européen. Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux ont annoncé qu’ils allaient proposer, au second semestre 2008, un pacte européen sur l’immigration. Ils envisageraient notamment l’interdiction de procéder à des régularisations massives. Ceci dit, malgré la démesure de la politique répressive en France, les textes et les pratiques sont dans certains pays européens beaucoup plus dégradés qu’en France.


Dans votre rapport 2006 – remis cet automne – vous n’hésitez pas à dire que « certains centres ont été transformés en de véritables camps »…


C’est un mot qui est tabou en France, mais à l’étranger tout le monde parle de camps. Le mot camp est tabou pour les mêmes raisons que le mot rafles. La rétention, c’est quoi ? Théoriquement, c’est priver quelqu’un de liberté le temps strictement nécessaire au renvoi. Le camp institue la privation de liberté comme mode de gestion des personnes migrantes. C’est une forme d’industrialisation de l’éloignement. A cet égard, la construction de centres de grande ampleur, comme celui prévu à Roissy, de plus de 200 places, est très inquiétante. C’est une mécanique froide qui n’est pas là pour apprécier les situations personnelles, mais pour atteindre des résultats chiffrés, des quotas d’expulsion.


A Rivesaltes, le centre de rétention s’est d’ailleurs bâti à quinze kilomètres de toute agglomération, à l’endroit précis du camp du même nom, où les juifs et les républicains espagnols avaient été enfermés. Cette construction date de1984, sous la gauche…


Le symbole est tragique. C’est comme s’il n’y avait aucune conscience de l’histoire.
Propos recueillis par KARL LASKE
La pétition contre le projet de directive sur la rétention et l’expulsion des personnes étrangèressoumis au Parlement européen est à signer à cette adresse : http://www.directivedelahonte.org/

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle !
À lire ! SOCIÉTÉ > Nos derniers articles