Vers un retour de l’esturgeon européen dans l’estuaire?


Romaric Le Barh et Alexis Cheziere - Irstea

Vers un retour de l'esturgeon européen dans l'estuaire?

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 30/07/2015 PAR Solène MÉRIC

Dans le bassin girondin, comme dans les grands fleuves d’Europe, de la Mer Noire jusqu’à la Mer du Nord, l’esturgeon européen nageait tranquillement, jusqu’au milieu du 19e siècle. Mais, la pression combinée de la construction de grands barrages, l’extraction de granulat dans les fleuves et la pêche de l’animal ont causé sa disparition totale au milieu du 20e siècle. Une disparition à laquelle seule la Gironde a fait une fragile exception. En effet, dans les années 70 l’inquiétante raréfaction de l’espèce est signalée par les chercheurs.

2011 : un Plan national d’actionsEn 1982, les autorités françaises interdisent alors la pêche de l’esturgeon, et, en 1998, c’est l’Europe, par la convention de Berne, qui adopte un plan d’action pour la conservation et la restauration de l’espèce. Celui-ci sera confirmé en 2011 par un Plan national d’actions, piloté par la DREAL.
Pour autant, les chercheurs de l’IRSTEA, (à l’époque Cémagref) et les acteurs locaux, n’ont pas attendu pour agir : dès 1994, ils sont à l’œuvre pour travailler à la conservation de l’espèce et constituent un stock captif à partir d’animaux sauvages. Une bonne intuition, car, 1994 sera la toute dernière reproduction observée en milieu naturel pour cette population girondine de l’esturgeon européen. Le stock captif est alors la condition sine qua non pour pouvoir travailler à terme sur la réintroduction de l’espèce en milieu naturel. Une réintroduction d’autant plus envisageable que les principaux verrous à la survie de l’espèce sont alors levés : la pêche en fleuve et en mer est interdite, tout comme l’extraction de granulat dans la Garonne et la Dordogne et l’on recense 23 frayères sur les grands barrages. Autre avancée importante pour les chercheurs, le Plan national d’actions de 2011 comprend un programme de sensibilisation mené par le Comité National de la Pêche et des Élevages Marins auprès des pêcheurs afin qu’ils déclarent leur capture accidentelle, et relâchent les poissons vivants.

Esturgeon Acipenser sturio tenu sur une main avant un lâcher à Castillon la Bataille en 2012


Un cycle de vie longMais le pari de la réintroduction de l’esturgeon européen est aussi compliqué par des facteurs endogènes à l’espèce, explique Marie-Laure Acolas, chercheuse à l’IRSTEA. « Acipenser Sturio », comme le nomme la science, a un cycle de vie long et une maturité sexuelle tardive. Migrateur, il naît dans le fleuve puis remonte vers l’estuaire où il y grossit de 2 à 6 ans avec quelques allers-retours en mer, jusqu’à son départ dans l’océan d’où il ne reviendra qu’entre 12 et 15 ans pour se reproduire à son tour dans le fleuve qui l’a vu naître. Autant dire un long parcours, et d’autant plus d’embûches à surmonter avant de pouvoir assurer la reproduction de l’espèce…
Un cycle avec lequel doivent faire les scientifiques, tout autant qu’avec la sensibilité du poisson à l’écosystème qui l’entoure. En effet, après une première reproduction réussie en 1995, il y a eu jusqu’en 2007 un grand vide dans les bassins de la station de Saint-Seurin sur l’Isle.

Les pêcheurs jouent le jeuMais désormais la scientifique est résolument optimiste. « Les reproductions sont de nouveau fructueuses, et depuis 2007, plus d’1,5 million de juvéniles (poissons de trois mois) ont pu être lâchés en milieu naturel ». Elle souligne d’ailleurs que si la reproduction reste l’apanage des scientifiques, la dimension repeuplement est depuis 2012, confiée à l’association MIGADO, qui se charge des lâchers (généralement des larves de 7 jours et des juvéniles de 3 mois) dans le milieu naturel, et, avant ça de leur soin au sein des bassins de la station de Saint-Seurin-sur-l’Isle (nourriture, nettoyage des bassins…).
Autre élément qui montre que les choses sont tout de même en bonne voie pour Marie-Laure Acolas : « les campagnes de pêche d’échantillonnage réalisées par les chercheurs dans l’estuaire de la Gironde montrent que les poissons qui grossissent dans l’estuaire, et qui ne sont pas encore partis vers l’océan, sont en bon état. Et, en plus les pêcheurs jouent le jeu par rapport à la sensibilisation. »

 Lâcher d'esturgeons Acipenser sturio à Castillon la Bataille 2012 par Vanessa Lauronce de l'association Migado


Optimiser le plus possible les réintroductionsPour autant, le résultat final des ces différentes attentions envers l’espèce va encore se faire un peu attendre. « Il faut que le cycle se réalise entièrement. Si l’on maîtrise quasiment la reproduction, ce n’est que lorsque les esturgeons issus de la station remonteront dans le fleuve et s’y reproduiront que l’on saura si le programme fonctionne, autant dire pas avant 2020-2024 », estime la scientifique.
Mais, pour optimiser le plus possible les réintroductions, les axes de recherches ne manquent pas. Marie-Laure Acolas en pointe plusieurs : « Grâce à une thèse en cours, on met en place un programme sur les aspects “’températures, oxygène et contaminants”’ pour regarder si, une fois les parents revenus, les frayères, seront en bon état pour accueillir les jeunes stades, qui sont particulièrement sensibles à ces paramètres ». Autres recherches en cours : l’optimisation des pratiques de repeuplement : « faut-il garder les poissons en culture jusqu’à 3 mois ? Qu’est-ce que ça implique pour les animaux ? Peut-on trouver des moyens de les élever un petit peu différents afin d’optimiser leur survie en milieu naturel et éviter qu’il y ait cette sorte “’d’habituation”’ liée à l’élevage en captivité… » En bref, l’enjeu est ici qu’ils puissent par exemple échapper plus vite aux prédateurs, mieux se tenir dans le courant, etc. D’ailleurs sur ce point la station, agrandie fin 2014, subit une restructuration du bassin béton, pour la mise en place d’une rivière artificielle, plus proche donc des conditions de vie en milieu naturel. Cette station unique en Europe renforce donc encore ses moyens pour la réussite de sa mission.

Tous girondinsMais l’IRSTEA travaille aussi directement en milieu naturel, en marquant les individus avec de petits émetteurs qui grâce à des portails placés dans la rivière permettent permettent de voir comment les poissons utilisent celle-ci, et comment ils s’y déplacent, toujours dans l’optique d’étudier et de connaître au mieux les différents et multiples facteurs en jeu pour permettre un jour peut être le retour d’Acipenser Sturio dans les fleuves non seulement de Gironde, mais de l’Europe entière. Car au vu du succès des équipes scientifiques girondines, les liens se tissent avec d’autres équipes ailleurs en Europe. Et ainsi, qui sait, tous les Esturgeons Européens à travers l’Europe auront à terme des ascendants girondins pour ne pas dire libournais.

Tout savoir sur l’esturgeon européen et le plan national d’action : www.sturio.fr

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle ! Gironde
À lire ! ENVIRONNEMENT > Nos derniers articles