Émission 4 médias : une association bordelaise flouée par un grand groupe


Yoan Denéchau
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 19/04/2019 PAR Yoan DENECHAU

Comment se soigner lorsqu’on ne parle pas la langue du médecin devant soi ? C’est pour répondre à cette question que Claire Mestre, psychiatre au CHU de Bordeaux et Cheikh Sow, artiste et anthropologue, ont échangé avec les journalistes d’O2 Radio, l’Echo des Collines et Aqui!. La praticienne est venue parler d’ethnopsychanalyse, qu’elle pratique dans le cadre de consultations transculturelles à l’Hôpital Saint-André de Bordeaux. Cette discipline peu connue est apparue en France dans les années 60, impulsée par Georges Devereux.

L’ethnopsychanalyse est une pratique complexe qui tient compte de l’histoire individuelle des patients, mais aussi les représentations culturelles associées à leurs problèmes. « L’ethnopsychanalyse est un outil qui tient compte au moins de deux éléments : la psyché et la culture, explique l’ethnopsychiatre. Pour cela, on fait appel à différentes théories, psychiatriques, psychanalytiques et anthropologiques, comme par exemple une disant que tout humain est doué d’un psychisme et d’une culture, tout bêtement, même si ça n’a pas toujours été une évidence en France ». Selon Claire Mestre, pour comprendre la souffrance des patients migrants, il est nécessaire de tenir compte de la psychothérapie standard – conflits intimes ou familiaux – mais aussi leur origine, leur culture. La thérapeute explique avoir démarré l’ethnopsychanalyse bénévolement au sein de l’hôpital, sans aucun statut. Petit à petit, l’institution lui a ouvert les portes et offert un poste au début des années 2000.

Des consultations parfois bouleversantes

D’après Claire Mestre, la consultation ethnopsychanalytique demeure complexe. « Le soin repose sur une équipe dont le motif est le soin par les mots. Mais nous avons aussi d’autres formes de soin : le ‘care’ anglais (prendre soin) plutôt que le ‘cure’ (soigner), à travers des ateliers de peinture, de musique ou d’écriture. Ce qu’il se passe au niveau artistique complète très bien le soin psychique ». Cheikh Sow reconnaît l’art comme langage universel : « peu importe votre langue maternelle, nous pouvons comprendre ce que dit votre corps, ce que vous chantez ou déclamez ». L’anthropologue se souvient être allé chanter en sénégalais dans une salle bordelaise. « Au sortir du concert, deux personnes sont venues me parler, et elles m’ont dit ‘On ne comprenait pas de quoi vous parliez, mais on savait que vous parliez de votre mère’, ce qui était vrai » ! s’amuse Cheikh.

Un corps de métier est venu se joindre à l’ethnopsychanalyse : l’interprétariat. Sans ces traducteurs, les patients ne seraient pas compris, et donc soignés avec difficulté. Pour Claire Mestre, « il faut avoir envie de traduire, c’est important, dans la mesure où les patients sont très souffrants, et l’interprète devient le premier destinataire de ces mots et maux ». Au-delà des récits parfois bouleversants que traduisent les interprètes, ils doivent faire des allers-retours linguistiques incessants, un exercice très intense psychiquement. Ainsi, « l’accompagnement des interprètes est obligatoire, dans la mesure où ils sont pris dans les émotions du patient et doivent les retranscrire », ajoute Claire Mestre.

MANA : l’association vidée de son âme

Claire Mestre a fondé l’association MANA. La psychothérapeute a eu cette idée en 1998, peu avant d’intégrer le service de psychiatrie transculturelle du CHU de Bordeaux. Selon elle, le milieu associatif est un « lieu de liberté et de la rencontre, même si c’est difficile ». Une partie des consultations d’ethnopsychanalyse se faisaient dans le cadre de MANA. L’association a d’ailleurs attiré l’attention de grands groupes travaillant sur l’économie sociale et solidaire. L’un d’entre eux, le groupe SOS Solidarités, propriété de Jean-Marc Borello – proche du Président de la République – a fait de MANA une de ses filiales en 2017. « Le groupe SOS a déformé les valeurs initiales et toute la créativité de MANA, pour essayer d’en faire quelque chose de structuré, sans respecter les salariés », poursuit Claire Mestre.

Alors présidente de MANA, la psychothérapeute raconte n’avoir eu aucun pouvoir. « Lorsque nous sommes devenus filiale de SOS, les statuts étaient tels qu’il n’y avait pas de Conseil d’Administration. Vous êtes président et CA en même temps. Nous n’avions plus d’adhérents non plus. En revanche, il existait un directoire, avec quatre voix, et la présidence qui n’en a qu’une. Ce statut rendait donc impossible l’existence d’un contre-pouvoir. C’est très hiérarchique et très vertical, ce que nous ignorions avant de nous engager ». Pour Claire Mestre, le groupe SOS a une conception singulière du salarié et du rendement économique, contraire à l’esprit associatif. MANA n’existe plus aujourd’hui, et Claire Mestre a fondé l’association Ethnotopies pour continuer son combat.  


L’émission est disponible en replay sur le site d’O2 Radio, et sur Soundcloud.

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