Asile européen : la Cimade à l’assaut d’une « machine infernale »


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Asile européen : la Cimade à l'assaut d'une "machine infernale"

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 25/04/2019 PAR Romain Béteille

C’est un rapport qui a indéniablement parfaitement choisi son moment pour tomber. Un mois avant les résultats des élections européennes, l’association Cimade (qui accueille chaque année plus de 100 000 personnes migrantes, réfugiées ou en demande d’asile) publie un constat, entre chiffres, observations (à la fois dans les permanences et dans les centres de rétention) de terrain et témoignages, sur ce qu’elle a baptisé « la machine infernale de l’asile européen ». Sur une soixantaine de pages, le rapport national dresse un constat très critique à l’égard de la procédure Dublin, mise en place dans les années 80 et ayant pour principe qu’un seul Etat de l’Union Européenne est responsable de la demande d’asile d’un ressortissant étranger, dans l’idée d’interdire la demande d’asile multiple. Les chiffres français prouvent que le contexte géopolitique a une incidence forte sur cette mesure : le ministère de l’Intérieur dénombrait en 2015 25 963 saisines pour un peu moins de 12 000 en 2011. En 2017, on comptait sur 121 200 demandes, 41 500 personnes concernées par cette « procédure Dublin » (soit environ 30%), contre 22 000 en 2016 et 11 700 en 2015. Quant aux transferts, on en comptait 2633 en 2017 (soit 9% des 29 713 accords). 

Administration VS Humains

Derrière ces chiffres précis, le rapport de la Cimade dénonce surtout « l’absurdité d’un système » qui, selon le rapport rendu par l’association, ne fonctionne pas. Pierre Grenier, délégué régional de la Cimade, assure que ce « principe de solidarité est un jeu de dupes dans lequel chacun se renvoie la balle et joue de sa souveraineté, ce qui a au final pour résultat d’affaiblir le droit des personnes qui sont en demande de protection, c’est un système de plus pour dissuader de demander l’asile ». Les images de la crise migratoire de 2015 ne sont pas si loin, mais le nombre de personnes « dublinées » n’en a pas pour autant baissé, au contraire : il est passé de 6000 personnes en 2014 à 45 000 en 2018.

En plus de dénoncer un parcours assimilé à une « course d’obstacles » (notamment dans les multiples dispositifs d’accueil mis en place comme les hébergements d’urgence ou le Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile, le PRAHDA), le rapport de la Cimade n’hésite pas non plus à revenir sur les effets psychologiques induits par ce « système de tri ». Pour Damien Junca, de Médecins du Monde (qui reçoit aussi les demandeurs d’asile dans des permanences), « ça crée une précarité énorme et ça a un impact psychique considérable. Dans nos centres de santé, on croise beaucoup de gens dublinés qui viennent et ne veulent pas repartir ». « L’expulsion se fait aussi par d’absurdes ricochets », affirme Pierre Grenier, « la France envoie des afghans en Suède ou en Allemagne, deux pays dans lesquels on peut expulser vers l’Afghanistan, tout en mettant en avant que ces renvois ne représentaient pas de risques ».

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Positions sur l’échiquier

En France, en 2017, « près de la moitié des personnes demandant l’asile n’obtiennent pas de place d’hébergement dans le dispositif national d’accueil. Les personnes dublinées n’échappent pas à la règle et nombreuses sont celles qui survivent à la rue ou grâce aux réseaux de solidarité », poursuit le rapport en évoquant les différentes étapes d’une « machine infernale » qui a, selon l’association, manqué le coche de la réforme du régime d’asile européen initiée en 2016. Le sujet n’est pas anodin, surtout dans cette période d’élections. Du côté de la gauche (France Insoumise, EELV, PS et PCF), on appelle clairement à la fin du règlement de Dublin et à son remplacement par un nouveau système ayant pour socle la solidarité européenne dans l’accueil. Pour le candidat Glucksmann, on parle d’un « régime d’asile européen ». De la poudre aux yeux pour Pierre Grenier. « Le système d’asile européen existe déjà, c’est celui-ci, mais il est revu, réadapté par les pays en fonction de leurs choix politiques et de leurs orientations, il prend en compte les différentes caractéristiques des États membres, c’est d’ailleurs là où le bât blesse. La Hongrie a accueilli environ 30 000 demandeurs d’asile en 2015. Un an après l’élection de Victor Orban, on est sur 500 demandes d’asiles officielles. Ce serait intéressant de voir ce qu’entendent ces candidats lorsqu’il parlent de régime d’asile européen… ». Du côté droit, c’est plutôt la réduction et le contrôle renforcé des frontières qui est de mise, et c’est plutôt les accords de Shengen que la procédure Dublin que l’on veut supprimer (le RN veut par exemple l’arrêt de l’immigration légale, LR veut des gardes-côtes européens pour empêcher les entrées illégales). Enfin, LREM parle davantage d' »office européen de l’asile » et de renforcement des frontières extérieures.

