Entretien : Jean-Pierre Le Goff – Ces villages qui perdent leur âme


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Entretien : Jean-Pierre Le Goff - Ces villages qui perdent leur âme

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 20/03/2014 PAR Jean-Jacques Nicomette

Ce chercheur au CNRS a été accueilli au Parvis 3, à Pau. Il a aussi été reçu à Caubios-Loos  par l’ADER, une association et une  coopérative spécialisée dans le développement rural. Le moins que l’on puisse en dire, c’est que la langue de bois n’est pas sa tasse de thé.

En prenant l’exemple de Cadenet, une commune  du Vaucluse, Jean-Pierre Le Goff  rappelle dans son livre que plusieurs révolutions ont profondément modifié l’esprit de village. « Un espace où les habitants étaient liés par des traditions, une histoire commune, une façon de vivre ensemble le passé, le présent et l’avenir. Même si la vie était rude, et  si ce mode de vie  avait un prix » explique-t-il à Aqui. « C’était un certain esprit de clocher, un manque d’ouverture, et un poids de la collectivité sur les individus qui se traduisait par le regard des autres et les commérages. »

Un lent repli sur soiAprès-guerre, la modernisation de l’agriculture a réduit le recours à la main-d’œuvre familiale, ainsi que les moments de fête liés au travail. L’irruption de la société de consommation et de loisirs a ensuite amené les habitants à se détacher de « la première patrie » que constituait leur village. Tandis que la télévision et la voiture favorisaient le repli sur soi.

Certes, la désertification des zones rurales a provoqué dans les années 70-80 un retour à la campagne des « soixante-huitards  en quête d’authenticité ». Mais, s’il a pu redonner vie à certains villages menaçant ruine, ce phénomène, illusoire par certains côtés, n’a rien résolu. Les néo-ruraux, devenus rurbains,  travaillent désormais en ville, habitent au vert, et chacun reste chez soi. Quant à la flambée des prix des terrains et des maisons provoquée par le développement du tourisme de masse, elle a amené des populations aux mentalités très différentes à se côtoyer. Sans partager pour autant « la communauté de destin », et les solidarités de jadis.

Aujourd’hui, sur un même territoire, on trouve des très riches qui ont là leurs résidences. Mais aussi  une classe moyenne qui, une fois la journée de travail finie, « se barricade chez elle  dans une forme de repli sur le privé ». Viennent enfin des très pauvres, victimes de la « déglingue ». C’est-à-dire d’une « lente décomposition, résultat de trente ans de chômage et d’individualisme de masse ».

« Qui va décider ? »« Les maires doivent gérer tout ça. Ce n’est pas simple » dit Jean-Pierre Le Goff. Avant de constater que les  les élus sont également obligés de répondre  à une demande relevant  de la démarche du client-roi : « Qu’est-ce qu’on fait  pour les enfants, les loisirs, les transports ?  » Et l’on en passe .  Rien de simple lorsque les règlementations se font de plus en plus contraignantes. Et que le principe de précaution est érigé en absolu dans des communes  où le moindre incident peut se retourner contre les édiles. « Beaucoup d’entre eux disent avoir les mains liées. »

L’émergence des Communautés, Pays,  et autres territoires mutualisés soulève une autre question : « Le fait de rajouter un échelon pèse sur les plans locaux d’urbanisme. Or les gens qui viennent habiter un village le font avec un certain rapport à l’environnement. La grande peur, c’est que l’on construise autour de chez eux. Qui va décider ? Il faut être attentif à ces questions. On ne peut pas réduire la politique à une pure affaire de gestion fonctionnelle, en oubliant le rapport très particulier que les habitants ont avec un territoire donné. Cela peut déboucher sur une technocratisation. »

Bref, le village et l’esprit qui l’anime vont-ils être noyés dans des ensembles plus vastes et encore plus impersonnels ? « Tout n’est pas si noir » a réagi  ces jours-ci un habitant d’une modeste commune du Nord Béarn. Il a en effet souligné  la vitalité de certaines  associations, l’enthousiasme dont font preuve chez lui les nouveaux venus, et le lien que les animations auxquelles ils participent peuvent générer sur le plan local.

L’emploi, qui change le regardLorsqu’on lui oppose l’argument, Jean-Pierre Le Goff ne nie pas l’utilité de telles initiatives. Mais, s’il estime ne pas avoir de solutions toutes faites, le sociologue pense que  l’essentiel n’est pas là . Il tient selon lui à la nécessité de mettre l’accent sur l’activité économique et l’emploi.  Car, dans une société où le fossé ne cesse de se creuser entre les nantis et les exclus, le travail amène chacun à retrouver une forme d’estime de soi. « La culture ne remplacera pas le chômage. Si les gens ont un emploi, ils n’ont pas le même rapport aux animations. Ils sont dans un état d’esprit totalement différent. La tâche fondamentale des élus est, selon moi, d’œuvrer à la remise au travail des catégories défavorisées. »

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