Un triple défi
Fruit de près de 15 ans de réflexions et de ressentis, ce livre, comme tous les autres, était un défi pour Eric-Emmanuel Schmitt, et ce à plusieurs titres. Celui du changement de
Autre challenge pour Schmitt, celui de jongler entre les époques et entre les mots. « Garder le même style tout en utilisant trois champs sémantiques différents en fonction des époques a été une mission passionnante », qu’il avait, de son propre aveu, déjà connu avec le théâtre et lors de ses précédents ouvrages.
Enfin, et c’est là le dernier écueil qu’Eric-Emmanuel Schmitt a eu à surmonter, la question de la chronologie l’a beaucoup perturbé. « Au début je n’avais que deux héroïnes et je risquais d’aller vers le manichéisme en opposant deux époques. L’arrivée dans mon esprit de la troisième héroïne a donné au roman tout son sens » admet-il avant d’ajouter « Le livre a été écrit dans l’ordre où vous le lisez, contrairement à un film par exemple, où les scènes sont tournées dans le désordre, en fonction des lieux où on se trouve. Un roman est une structure d’attente où l’auteur s’efface derrière des personnages et une histoire qui doivent susciter un intérêt et une impatience au lecteur ».
« Ce roman, c’est un arbre à questions »
S’il présente donc les ressorts de son écriture sous forme de défi, comme un goût permanent pour l’inconnu et un « refus du savoir-faire ou du métier », Schmitt y voit aussi une façon d’appliquer et de justifier sa vision de l’art romanesque. « Le roman est une fiction sans argument, à l’inverse de la philosophie qui elle est une fiction avec arguments. Ce roman c’est donc un arbre à questions, une invitation à la réflexion et une incitation pour chacun à trouver ses propres réponses » avance Eric-Emmanuel Schmitt avant d’aborder succinctement les questions de responsabilité morale, de justice utopique, du rapport à la nature, du lien entre culpabilité, conscience et inconscience ou de la recherche du sublime, qui sont quelques-uns des thèmes abordés en filigrane dans « La femme au miroir ».
« Ne pas écrire comme un intellectuel »
Mais au-delà de ces problèmes philosophiques et de leur complexité, il en vient à livrer, presque naturellement, ce qui est sans doute le secret de son succès. « Il y a toujours en moi cette tension d’écrire au premier degré, de ne pas écrire comme l’intellectuel que je suis devenu et de faire des livres qui peuvent être lus par tous ». Inspiré par Zweig, Diderot ou Camus il a pourtant été d’abord marqué par les grandes histoires romanesques et cite l’anecdote de sa découverte des « 3 Mousquetaires » d’Alexandre Dumas comme un tournant. « Petit, je détestais lire car on ne me donnait que des livres pour enfants. Mais, à la faveur d’un déménagement, je découvre « Les 3 Mousquetaires »et là je suis entrainé et je plonge dans la littérature » évoque-t-il avec nostalgie.
Un déclic littéraire, qui influence sans doute encore – tout comme son premier amour le théâtre – le sens des grandes histoires et des grands personnages dont il fait preuve dans ses romans. Autant d’univers qu’il s’attache à laisser vivre dans son esprit rêveur avant de coucher leurs aventures sur papier. « Je suis à l’écoute des personnages, de leurs évolutions et des rendez-vous qu’ils vont vivre et quand je me mets à l’écriture, tout est clair dans ma tête » révèle finalement Eric-Emmanuel Schmitt. Donnant peut-être avec ces mots, la formule de cette complexe simplicité qu’on aime tant lire chez lui.
« La femme au miroir », d’Eric-Emmanuel Schmitt, aux Editions Albin Michel
Photos : Isabelle Camus