Conséquences de la guerre en Ukraine en agriculture


Problèmes de trésorerie, manques de production, concurrence nouvelle, réaction des consommateurs : les agriculteurs ne sont pas épargnés par les conséquences de la guerre en Ukraine.

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Agriculture en Nouvelle-Aquitaine

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 04/04/2022 PAR Solène MÉRIC

Au-delà du drame humain qu’elle porte, la guerre en Ukraine est aussi un séïsme pour la planète agricole. Les professionnels de Nouvelle-Aquitaine n’y échappent pas. A l’heure de la prochaine campagne de culture, l’horizon décrit par Bertrand Dumas, chargé d’études Economie Prospective à la Chambre régionale d’agriculture paraît sombre pour la majeure partie de la profession. D’ores et déjà impactée par la forte hausse des coûts de production. L’inquiétude est majeure pour le secteur de l’élevage.

« Le premier point de blocage, déjà très sensible, c’est l’augmentation des coûts de l’énergie, en agriculture comme ailleurs. Sur certaines activités, il y a besoin de chauffage dans les bâtiments ou bien de séchage pour d’autres types d’activité », illustre Bertrand Dumas qui rappelle qu’il y avait déjà une hausse sur les prix du gaz, avant la guerre. Dans une motion en date du 17 mars dernier, les élus de la Chambre régionale d’agriculture pointaient aussi une inquiétude concernant spécifiquement le Gazoil non routier (GNR). « La crainte de pénurie conduit les fournisseurs à contingenter les livraisons ce qui a pour effet d’amplifier la crainte de pénurie des agriculteurs et augmente artificiellement les tarifs », soulignaient-ils.

Engrais : « un prix délirant »
A celà il faut ajouter l’augmentation vertigineuse du prix des engrais, un poids lourd sur les coûts de productions de nombreux exploitants. « Ukraine et Russie, sont deux acteurs majeurs concernant ce type de produits. Avec cette situation de conflit, il y a forcément un déséquilibre entre l’offre et la demande, sachant que des tensions pré-existaient déjà à la guerre ». Au 28 mars, l’engrais azoté s’affichait à 1200€/t. « C’est un prix délirant, c’est 5 fois plus élevé que le prix habituel », indique Bertrand Dumas.

Résultat de cette hausse généralisée des charges : « le prix des produits va augmenter, et pourrait in fine faire baisser la consommation, affectant au passage les ventes et chiffres d’affaires de nos exploitations. Tout dépend du comportement de nos concitoyens sur la priorisation de leurs achats »

Mais l’heure n’est pas vraiment à l’optimisme. Surtout en cas d’extension ou d’enlisement du conflit indique l’expert : « Comme pour la crise covid, il y aura moins d’entrain sur la consommation, et les exports seront moins dynamiques. » Dans cette hypothèse les activités de Nouvelle-Aquitaine orientées sur des produits haut de gamme et en grande partie commercialisées sur le marché export, en souffriraient.


L’élevage concentre les inquiétudes
Cependant, le secteur néo-aquitain qui semble concentrer les inquiétudes est celui de l’élevage, très dépendant des grains. « On alimente nos canards et nos bovins avec du maïs, nos ovins et bovins avec des céréales, nos porcins aussi et avec beaucoup de tourteau de tournesol, dont notre principal fournisseur était l’Ukraine. Face au manque des productions russes et ukrainiennes, on a des prix qui augmentent sur les marchés mondiaux. D’une certaine façon, « tant mieux » pour nos producteurs céréaliers, mais pour nos éleveurs ça devient très compliqué : ils vont devoir faire face à une très forte augmentation des coûts d’alimentation. »

Une crainte d’autant plus importante qu’elle pourrait s’inscrire au long cours : « nous ne sommes pas face à une flambée des cours. Ca pourrait durer. » Et la liste des inquiétudes ne s’arrête pas là pour les systèmes d’élevage ; la qualité des fourrages à venir est encore en suspens : « en ce moment les nuits sont froides et il manque de pluie : ce n’est pas bon pour la pousse de l’herbe. On n’est vraiment pas serein. Des exploitations, dont beaucoup sont dans des situations économiques difficiles, pourraient ne pas tenir le choc ».

