Agriculture en Nouvelle-Aquitaine : une année « difficile et disparate »


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Agriculture en Nouvelle-Aquitaine : une année "difficile et disparate"

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 14/01/2020 PAR Romain Béteille

Début d’année inquiet pour Dominique Graciet, président de la Chambre d’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine. Dans une perspective de baisse des revenus pour les agriculteurs (résultat brut par actif non salarié en baisse de 6,6% selon des chiffres prévisionnels publiés le 10 janvier dernier) après un résultat net par actif familial en hausse de 17% en 2018 (et de 25% en Nouvelle-Aquitaine), le responsable local a assez largement commenté la conjoncture agricole 2019, pas forcément rassurante pour l’ensemble des filières économiquement (et celà sans compter le phénomène de sécheresse qui a notamment frappé le Sud-Ouest), malgré des exceptions.

Une année « difficile et disparate »
« 2019 a été une année difficile et disparate suivant les filières, avec globalement un élevage qui souffre (moins de naissances et un volume de production d’animaux en baisse de 7%). On a un peu d’optimisme sur la filière ovin lait (hausse des volumes de +2% et, malgré un repli sur la fabrication de fromage de brebis de 2,5%, de bonnes perspectives sur le maintient du prix du lait) et caprin lait (-3% en volumes livrés mais hausse du prix du lait de +2%). La production de lait de vache a connu une amélioration légère suite à la loi Egalim, mais elle n’est pas à la hauteur des espérances (-5,3% sur la collecte annuelle, accentué à -7,4% sur le Sud-Ouest). Par contre, les bovins viande continuent de subir une crise économique avec des perspectives bouchées par les accords signés. Le Limousin et la Charente limousine se relèvent difficilement des sècheresses passées. On est un peu pessimiste ».
Du côté des ovins, la consommation affiche une baisse de 5%, 3,2% pour l’achat au détail sur la filière porcine malgré une demande à l’export en hausse (+7% au global, +38% vers la Chine). Les volailles grasses ont pour leur part connu une baisse des importations (-44%) plus importante que celle des exportations (-6%). Enfin, à l’inverse du national (-2,8%), les abattages régionaux sont en hausse en 2019 (+1%), les importations en hausse (+6%) contrairement à un export en moins bonne santé (-13%).
« Sur les grandes cultures, on a eu de très bons rendements mais avec une baisse des prix, sans doute compensée par les rendements mais on n’est pas non plus très optimistes. Sur le viticole, il y a une crise du marché à Bordeaux (-16% en sortie de chais, -12% à l’export, -14% sur le marché intérieur) mais le cognac continue sa progression » (autant en volumes à +2,5% qu’en valeur à +6,9%), poursuit l’élu.

Contexte incertain

Alors même que le CETA, l’accord de libre échange entre l’Union Européenne et le Canada n’est encore ni digéré ni ratifié (même si Emmanuel Macron a réaffirmé le soutenir), le monde agricole, plusieurs mois après la grogne qui l’a agité un peu partout en France, ne semble pas encore prêt à faire l’impasse. « On s’estime trahis par ces accords (notamment le CETA) qui importent des viandes moins-disantes en termes de cahiers des charges et viennent concurrencer directement ce que l’on fait de mieux dans notre agriculture régionale. Ils sont également incohérents avec les États généraux de l’alimentation qui demandaient à l’agriculture d’élever son niveau de qualité contre une rémunération qu’on n’a toujours pas. Parallèlement, on laisse l’Europe importer des produits qui viennent directement concurrencer l’offre. Il y a de l’agribashing, tout le monde regarde à la loupe les conditions de production agricole dans les exploitations dans l’agriculture française. On aimerait que l’ensemble de l’opinion publique, pas seulement les écologistes d’ailleurs, soient aussi difficiles sur les produits importés qu’ils le sont sur les conditions de production en France. Il s’instaure une distorsion de concurrence qui joue contre l’agriculture française et ses progrès par rapport à l’environnement et son insertion dans la société ». 

Les progrès sur l’environnement, c’est d’ailleurs l’un des principaux enjeux du projet stratégique de mandature des Chambres d’agriculture régionales pour la période 2019-2025. Réseaux DEPHY; GIEE, projet Vitirev, nouvelles perspectives pour le HVE, feuille de route NéoTerra, accompagnement financier régional à la transition… Les exemples ne manquent pas, et parmi les objectifs figurant dans ce plan, on trouve notamment l’engagement dans les énergies renouvelables (68 unités de méthanisation en fonctionnement en 2019 en Nouvelle-Aquitaine), notamment en prônant la construction d’un « schéma de développement du photovoltaïque agricole » en Nouvelle-Aquitaine ou un objectif d’accompagnement de 6000 agriculteurs à la conversion bio d’ici 2025. « L’agriculture régionale a adopté NéoTerra dans sa feuille de route pour les cinq ans à venir, c’est une échéance 2030 pour laquelle nous sommes déjà à pied d’œuvre. La manière de repositionner l’agriculture par rapport aux enjeux actuels du changement climatique. On a pris le problème à bras le corps, il nous faut le soutien de l’opinion publique pour continuer à investir dans le bon sens. La première contrainte pour l’investissement reste la condition économique des exploitations et non pas la volonté des agriculteurs de s’adapter ». 

