Entreprises de Nouvelle-Aquitaine : quatre pépites dans un « océan bleu »


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Entreprises de Nouvelle-Aquitaine : quatre pépites dans un "océan bleu"

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Temps de lecture 11 min

Publication PUBLIÉ LE 08/11/2019 PAR Romain Béteille

Originairement parisienne et créée il y a six ans, la cérémonie des Blue Ocean Awards a donc choisi Bordeaux pour s’externaliser. Avant de rentrer plus dans le détail et expliquer la démarche des quatre lauréats, on voulait quand même donner quelques précisions sur le nom de cette cérémonie. Les Blue Ocean Awards se basent sur le principe économique de « l’océan bleu » théorisé par deux enseignants chercheurs à l’INSEAD (Institut européen d’administration des affaires), le sud-coréen W. Chan Kim et l’américaine Renée Mauborgne, qui basent leur doctrine sur l’innovation par la valeur créer par des entreprises qui vont chercher de nouveaux marchés grâce à des produits ou services qualifiés de « divergents ». L’Océan Bleu est opposé au rouge, stratégie économique plus traditionnelle et offrant un produit de base qui répond à une demande spécifique, le tout en très forte concurrence (les smartphones, par exemple). Le belge Gunter Pauli qualifie lui d’économie bleue l’innovation par le biomimétisme (s’inspirer du vivant) à une vaste échelle de production. Là où les deux théories divergent, c’est que le second sert de vulgarisateur à une théorie bien plus complexe qui constitue en fait la création d’une nouvelle demande dans un marché autrement cloisonné. C’est ce qu’ont en commun, pour le jury qui a délibéré lors de cette première édition bordelaise, les quatre lauréats qu’on vous présente ici.

Le « Baby »

La première entreprise de notre liste s’appelle Toopi Organics, et est installée au sein de la pépinière d’entreprises de Langon depuis sa création en février 2019. Elle est la moins avancée des quatre dans son processus commercial, mais pas la moins intéressante dans l’idée qu’elle propose : transformer l’urine humaine en biofertilisant agricole. Ses trois fondateurs Pierre Huguier, ingénieur et titulaire d’un doctorat en écotoxicologie, Michael Roes créateur de l’ancêtre de Toopi Organics, une société d’engrais baptisée Mr-Organics et Mathieu Préel, loueur de toilettes sèches, sont partis d’un constat simple. Chaque année, la population française produit 30 milliards de litres d’urine humaine. Cette urine contient du potassium, de l’azote et du phosphore, éléments essentiels à la fertilisation des sols et des cultures agricoles. En août dernier, on apprenait que plusieurs ingénieurs et chercheurs s’y étaient penchés et avaient démontré que l’urine était une « alternative crédible » aux produits chimiques, à condition bien sûr d’être stabilisée, dépolluée et enrichie en microorganismes comme espère le proposer Toopi Organics après avoir fabriqué sa première usine de transformation d’une capacité estimée à 180 000 litres (objectif pour l’instant fixé à 2020). 

Où compte-t-elle la ramasser ? Dans des laboratoires d’analyse, des hôpitaux, des festivals et auprès de collectivités. En ce moment même, les fondateurs de l’entreprise militent au niveau européen pour faire reconnaître l’urine comme un engrais, et obtenir un fertilisant biologique livrable et commercialisable auprès des coopératives agricoles et des fabricants d’engrais. En attendant, Toopi Organics a déjà largement été identifié par les acteurs institutionnels : elle a (entre autres prix) été lauréate en juillet du concours national de la Fabrique Aviva dans la catégorie « environnement et transition énergétique ». À la clé, 65 000 euros pour financer une partie de l’usine de transformation citée plus haut. Pour valider la solidité de la proposition, des chercheurs de Bordeaux Sciences Agro et de l’INRA ont testé le premier biostimulant à base d’urine humaine proposée par Toopi sur des cultures de maïs et de vigne. Les résultats sont surprenants, même pour le co-fondateur de la société. « On a testé notre produit sur 140 plants de vignes sous serre en pot, dans des conditions de réel stress hydrique. On s’est rendus compte qu’avec notre engrais, on avait besoin de l’arroser deux fois moins qu’avec les autres engrais témoins ». Selon les résultats des différentes études, on découvre que le biostimulant à base d’urine augmente la biomasse du maïs de 60 à 110% de plus par rapport à un engrais minéral classique et qu’il permet aux feuilles de vignes de mieux résister à la sécheresse (+22%).

