Gilets jaunes : les collectivités pensent à la « sortie de crise »


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 22/03/2019 PAR Romain Béteille

Bilan d’impact (provisoire ?)

Ce mardi 18 mars, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé des mesures pour répondre aux violences constatées un peu partout en France lors de la manifestation (acte 18) des gilets jaunes samedi dernier. Plus que le départ du préfet de Gironde Didier Lallement, c’est surtout l’annonce de l’interdiction des manifestations place Pey-Berland à Bordeaux. A la veille d’une nouvelle manifestation déjà annoncée, le ton se durcit du coté du gouvernement. Ce dernier a ainsi récemment annoncé que les militaires de l’opération Sentinelle remplaceraient les policiers pour sécuriser les bâtiments officiels. Cette mesure a suscité de vives polémiques, d’autant qu’une loi autorise les soldats à faire feu en cas de confrontation, sous certaines conditions. Dans ce climat, le bilan tiré cette semaine par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur l’impact économique du mouvement des gilets jaunes n’a pas non plus grand-chose de rassurant.

Il a ainsi évalué les dégradations à 30 millions d’euros le 16 mars dernier, portant ainsi le montant total entre 170 et 200 millions d’euros, comme il l’a assuré devant la Commission des Affaires juridiques et des Finances de l’Assemblée, ajoutant un potentiel « impact direct et de court-terme sur la croissance française », jusqu’à 0,2 points de PIB pour 2018 et 2019. Le chômage partiel, lui, a touché selon les derniers chiffres 73 500 personnes dans 5100 entreprises, soit un coût de 40 millions d’euros. Enfin, le ministre a donné des éléments sur les pertes des chiffres d’affaire du commerce depuis novembre : -2,7% de ventes pour le non-alimentaire durant 16 semaines, 6% les samedis pour l’alimentaire. La baisse de chiffre d’affaire pour les magasins, la baisse cumulée serait entre 9 et 15% pae rapport à l’année précédente, entre 20 et 30% pour les magasins de centre-ville (20 à 50% sur l’artisanat, 25% dans les métiers de service et jusqu’à 50% pour les métropoles).

Des contributions financières

Dans ce contexte national, le conseil de Bordeaux métropole a voté ce vendredi une subvention de 500 000 euros adressée à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux Gironde pour la mise en place d’un « fonds d’aide exceptionnel » à destination des commerces « soumis à des difficultés conjoncturelles ». Ce montant s’ajoute à celui, déjà mis en place dans le cadre d’une convention triennale avec la CCI, d’une aide de 90 000 euros pour « accompagner et suivres les entreprises du territoire métropolitain ». A ce fonds de 500 000 euros se rajoutent 80 000 euros de la CCI et 20 000 de la CMA (Chambre des Métiers et de l’Artisanat) de Gironde, soit un montant de 600 000 euros. Ils seront distribués par la CCI aux commerçants « au cas par cas », aux deux seules conditions d’être une entreprise de moins de dix salariés générant moins d’un million d’euros de chiffres d’affaires et d’avoir subi une baisse d’activité de 20% au minimum.

Du côté de la mairie de Bordeaux, un dispositif de soutien financier sera voté lors du prochain conseil municipal, ce lundi 25 mars : on parle d’une exonération de droits de terasse et de la redevance pour occupation du domaine public pour les mois de janvier et de février pour les commerçants du centre de Bordeaux, soit un effort pour la ville de l’ordre de 250 000 euros. La région, elle, a déja voté acté début mars la mise en place d’un fonds de soutien de deux millions d’euros pour les Toutes Petites Entreprises (TPE) de l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine. La seule condition modifiée est dans le pourcentage de perte du chiffre d’affaires par rapport à l’an passé : il est fixé à 30%. La région a par ailleurs précisé qu’il s’agissait d’une première enveloppe qui pourrait en appeler d’autres. Enfin, l’État a récemment annoncé une extension des mesures d’aides pour les artisans et commerçants et prévoit la mise en place d’un fonds national de trois millions d’euros censé financer des campagnes de communication pour réorienter les clients vers le centre-ville par le biais d’un appel à projets proposé aux communes, auquel Bordeaux sera candidate (cette mesure avait été esquissée par Édouard Philippe lors de son dernier déplacement à Bordeaux). 

Des signaux alarmants

Pour le maire de Bordeaux Nicolas Florian, nouvel élu au conseil de métropole en charge du développement économique, « la nouveauté annoncée par Bruno Le Maire, c’est surtout les exonérations au cas par cas, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent ». Les commerçants du centre-ville, particulièrement mobilisés ces dernières semaines et dont la parole est essentiellement portée par les chambres consulaires et l’association « Ronde des quartiers », ont déjà alerté sur leur situation à plusieurs reprises ces dernières semaine. Ce vendredi, l’ancien adjoint aux finances d’Alain Juppé a précisé avoir « reçu une délégation d’une trentaine de commerçants représentatifs de leur secteur qui m’a permis d’avoir une première lecture de leurs difficultés. Par ailleurs, la  Présidente du tribunal de commerce m’a précisé qu’en deux mois, on lui a demandé de placer sous protection un nombre de commerces à la hauteur du nombre de demandes reçues en un an ».

