Né dans une ferme laitière savoyarde, Claude Gruffat est devenu conseiller agricole en région Centre-Val De Loire. Puis il a rejoint le groupe Biocoop dont il a assuré la présidence pendant 15 ans. Avant d’être élu député européen en 2020. Aujourd’hui, jeudi 4 mai, en Gironde, où il anime un débat, il milite à la fois pour l’organisation de la filière et pour une stratégie politique beaucoup plus ferme en faveur du bio. Au plan national, comme dans chaque commune, notamment par le biais des menus dans toutes les cantines de France.
@qui! : Vous menez un tour de France de la bio alors que la production connait une crise. Quel est l’objectif ?
Claude Gruffat : Effectivement la filière bio est en crise depuis un an et demi en France et aussi en Europe. Je vais à la rencontre des acteurs pour voir comment on peut construire un plan de relance suffisamment ambitieux et qui s’inscrive dans le plan européen stratégique du Green deal. Celui-ci prévoyait un objectif de 25% des surfaces agricoles en bio en 2030. Or nous ne sommes qu’à 8,5% actuellement en Europe et 9,5% en France. En 14 e position, la France n’est pas l’élève modèle de la classe. Il faut trouver les moyens de sortir rapidement de cette crise et aller vers les objectifs européens.
@! : Quels sont les causes et les remèdes ?
C. G. : La première cause c’est le manque d’ambition vers l’aval de la filière et la consommation. La loi Egalim fixait un objectif de 20% de produits bios dans les cantines. On est à peine à 6%. Je conçois que c’est compliqué, et peu de pays européens parviennent à tenir cet objectif. Mais il n’y a pas de volonté politique pour avancer vraiment. Il y a besoin d’objectifs clairs et fermes, sachant que 20 % c’est déjà vieux de 10 ans.
Aucun maire ne veut revenir en arrière
@! : N’y a-t-il pas un problème avec le coût des produits bios?
C. G. : Si on cherche à intégrer ces produits en simple remplacement oui, il y a un différentiel de coût. Mais il y a une démarche associative qui s’appelle Un Plus bio pour accompagner les collectivités locales. Et beaucoup y parviennent sans augmentation des coûts, grâce à l’adaptation des menus (notamment en réduisant la viande) et à la lutte contre le gaspillage. C’est un vrai travail pas simple. Mais aucun maire, aucune cantine qui a fait ce travail ne veut aujourd’hui revenir en arrière.
@! : En amont de la filière, on voit aujourd’hui des producteurs labellisés bio contraints d’écouler en conventionnel. C’est un renoncement ?
C. G. : Il faut regarder dans le détail. Il y a trop de volume dans le lait parce qu’on a organisé des débouchés à risques : des géants du lait ont pris des marchés en Chine pour écouler du lait en poudre bio. Ils ont encouragé les élevages en France pour produire et puis la Chine a fermé son marché. La conséquence c’est qu’aujourd’hui du lait produit en bio part sur le marché conventionnel. Période de crise aidant, il est d’ailleurs vendu plus cher en conventionnel qu’en bio. Mais ça ne devrait pas durer.
En porc aussi il y a aussi surproduction. Mais si toutes les cantines s’y mettaient, il n’y aurait plus de problèmes. En fruits et légumes il n’y a aucune surproduction et si toutes les cantines s’y mettaient, on aurait une opportunité formidable de favoriser des installations d’agriculteurs.
@! : La filière est encore assez jeune. Cette crise d’adolescence ne démontre-t-elle pas un manque d’organisation ?
C. G. : La filière a tout de même 40 ans et a vécu 25 ans de développement sans discontinuer. Il y a des réflexions collectives à mener pour porter le développement de la deuxième étape. Les acteurs sont là, mais il faut une politique ferme. Les centres de gestion sont là pour prouver que les paysans sont demandeurs de passer en bio pour deux raisons majeures ; préserver leur propre santé et mieux gagner leur vie en dehors des périodes de crise. Il y a des leviers politiques autour de la commande publique et de la restauration privée dont on parle moins, en même temps que le besoin de relancer une communication très forte auprès du grand public sur les bienfaits pour la santé, l’environnement et la préservation des biens communs.
@! : Vous pensez que l’engagement du ministère de l’agriculture n’est pas suffisant ?
C. G. : Quand on annonce une politique de soutien à 10 millions d’euros, soit 160 euros par ferme c’est indécent. C’est peut-être par le monde syndical que les pouvoirs publics vont finir par bouger. Si la bio n’a pas été soutenue jusque-là c’est bien parce que la FNSEA ne le demandait pas. Aujourd’hui il commence à y avoir un certain nombre d’adhérents FNSEA en bio. Donc on peut imaginer que les choses vont s’accélérer un peu.