Elevage race bazadaiseAqui.fr

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A moyen terme : un possible « effet domino »

Au-delà de cette inquiétude à court terme sur les conditions de production de la prochaine campagne, l’expert de la chambre d’agriculture met en garde face à un possible « effet domino ». « Les productions européennes qui avaient comme débouchés l’Ukraine et/ou la Russie, voient se fermer ces solutions d’exports. » Résultats, les pays producteurs vont certainement amener ces volumes supplémentaires, sur les marchés intra-européens. « Par exemple la pomme polonaise qui partait beaucoup sur l’Ukraine, va venir en concurrence de nos productions locales. Il y a des questions aussi par rapport aux productions porcines notamment. » Sa crainte à moyen terme : « une embolie du marché de certaines productions ».

Cela dit la logique fonctionne à l’inverse pour d’autres productions. Les solutions exports se multiplient pour les céréales parce que Ukraine et Russie étaient deux acteurs majeurs sur ces grandes cultures. « En raison de la situation, ils ne vont pas livrer. Or, leurs clients majoritaires, des pays du Magreb jusqu’en Egypte, sont à la recherche de solutions alternatives ». Alternatives qu’ils vont devoir payer au prix fort.


« Redonner de l’air aux exploitations agricoles »
Au regard de la somme des risques possibles, les élus de la Chambre régionale d’Agriculture ont, lors de leur dernière session, adopté une motion à destination du gouvernement pour amoindrir les conséquences de ces hausses. Outre le déblocage des livraisons de GNR pour les entreprises agricoles et para-agricoles par les fournisseurs, les élus demandent que le remboursement de la TICPE (taxe sur les produits énergétiques) soit anticipé « pour redonner de l’air aux exploitations agricoles ». Autre mesure espérée: « le bénéfice d’un chèque énergie à destination des exploitations agricoles, déjà fragiles économiquement ».

A ces demandes, le gouvernement a dans la foulée annoncé la création de deux enveloppes d’aide : une de 25 M€ pour soutenir les producteurs face à la hausse du coût de l’énergie, et une seconde de 400 M€ à destination des éleveurs, face à la hausse des coûts de l’alimentation.

Au-delà des mesures d’urgence, et dans un contexte qui met en exergue la dépendance du système français aux hydrocarbures russes, la profession néo-aquitaine demande aussi à ce que « les projets comme la méthanisation pour produire du gaz vert, le photovoltaïque sur les bâtiments agricoles ou encore le développement de biocarburants à partir de la production agricole pour se substituer au gasoil ou à l’essence, soient facilités et accompagnés».


« L’agriculture, c’est un paquebot »
Enfin, « afin de contribuer à la souveraineté alimentaire française, européenne et mondiale », la profession appelle à la possibilité de valoriser les surfaces non-productives telles les jachères, pour compenser en partie les pertes de production liées à la guerre en Ukraine. Un souhait entendu et partagé par le gouvernement qui a relayé la demande acceptée au niveau européen… en contradiction avec les principes posés par la PAC.

Culture de maïsAqui.fr

Culture de maïs

Une mesure que Bernard Dumas salue, non sans une certaine réserve sur son efficacité réelle : « La mise en place de nouvelles cultures a de l’intérêt, mais il faut que le monde agricole soit capable de répondre. Ca ne va pas se faire en un claquement de doigts : il faut avoir les semences et l’engrais, dont le tarif interroge. Beaucoup de céréaliers ont anticpé et stocké avant la très forte hausse des prix. Si on leur demande de produire plus, en occupant plus de surfaces, ils n’auront pas les intrants disponibles ou les achèteront au prix fort. Et s’ils ne les achètent pas, ça pourrait à terme créer des manques de productions. L’agriculture, c’est un paquebot qui ne change pas de cap comme ça. »

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