« La mesure de protection est plus souple que la sauvegarde ou le redressement, mais c’est un premier signal d’alerte sur le nombre de commerces et d’entreprises qui se préparent à être sous sauvegarde », a continué l’élu. « Le tribunal de commerce a également indiqué que sur les 800 commerçants du centre-ville, entre 20 et 25% seraient en grande difficulté. Les entreprises plus anciennes arrivent, par l’abondement au compte courant du commerçant, à tenir, mais les commerces les plus récents jouent sur leur stock aujourd’hui. Dans deux ou trois mois, ça risque d’être très compliqué. Il y a donc une action à mener auprès des établissements bancaires afin qu’ils leurs fassent de l’en-cours, quitte à le faire à 0%. On va engager avec Jean-Luc Moudenc (président de France Urbaine) une action des maires de grandes villes auprès de tous les établissements bancaires et financiers pour qu’ils accompagnent leurs clients (il devrait notamment en être question lors des prochaines journées France Urbainele 28 mars à Toulouse). Nous allons aussi demander à l’État avec François Baroin d’aller un peu plus loin dans les mesures d’indemnisation pour faire en sorte que ce qui est possible dans le cas de catastrophes naturelles en termes d’accompagnements tels qu’ils sont prévus pour la viticulture et l’agriculture soit aussi possible pour les commerces si ça perdure », a continué Nicolas Florian. « Bruno Le Maire  a dit qu’il était prêt à envisager des exonérations fiscales sur la cotisation fiscale des entreprises (CFE). C’est une bonne idée, sauf que la CFE c’est nous, à voir donc jusqu’à quel point on peut s’engager en gardant quand même un filet de sécurité ». 

En parlant, justement, de sécurité, l’arrêté préfectoral pris dans le cadre de la manifestation du 23 mars inclue déjà, comme c’est le cas depuis plusieurs semaines, l’interdiction de la place Pey-Berland pour les cortèges, défilés et rassemblement prévus, ainsi que de nombreuses autres rues du centre-ville, étendant ainsi les interdictions (le secteur de la Place des Grands Hommes et du Triangle d’Or entre autres visibles dans l’arrêté page 9, qui précise aussi les peines encourues en cas d’infraction). Des palpations de sécurité pourront être éffectuées dans toutes les gares et stations de la SNCF de ce vendredi soir à dimanche midi. Au conseil de métropole ce lundi, des élus se sont montrés inquiets de l’appel aux militaires de l’opération Sentinelle, dont le renforcement n’a pas été confirmé officiellement à Bordeaux. Du côté de la préfecture, on ne fait aucun commentaire sur le dispositif de sécurité qui sera mis en place ce samedi, mais des langues moins sensibles évoquent des « modalités de relations modifiées entre les manifestants et les forces de l’ordre » (sans doute en réponse aux propos récents de Christophe Castaner). La mairie a indiqué que les consignes émises chaque vendredi, notamment les fermetures de lieux publics comme les musées ou les parcs, resteraient sensiblement les mêmes.

« Une sortie de crise déterminante » 

Pour le maire de Bordeaux, « ce qui va être déterminant, c’est la sortie de crise »,a-t-il continué. « Je n’imagine pas que l’on puisse encore fonctionner comme ça pendant des mois. Il faudra voir les dispositifs qu’on est capables de mettre en œuvre pour sortir de cette crise et relancer le commerce, qu’il soit à Bordeaux où ailleurs, et réorienter des habitudes de consommation qui ont changé. Le samedi, sur les zones commerciales extra-rocade, les commerçants ne se plaignent pas parce qu’ils ont récupéré tous les clients du centre-ville… » L’élu ajoute d’ailleurs qu’en termes de sécurisation des lieux publiques, les annonces d’Édouard Philippe ne sont pas une nouveauté mais que d’autres pourraient en revanche intervenir dans les semaines à venir.

«  »La Place Pey-Berland était déjà un site sécurisé. Ce que je souhaite, c’est que l’on sécurise les secteurs commerçants », a-t-il notamment déclaré. « On a travaillé avec la préfecture de police pour envisager une territorialisation des zones à protéger, ce qui était déjà en partie fait. La nouveauté dans les annonces d’Édouard Philippe et de Christophe Castaner, c’est de changer les règles : on sécurise, certes, mais tout contrevenant s’expose à des poursuites plus sévères et à des contraventions plus sévères (135 euros d’amende au lieu de 35 précédemment en cas de « participation à une manifestation interdite »). Tout contrevenant qui irait dans les zones sécurisées et interdites de manifestation peut être isolé et maintenu à l’écart pendant quatre heures. Concernant le dispositif physique territorial, il va être étendu. Même si les forces de police ne peuvent pas tout sanctuariser, la difficulté avec des manifestations non-déclarées c’est qu’il faudrait pouvoir interdire tout regroupement sur des secteurs bien déterminés. A côté de ça, on travaille avec la préfecture pour pouvoir proposer à tous ceux qui manifestent le samedi un itinéraire qui évite les secteurs commerçants ». Selon les premiers éléments, des évènements sont notamment prévus à Bordeaux ce samedi du côté du miroir d’eau. Si les mesures d’aides aux commerçants se mettent donc peu à peu en place, reste à connaître l’attitude des manifestants dans un contexte aux incertitudes renforcées.

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