Lutte sociétale

Car l’un des plus sérieux moutons noirs de Dominique Graciet, dont il parle à l’envie, c’est l’agribashing. Interrogé au micro d’RTL ce lundi, l’ancien ministre de la Transition Écologique Nicolas Hulot dénonçait une « désespérance réelle du monde agricole ». En décembre dernier, la préfecture de Gironde a mis en place un « Observatoire de l’agribashing », au départ demandé par le ministère de l’Agriculture et de nouveau par le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner à la veille d’une manifestation du monde agricole en novembre. Si la mise en place de ce nouvel organe divise, notamment au sein des organisations syndicales agricoles, son objectif de « lutte contre la stigmatisation » et de « détection des menaces » ne manque pas de poser question sur son application concrète, y compris pour Dominique Graciet. « J’attends une prise de conscience des problèmes qui se posent », argumente-t-il lorsque ledit observatoire est évoqué. « Les agriculteurs sont en train de perdre un peu de la fierté d’exercer ce métier, c’est une conjonction de faits entre l’économie et la place dans la société où l’agriculteur, au lieu d’être nourricier, devient un pollueur, ce qu’il vit très mal. Un observatoire, c’est bien mais les fake news des réseaux sociaux et les insultes ou dégradations méritent d’être condamnées. On est très attentif à l’attitude de l’État, la dissuasion et la sanction seraient sans doute plus efficaces pour revenir à des choses sensées. Il y a trop de monde qui occupe le terrain sur le dos de l’agriculture pour se faire de la notoriété avec des pseudo-associations extrémistes, la vérité n’est pas là. Le soutien de l’agriculture dans l’opinion publique est de près de 80%, mais c’est une majorité silencieuse. Dans les 20% qui restent, il y a des insultes qui n’ont pas lieu d’être. L’offre française, de bien meilleure qualité par rapport à celle des autres pays, mérite un prix, des conditions de travail et des retraites décentes pour les agriculteurs ».

Pas question non plus pour lui de pointer du doigt la hausse des ventes des pesticides en France en 2018 (+21%). « On est en train de raisonner en tonnages et de manière globale, mais l’utilisation va vers des produits moins impactants, notamment le biocontrôle utilisé à des quantités supérieures à l’hectare, alors que les CMR sont en baisse significative. Il faut montrer que l’agriculture est sur le bon chemin, ces progrès sont en route, ça mérite un peu plus de respect des pratiques dans la manière de les évaluer ». À l’intérieur de la rubrique « agriculture et société » du plan stratégique des chambres, on retrouve d’ailleurs cette volonté de reconquête de l’opinion publique, notamment via la volonté de création d’un « fonds de communication régional pour mener une communication positive sur l’agriculture » ou encore celle, plus profonde, d’un « observatoire régional de l’état de santé des exploitations agricoles » pour mieux faire face à un contexte économique mondial plus qu’incertain (notamment du côté du budget de la PAC 2021-2027).

« Notre plan stratégique est très clair : notre volonté, c’est de ne pas regarder l’agriculture en statique et de ne pas la juger sur ses pratiques passées ». D’où l’intérêt d’une présence accrue des chambres sur le terrain au sein de différentes manifestations régionales ou nationales : FOREXPO (du 17 au 19 juin à Mimizan), Tech&Bio (8 et 9 juillet au lycée viticole de Libourne Montagne), Capr’Inov (25 et 26 novembre à Niort), le Salon International de l’Agriculture (22 février au 2 mars à Paris) et, bien sûr, le salon de l’agriculture de Nouvelle-Aquitaine, qui bascule de juin à mai pour 2020 (du 16 au 24 mai). Le temps où ce dernier était envisagé en dehors de la foire de Bordeaux semble résolu. « Avec le CEB, les relations sont bonnes », a affirmé ce mardi Dominique Graciet. « L’intérêt de ce salon pour nous, c’est de montrer le mouvement de la transition agricole par rapport à Paris qui est plus une vitrine rurale. On a beaucoup de partenaires, notamment des acteurs des énergies renouvelables, qui veulent être « au cul des vaches », pas dans le Hall 3. On en est les premiers surpris ». Le signe que la tendance est en train de s’inverser ? Encore un peu tôt pour le dire, mais à voir les nouvelles tendances qui émergent déjà du programme parisien, on peut clairement affirmer que l’offensive est lancée…

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