Espoirs, recommandations et attente

La Cimade, elle, à partir des analyses qu’elle fait du système d’accueil français, y a aussi ajouté dix recommandations à l’adresse de la France et de l’UE, dont on peut retenir quelques pistes, notamment la mise en place d’un système d’asile européen « fondé sur le respect des droits fondamentaux des personnes en quête de protection et sur la solidarité européenne devant tenir compte des préférences de la personne qui sollicite l’asile selon ses attaches familiales, ses compétences linguistiques ou son projet personnel », l’harmonisation des procédures d’asile dans l’ensemble des pays membres, abandonner l’idée de « pays sûrs » harmonisée et validée par l’OFPRA, user plus régulièrement de la clause de souveraineté (comme en Allemagne, par exemple) pour « permettre aux personnes en quête de protection de déposer leur demande dans le pays où elles se trouvent », supprimer l’empilement des différents dispositifs d’hébergement (comme ils sont détaillés dans le schéma régional des demandeurs d’asile), renoncer aux « hotspots » ou encore « mettre fin à toute forme d’enfermement et de contrôle ». Politiquement très orientées, ces conclusions trouvent en tout cas un écho dans l’actualité locale récente, depuis que treize maires de grandes villes (dont Nicolas Florian, le maire de Bordeaux) et de différents bords politiques ont interpellé le gouvernement dans une lettre ouverte pour dénoncer les « conditions indignes » des demandeurs d’asile en France.

« Malgré les dispositifs mis en place par l’Etat et les efforts réalisés en matière de création de places d’hébergement, les besoins restent largement supérieurs à l’offre. De nombreuses collectivités ont su expérimenter des dispositifs et peuvent être force de proposition », précise ce document datant du 23 avril dernier, demandant explicitement une audience auprès des ministres de l’Intérieur et du logement. Les exemples de solidarités très locales, en effet, existent. À Bayonne, ou de nombreux exilés affluent en passant par cette « nouvelle route des migrants« , un collectif militant, avec l’appui de la mairie a décidé de créer un accueil d’hébergement d’urgence dans un bâtiment désaffecté qui reçoit entre 100 et 200 personnes par jour depuis fin novembre sous la direction d’une association et de quelque 350 bénévoles. Les dépenses sont en grande partie supportées par la communauté d’agglomération. Face à ce qu’il considère comme un « échec des politiques migratoires », le maire de Grande-Synthe (Nord) a créé en septembre 2018 l’association nationale des villes et territoires accueillants, qui affirment clairement le rôle des municipalités dans l’accueil des migrants (et l’expérimentation de dispositifs d’accueils propres). Selon une carte réalisée par l’association, seule la ville de Bègles en Nouvelle-Aquitaine figure parmi les adhérents, preuve que la marge est encore grande…

L’association Médecins du Monde, elle, estime entre 1000 et 2000 places nécessaires sur la métropole bordelaise. Décentraliser (ou régionaliser) l’expérimentation de dispositifs d’accueil ou les demandes d’asile ? Pour la Cimade, le combat a l’air encore loin d’être gagné : début avril, le Conseil d’État a rejeté les requêtes de l’association dans le Loiret, région dans laquelle un arrêté a accordé à la préfecture régionale l’examen des dossiers déposés dans l’ensemble des départements. « La logique administrative ne fonctionne pas. Le nombre de sans-papiers est toujours sensiblement le même, les demandes de protection connaissent des pics en fonction des crises mais restent globalement stables. En Gironde, huit personnes s’occupent exclusivement des personnes placées en procédure Dublin. Un véritable accès aux services publics et un seul type de lieu d’accueil uniformisé serait préférable, mais apparemment, ce n’est pas vraiment dans l’air du temps ». Pour savoir si la tendance pourrait s’inverser, il va sans doute au moins falloir attendre les résultats du scrutin des européennes…

L’info en plus : le rapport est consultable dans son intégralité sur www.lacimade.org.

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