Enquête: l’imbroglio des mineurs non accompagnés en Gironde


Alix Fourcade
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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 09/03/2018 PAR Alix Fourcade

Au congrès des départements, les 19 et 20 octobre 2017 à Marseille, le Premier ministre, Édouard Philippe, s’est engagé à ce que l’état prenne en charge l’évaluation et l’hébergement des personnes déclarant avoir moins de 18 ans et être sans attache parentale, « jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée ». Quatre mois plus tard, les départements commencent à s’impatienter, tandis que de plus en plus de mineurs non accompagnés (MNA), anciennement appelés mineurs isolés, arrivent en France. 

Dix à quinze jeunes se présentent par semaine au Conseil départemental, basé à Mériadeck, à Bordeaux, par le biais de la péréquation. Ce système, mis en place par la circulaire Taubira en 2013, les repartit par quotas sur le territoire. La Gironde compte parmi les cinq départements français qui en accueillent le plus. Ces MNA ont donc déjà été évalués et sont « certifiés » mineurs. Ils dépendent des droits de l’enfance et bénéficient, à ce titre, d’un accompagnement adapté, incluant notamment un hébergement, une scolarité et une série de biens matériels, comme des vêtements.

À ceux-ci, s’ajoutent ceux qui arrivent seuls sur le territoire, accompagnés par un passeur la plupart du temps, qui leur a fait payer le trajet à prix d’or. C’est ici que la situation se complique, car ils doivent prouver leur minorité. Pour se faire, le département est en charge de leur faire passer une série d’entretiens pour déterminer leur âge. Une tâche ardue, car la plupart des mineurs arrivent avec des papiers difficilement authentifiables et que le département ne dispose pas d’outils proprement scientifiques pour mener leur étude. Encore plus difficile à gérer compte tenu de leur nombre conséquent : 971 jeunes se sont présentés à l’évaluation en Gironde, et 25.000 en France, en 2017.

Jusqu’à cinq mois d’évaluation

En Gironde, les équipes du SAEMNA, Service d’accueil et d’évaluation des mineurs non accompagnés, aussi basé à Mériadeck, s’occupent de mener ces évaluations. Les travailleurs sociaux établissent un « faisceau de preuves », par le biais de trois premiers entretiens. En prenant d’abord le soin d’informer les jeunes sur la procédure de l’évaluation, le SAEMNA commence par leur poser des questions sur leur vie au pays, puis sur leur parcours migratoire et leur projet en France. Ils les observent ensuite sur leur lieu d’hébergement.

Un cadre du COS Quancard, centre spécialisé dans l’accueil des demandeurs d’asile situé à Villenave-d’Ornon (33), vient ensuite apporter son expertise sur le jeune, avant qu’un inspecteur de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), ne conclue la série d’entretiens. C’est lui qui va décider d’envoyer, ou non, le dossier du jeune au parquet, qui statuera lui-même, ensuite, sur la présentation au juge des enfants. En Gironde, un seul inspecteur de l’ASE est consacré à cette tâche et un seul juge des enfants traite ce type de dossier. Cette procédure devrait, en théorie, durer cinq jours ; elle s’étale, en pratique, entre trois et cinq mois, sans compter le temps d’attente pour se faire enregistrer à l’évaluation, au préalable.

Basées essentiellement sur du déclaratif, ces évaluations sont critiquées par les associations. « Nous avons le sentiment d’être le bouc-émissaire, alors que nous établissons une observation selon un cadre strictement légal. C’est le juge des enfants qui choisit ensuite d’accorder, ou non, les droits de l’enfance à la personne concernée », explique Didier Ayuso, président du SAEMNA, qui nous a accueilli dans ses bureaux, le 9 février.

Les locaux sont précaires, les chaises dépareillées, et traînent, ici et là, des paires de chaussures, souvent trop petites pour les pointures d’hommes, et des jouets. Une dizaine de jeunes viennent s’installer tous les jours dans la salle d’attente. En attendant la fin de leur évaluation, ils se voient reconduits dans des chambres d’hôtel avec des coupons repas pour aller au fast food, la plupart du temps.

« Ce qui nous fait le plus peur, c’est qu’un vrai mineur n’ait plus de place »

« Il faut que l’état reprenne les évaluations à sa charge », s’insurge Emmanuel Ajon, qui voit les services du département débordés. La conseillère départementale souhaite qu’une prise d’empreintes digitales systématique soit mise en place, pour retrouver les pièces d’identité, et que les fichiers d’évaluation des départements soient centralisés, pour éviter de réévaluer un jeune déjà évalué majeur dans un autre territoire.

Madame Ajon s’inquiète d’une « rupture d’égalité », entre le jeune Girondin et le jeune isolé, qui représente, en « prix journée », 130 euros de budget. Une centaine de places, en foyer ou en studio, sont ouvertes aux MNA par le COS Quancard : un chiffre insuffisant, compte tenu du nombre d’arrivées. « Ce qui nous fait le plus peur, c’est qu’un vrai mineur n’ait plus de place », s’inquiète Monsieur Ayuso, qui présente les droits de l’enfance comme un « sésame » que de nombreux migrants majeurs tentent d’obtenir, encouragés par les passeurs.

