Portrait de Roshane Saidnattar : Karma amer


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Portrait de Roshane Saidnattar : Karma amer

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Temps de lecture 2 min

Publication PUBLIÉ LE 24/11/2010 PAR Olivier Darrioumerle

« J’ai fait le deuil en comprenant pourquoi le système nous avait écrasés comme ça. » Roshane Saidnattar vit sans haine, l’âme paisible. Elle a été invitée à participer à un congrès sur le traumatisme à l’institut de psychologie Paris Descartes.« Peut-on guérir d’un génocide ?, c’est mon être qui répond ! » s’amuse-t-elle.
Elle a des cheveux noirs de jais et une denture comme des petits morceaux de sucre. Elle s’amuse du semblant de politesse qu’elle entretient avec son bourreau Khieu Shampân lors du tournage de « L’important c’est de rester vivant ». Le théoricien et fondateur de l’Angkar, à la tête du Présidium d’Etat de 1976 à 1979, avait fixé ses conditions avant d’accepter d’être filmé pendant plusieurs jours. Il voulait que ce soit une femme jeune et que ses accompagnateurs ne sachent pas parler le cambodgien. Pour attirer sa confiance et le mettre à l’aise, Roshane Saidnattar avait rigoureusement accommodé son apparence. Comme une vraie femme khmer, elle portait une jupe traditionnelle et avait banni de son langage le vocabulaire occidental. Lorsqu’elle ne pouvait retenir ses larmes, elle se réfugiait dans l’œil de sa caméra.

Pourquoi !
Roshane Saidnattar est une femme à deux visages. Son regard est tendre et maternel. Il s’inonde lorsqu’elle rit de la parano khmer ou du comble des bourreaux devenus victimes. Mais lorsqu’elle évoque le cynisme de la guerre froide ou l’adhésion des paysans cambodgiens, pourtant si paisibles, aux litanies de l’Angkar, son regard devient noir et fixe.
Ses cauchemars, elle les a combattus, puis « verrouillés dans un tiroir » dit-elle en riant. Mais lorsque Khieu Shampân l’a accueillie dans sa ferme à la frontière thaïlandaise, tous ses souvenirs ont ressurgi. Des intentions criminelles jaillissaient comme des diables sortent de leur boîte. « J’imaginais toutes les choses qui se passent dans les films d’horreur. Lorsque je déjeunais en face de lui, je délirais. Et si seulement dans son assiette j’avais pu verser du poison… »
Mais ce vieux monsieur à l’allure si paisible, elle voulait l’affronter. Pourquoi ? Cette question insoluble devenait entêtante. Elle voulait comprendre. Pourquoi ces intellectuels avaient-ils poussé leurs belles idées jusqu’à la folie meurtrière ?  « Évidemment Khieu Samphân pratique le même silence que celui qu’il nous a appris pour sauver nos vies ! ». Rien entendu, rien vu. Roshane Saidnattar connaissait cette pratique, elle qui n’avait pas le droit d’aller à l’école ou de parler plus de cinq minutes avec plus de trois personnes. Alors elle l’a confondu avec sa réalité de fermier reconverti et naturellement, il s’est trahi tout seul. Dans une voiture qui le mène au village voisin, Khieu Samphân se demande pourquoi ses canards sont tous morts : est-ce à cause de la malnutrition ou parce qu’ils étaient d’une mauvaise race ? Et lorsqu’il arrive au village, les paysans se félicitent de la bonne récolte, tandis que lui, l’ancien docteur en économie agraire, diplômé des universités françaises avec mention très bien, ne dit rien. Malgré ses théories, ses cinq hectares ont été inondés. Roshane jubile dans son for intérieur. C’est la petite fille qui prend sa revanche. Elle a survécu et maintenant, elle rit et elle danse.


Olivier Darrioumerle 

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