Toopi Organics

Crédit photo : Toopi Organics

« Quand nos concurrents exploitent commercialement des données scientifiques, c’est toujours le témoin non-fertilisé contre le fertilisé, c’est pour ça qu’ils annoncent des gros chiffres. De notre côté, sur le témoin non fertilisé, on doit être entre +350% et +600% de biomasse. Même nous, on n’est pas capable aujourd’hui d’expliquer une bonne partie des résultats. Pour les conditions d’études de l’INRA, les recherches portaient sur une thèse et ont surtout servi, via un processus de remplacement de l’azote minéral par de l’urine, de test de toxicité. « Ça a montré que par rapport à de l’engrais minéral, on fait au moins aussi bien. On destine notre produit à une utilisation comprise entre dix et vingt litres par hectare en moyenne. Le test de l’INRA, c’était 12 000 litres par hectare ». Autrement dit, « c’était vraiment pour voir si on n’avait pas tout brûlé… » termine Michael Roes. Dans le Libournais, Toopi Organics a monté une « filière pilote » dans le but de transformer l’urine récoltée en additif agronomique pour alimenter le compost produit par le SMICVAL (service de collecte des ordures ménagères). Le projet, auquel les viticulteurs locaux sont apparemment favorables, devrait démarrer par un premier essai visant à valider la future distribution de compost additivé. Il est prévu avant la fin de l’année.

Le « Mentor »

Derrière Wave Bumper, vainqueur bordelais dans la catégorie « mentor » cette année, il y a une histoire. Celle de Romain Chapron, constructeur de bateaux sur l’Île d’Oléron et La Rochelle puis de planches de surf dans le Pays Basque. L’intéressé raconte qu’il est rentré complètement par hasard dans cet « océan bleu, sans imaginer une seconde ce que je fais aujourd’hui. La start-up a été créée en 2017 mais la réflexion derrière ce qui est présenté comme un système de digue amovible pour protéger les communes littorales du risque de submersion marine. Entre 2013 et 2014, les tempêtes Hercule, Petra et Christine ont causé de lourds dégâts sur le littoral français. « En 2014, quand j’ai vu les dégâts des tempêtes sur le casino de Biarritz, j’ai simplement dessiné une pièce dans le but de le protéger, je n’imaginais pas qu’il y aurait un marché derrière. À l’époque, Biarritz faisait des dunes de sable devant le casino pour le protéger. Je leur ai expliqué mon procédé. Ils ont trouvé ça intéressant et à chaque alerte météo, j’ai participé avec eux à des installations en observateur. Mes remarques, notamment sur les big bag (sacs à gravats), ont été prises en compte. Un jour, un big bag a éclaté après l’impact d’un déchet flottant. Je suis rentré chez moi et j’ai fabriqué le premier prototype. Pendant plus de deux ans, la ville m’a laissé tester mes prototypes au milieu de leurs big bags. Je n’imaginais pas qu’on allait protéger la plage d’à côté. Il y a eu un effet boule de neige mais pas la volonté de créer une activité océan bleu ». Biarritz a donc servi de ville pilote et c’est grâce à ces expérimentations que la société a été créée il y a deux ans et que la commune a signé une convention de recherche pour installer le dispositif sur 25 mètres devant l’Hôtel du Palais. 