60% des jeunes qui arrivent en Gironde sont originaires d’Afrique sub-saharienne, dont 27% de Guinéens, mais aussi des Camerounais et des Ivoiriens. Les hommes représentent 97% des arrivées, un déséquilibre qui cachent souvent de nombreuses femmes que l’ont fait passer pour majeures, afin de les intégrer dans des réseaux de prostitution. Il s’agit principalement de migrations économiques, mais une minorité plutôt aisée se présente aussi au SAEMNA pour faire des études aux frais de l’ASE : ces derniers sont surnommés les « Erasmus » par le service.

La plupart d’entre eux, arrivent par voie terrestre, en passant par le Maroc et l’Espagne. « Le jeune de 15 ans qui arrive seul avec son sac à dos est un fantasme », explique le directeur du SAEMNA, pour illustrer l’omniprésence des réseaux de passeurs, qui leur promettent un avenir radieux en France. « C’est de la traite d’être humain », s’insurge Emmanuelle Ajon, qui prépare en ce moment un film à destination des jeunes des pays d’origine, pour qu’ils ne tombent pas dans le piège des passeurs, mais aussi pour que ceux qui sont déjà arrivés appréhendent ce qu’elle appelle « l’échec positif », c’est-à-dire la possibilité d’envisager un retour.

Se loger dans l’urgence

Avec la vague de froid, au mois de février, les arrivées au siège du département se sont tellement multipliées, jusqu’à quinze personnes certains jours, qu’un gymnase a été aménagé en urgence pour les accueillir. La nuit, les associations font aussi appel aux squats pour leur trouver un toit, à la Ruche notamment. Ce squat destiné aux mineurs est situé 51, rue du Mirail à Bordeaux (33). Cata et Sébastien, que nous avons rencontrés le 25 février, font partie des cinq anciens étudiants en classe prépa du lycée Montaigne, à l’origine du projet. Cet ancien logement de fonction a commencé à accueillir des jeunes dès septembre 2017.

Les deux bénévoles s’accordent à dire que les évaluations présentent un conflit d’intérêts. « Sachant qu’il manque de place, le département ne peut pas gérer les évaluations et le logement des mineurs », analyse Sébastien, qui voudrait que ces contrôles soient effectués par un organisme indépendant. Selon l’association Médecins du Monde, 80% des jeunes qui se présentent à l’évaluation sont refusés, et parmi ceux qui font un recours auprès du juge des enfants, 80% seront ensuite protégés par le juge des mineurs.

La plupart des vingt garçons qui résident, en ce moment, dans le squat sont en recours. C’est le cas de Wilfried, 15 ans : « il a l’air plus âgé, mais c’est un gros nounours. Il regarde des dessins animés pendant ses temps libres », se désole Cata. « Trop confiant pour être mineur ». Les deux fondateurs de la Ruche, qui disent avoir eu accès à des fiches d’évaluation du SAEMNA, ont pu y lire de telles observations. 

« On a hâte que les services publics fassent leur boulot »

À la Ruche, les conditions d’hygiène sont sommaires : une douche pour tout le monde, des matelas à même le sol, dans des chambres où s’entassent cinq à six personnes et une myriade de sacs de poubelle dans l’entrée. Organisée avec l’association Tremplin, qui rassemble des anciens professeurs bénévoles, la Ruche envoie les jeunes en cours trois fois par semaine. Le nombre d’éducateurs qui leur est consacré est néanmoins insuffisant, selon Sébastien, qui voient d’un mauvais œil les temps morts, pendant lesquels la plupart s’abrutissent en fumant de l’herbe.

Le sport, et le foot particulièrement, est aussi un moyen de s’occuper : beaucoup consacrent la majorité de leur temps aux entraînements. Le jour de notre visite, ils étaient tranquillement installés dans les escaliers et regardaient l’un d’entre eux se faire couper les cheveux.

Face à la hausse constante des arrivées –elles ont triplé depuis 2014-, tant la Ruche, que les associations, et le département souhaitent que le budget qui leur est consacré soit augmenté. Toujours au congrès des départements, en octobre dernier, Édouard Philippe a annoncé qu’un crédit de 132 millions d’euros est prévu dans le projet de loi de finances 2018 « pour prendre en charge à titre exceptionnel, une partie des surcoûts de l’aide sociale à l’enfance liée à la hausse des mineurs non accompagnés ».

En attendant, les créateurs de la Ruche, commencent à saturer émotionnellement, à force de vivre avec des personnes en manque d’affection. « On a hâte que les services publics fassent leur boulot », en conclut Sébastien, qui s’échappe souvent du squat avec Cata pour tenter de se changer les idées.

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