 Wave Bumper

Crédit Photo : Wave Bumper

C’est là qu’il faut vous essayer de vous décrire les « prototypes » de Wave Bumper dont parle Romain Chapron. Si vous savez à quoi ressemble une rampe de skate, alors vous avez à peu près l’idée. Sauf que c’est un peu plus compliqué dans la pratique. Même s’il en existe différents modèles (à Biarritz, par exemple, ce sont des modules brevetés de déflecteurs incurvés fabriqués en matériaux composites qui sont associés à des sacs lestés de sable), le principe est le même pour tous. « Tous les modèles s’appuient sur la même courbe. Elle paraît très simple mais elle a été composée en plusieurs éléments avec des rayons de courbure bien spécifiques qui lui donnent une efficacité pour diminuer la puissance de l’impact et des charges sur la paroi que la vague va percuter. Ça permet de renvoyer une partie de l’énergie de la houle vers le haut et vers l’arrière et de créer une accélération de la nappe de retrait pour la masse qui n’est pas montée. Autrement dit, la masse d’eau ne s’accumule pas mais repart plus rapidement et créé une zone d’impact décalée pour la vague suivante ». Nous voilà en 2019 et Wave Bumper est, de l’aveu même de Romain Chapron, peu développée sur les fronts de mer de la côte atlantique, en tout cas bien moins que sur la côte méditerranéenne. « Les besoins y sont bien plus importants parce qu’il n’y a pas de marées. Du coup, les constructions et l’approche du littoral ont été très différentes sur les années passées. On se retrouve avec des constructions de bord de mer qui sont très proches voire sur les plages. La façade atlantique est essentiellement constituée de dunes : sur la zone landaise par exemple, il y a peu de choses à faire à part de la protection dunaire ».

Pour autant, quelques exemples locaux existent, notamment sur l’Île d’Oléron (en renforcement dunaire), Arcachon et le Cap Ferret. Concernant le Pays Basque, l’agglomération « n’a pas encore réussi à se mettre en accord. Mais avec 42 kilomètres de côtes, on a identifié un potentiel de marché ente 1,5 et 2 millions d’euros. Au-delà de nos frontières locales, en revanche, les choses bougent : Wave Bumper a été reçu par le Ministère de la Transition Écologique espagnol à Madrid début septembre et figure dans le catalogue des préconisations de dispositifs à mettre en place face au risque de submersion marine. La Bretagne et le Nord sont aussi intéressés, et Wave Bumper devrait recevoir dans quelques semaines l’aval du bureau des ingénieurs de l’armée américaine, qui pourrait lui ouvrir des portes outre-Atlantique. « Il y a un moment où la côte aquitaine verra que ça fonctionne ailleurs. L’important, c’est de faire vivre l’entreprise et de prendre les marchés qui sont devant nous, quitte à aller les chercher ailleurs… ». Selon les données de l’Observatoire de la Côte Aquitaine, 10,9 kilomètres carrés (environ 991 terrains de football) sont exposés à l’aléa érosion sur la côte sableuse à l’horizon 2025 et 20,6 km carrés à l’horizon 2050.

Le « Legend »

Dans cette catégorie, qui désigne les entreprises de plus de deux ans, c’est la société VeraCash, dont le siège social est basé à Bordeaux, qui a reçu le premier prix local. Elle a été créée à l’origine avec un produit physique (en 2012) : une carte de paiement non-bancaire adossés à de l’or et à de l’argent. La carte s’est transformée en entreprise (VeraCash, donc), née dans la tête de Jean-François Faure, déjà créateur en 2009 de la société AuCOFFRE.com, une plateforme d’achat et de vente de pièces entre particuliers : des pièces physiques, stockées en majorité au Port Franc de Genève. Les deux sociétés ont un point commun : aucune des deux, tout comme c’est le cas pour les cryptomonnaies, ne reposent sur un système monétaire classique. Par un procédé de transmutation, Veracash permet de transformer l’or (bijoux, lingots, pièces) en or ou argent liquide, consommable avec la carte dédiée ou une application mobile. La promesse du « zéro frais bancaires » ne se heurte qu’au procédé d’oxydation mis en place pour les détenteurs d’un compte : une pénalité de 0,02% de la valeur du compte par jour si ce dernier reste inactif pendant plus de six mois, et ce afin de « montrer que l’or et l’argent peuvent êtres des matières dynamiques qui soutiennent l’économie réelle » comme l’explique l’entreprise sur son site internet.

Jean-François Faure et VeraCash ont obtenu un premier « Blue Ocean Award » il y a deux ans à Paris. Il explique : « notre cible, c’est majoritairement les jeunes, les expatriés ou les personnes qui ne veulent pas avoir une banque ou de l’argent qui dort sous le matelas. On leur fournit une épargne de bonne qualité et utilisable en liquide à tout instant. Avec ce prix, on a pu rationnaliser notre discours et notre offre s’est recentrée. On a aujourd’hui environ 20 000 clients et de vraies opportunités qui se dessinent : un arrondissement parisien nous a sollicité pour créer pour eux une monnaie complémentaire et des groupes industriels veulent aussi développer leur propre monnaie ». Interrogé sur son chiffre d’affaire réel, il évoque une consolidation à 30 millions d’euros à la fin de l’année 2019. Et s’il vise un marché plutôt national, européen, voire international, le PDG bordelais ne s’interdit plus de parler d’une potentielle entrée locale. Fin novembre, VeraCash présentera son propre token, le Vera One. Pour ceux qui ont décroché au fond, un token, c’est un actif numérique, comme le Bitcoin ou d’autres cryptomonnaies. « VeraCash a des ambitions internationales même si la majorité de nos clients restent français. On a créé un club ATM avec des entrepreneurs locaux et on est en train de mettre en place une blockchain régionale. Ça va nous permettre de vendre de l’or auprès de la communauté utilisant la cryptomonnaie sous forme de tokens ou de quelque chose qui puisse s’intégrer dans une blockchain. Ce token sera donc adossé à de l’or et créé aux côtés d’une plateforme dédiée. On a développé une pièce de 1g, notre token a le même nom que notre pièce, ça permet aux gens de comprendre que c’est du physique, de la monnaie réelle ». 

Le « Sociétal »

Comerso

L’entreprise qui a reçu le prix sociétal, si vous nous lisez depuis longtemps, vous la connaissez déjà. Elle s’appelle Comerso et on avait fait le portrait de ses deux fondateurs agenais et nantais en 2016 avant de refaire le point avec François Vallée, son directeur commercial, à l’occasion du salon Vivatech en mai dernier. Fondée en 2013, elle s’était au départ fixée un but simple : récupérer auprès des supermarchés les invendus alimentaires proche de leur date de péremption et les redonner à des associations caritatives. L’astuce commerciale, c’est que le business profite aussi aux géants de la grande distribution, puisqu’elle leur permet d’éviter des frais de destruction mais aussi de bénéficier d’un crédit d’impôt (à 60% de la valeur du don) au titre du don alimentaire.

« En sachant qu’un tiers de la production mondiale finit aujourd’hui à la poubelle, on peut dire que l’océan est très vaste et que nous nous sentons souvent bien seuls », déplore ainsi Céline Rigaudie, responsable du développement commercial et l’une des 35 salariés de Comerso. « Pour être solidaire, il faut un vrai modèle économique. On n’a pas réinventé ce que font les associations depuis trente ans avec les faibles moyens qu’elles sont, elles sont des partenaires importants depuis le début. Mais notre pays est assez favorable en termes de fiscalité. On incite donc les clients à mieux valoriser leurs déchets via le gain fiscal et une économie d’échelle qui permet de créer de la valeur pour les clients et les associations qui nous accompagnent. En gros, c’est une niche fiscale pour réaliser des économies d’impôts », termine-t-elle, en oubliant d’ajouter que la vocation est éminemment sociale.

Sociale, certes, mais pas altruiste non plus. Aujourd’hui, Comerso est avant tout un business florissant : l’entreprise revendique soixante tonnes de marchandises sauvées par jour, 26 millions d’euros de « gains » cumulés par ses clients et un véritable statut de plateforme digitale et logistique de valorisation des invendus et des déchets alimentaires. Comerso envisage aussi sérieusement de s’ouvrir au marché non-alimentaire. La future loi sur l’économie circulaire, actuellement en débat au parlement, pourrait notamment servir de porte d’entrée, en sachant que sur le seul marché français, comme le précise une étude parue en 2014, on estime 630 millions d’euros la valeur des produits neufs détruits chaque année.

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