« Pièces à conviction » : l’éprouvant constat girondin


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"Pièces à conviction" : l'éprouvant constat girondin

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 17/01/2019 PAR Romain Béteille

Action et réaction

Si vous étiez devant votre télévision sur France 3 ce mercredi 16 janvier, vous avez certainement vu ces images, filmées en caméra cachée pour l’émission Pièces à Conviction, dans un centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) filmées en juillet dernier à Eysines, en Gironde. On y voit notamment des éducateurs maltraitant des enfants et des témoignages sur des agressions sexuelles. En avril 2017, dix membres du CDEF avaient rédigé une lettre ouverte, « Les enfants sacrifiés de la République », dans laquelle ils dénonçaient des « situations de fugues quotidiennes, d’abus sexuels, de viols entre usagers, d’agression physiques, de passages à l’acte violents entre enfants et sur le personnel (qui) perdurent (au minimum 190 évènements répertoriés entre 2016 et 2017) » et « une violence endémique ». Par la suite, sept d’entre eux avaient été sanctionnés par la direction de l’établissement pour « manquement à la discrétion professionnelle » : le directeur du CDEF à l’époque (qui n’est d’ailleurs plus en poste aujourd’hui), avait considéré que la divulgation d’éléments confidentiels sur des enfants constituait une faute professionnelle, tels qu’ils avaient été dénoncés par l’avis rendu par le conseil de discipline, une décision à l’époque très contestée.

Ce jeudi 17 janvier, au lendemain de la diffusion du documentaire intitulé « Enfants placés : les sacrifiés de la République », le Conseil départemental de la Gironde a convoqué la presse pour répondre aux accusations faites, alors que l’actuelle directrice adjointe de l’établissement a déjà annoncé, dans le reportage, avoir saisi le procureur de la République pour demander l’ouverture d’une information judiciaire. « C’est un reportage éprouvant, avec des séquences choquantes et insupportables parce qu’elles traduisent le mal-être des enfants mais montrent aussi les violences opérées par des adultes », a ainsi souligné le président du Conseil départemental, Jean-Luc Gleyze, annonçant que des mesures avaient été prises après le premier visionnage des images filmées à Eysines (en octobre dernier, notamment sur deux des membres du personnel identifiés dans la vidéo et dont le contrat n’a pas été renouvelé). Le département, par diverses actions, se défend de tout immobilisme et du renvoi de balle institutionnel dénoncé par le reportage, sans pour autant nier l’absence de réponses, notamment au niveau national. Il évoque des efforts budgétaires d’abord, avec un budget prévisionnel 2019 consacré à l’aide sociale à l’enfance (ASE) de 236 millions d’euros, soit une augmentation de 25% en trois ans et +18 millions d’euros par rapport à 2018, un niveau pratiquement similaire à celui du montant consacré au versement du RSA (244 millions d’euros).

Un dossier sensible

12 000 enfants en Gironde sont placés sous le giron de l’aide sociale à l’enfance : plus de 7000 concernés par des « mesures éducatives » et environ 4300 confiés par la justice et placés sous protection du département, faisant ainsi l’objet d’un placement en famille d’accueil, en MECS (Maison d’enfant à Caractère Social) ou dans un CDEF comme celui d’Eysines « normalement pour un temps transitoire ». Ainsi, la Gironde compte 738 familles d’accueil (environ 1400 enfants) et 27 MECS. Le CDEF, lui, propose 548 places « pour des mères comme des enfants, dont une centaine sur Eysines répartis en plusieurs pavillons en fonction de leur tranche d’âge. L’un d’entre eux, réservé aux enfants de huit à onze ans, est, selon le président du département, « le concentré des difficultés, des complexités de l’aide sociale à l’enfance. C’est une tranche d’âge qui pose de plus en plus de problèmes et qui se retrouve regroupée sur un seul pavillon. C’est un concentré de souffrances car ces enfants sont des victimes avant tout, un concentré de violences parce qu’elle est aussi pour eux un mode relationnel en rapport avec ce qu’ils ont vécu, et un reflet incontestable du mal-être de notre société dont les enfants sont généralement les premières victimes et parfois deviennent eux-mêmes bourreaux ». Le journaliste, embauché à partir d’un faux CV, montre aussi les besoins grandissants de personnel dans ce type d’établissement, avec une « telle situation d’urgence qu’on recrute des personnes avec prise de fonction immédiate ». Sur ce point, une demande a été faite pour contrôler les diplômes des nouveaux entrants de manière plus efficace et rapide, et il a été demandé à une cellule interne au département en charge de l’action sociale de procéder à des contrôles « inopinés » pour y mesurer la « qualité de l’éducation ».


Les propos de la journaliste Françoise Laborde (en plus de l’absence remarquée de la Ministre de la Santé Agnès Buzyn sur le débat suivant l’émission) sur « un système qui craque et qui est à bout » a ainsi été abondé par les élus départementaux présents, au premier rang desquels Emmanuelle Ajon, conseillère départementale chargée (notamment) de la protection de l’enfance. « La raison pour laquelle ces enfants reviennent au CDEF, c’est parce que nous n’arrivons pas à les orienter. Cela ne veut pas dire qu’il y a un manque de places en maisons d’enfants à caractère social, même si on est toujours sur un fil tendu. Le problème, c’est la prise en charge du parcours de ces enfants : il ne sont pas uniquement suivis par une assistante maternelle, ils ont une place dans la scolarité, parfois en institut spécialisé, c’est ce qui fait leur parcours de vie et c’est ce dernier qui pose problème », a-t-elle dénoncé. « Si toutes les pièces ne sont pas là, l’hébergement éducatif craque parce que les enfants passent à l’acte. Ce qui manque, c’est donc la pédopsychatrie, qui relève de la responsabilité de l’ARS et donc de l’Etat, et tout l’accompagnement médico-social. Ces enfants sont les premiers à être exclus parce qu’ils sont remuants, parce qu’ils montrent leur mal-être aux adultes qui les entourent et qu’ils sont difficiles à gérer. Bien souvent, ils ne sont plus considérés comme des victimes mais comme des délinquants, ce qu’ils ne sont pas. Le CDEF n’est pas un endroit où on peut grandir, on y vient se reconstruire et attendre qu’une porte s’ouvre vers un avenir possible. Aujourd’hui, les portes sont fermées parce qu’il nous manque du monde autour de nous ».

Un dossier suivi
Au-delà de ce constat d’échec, l’institution a tenu a rappeler les mesures prises pour tenter d’améliorer les choses : la création en trois ans de 1100 places supplémentaires dans la protection de l’enfance sur le département, le vote récent d’un schéma départemental de la protection de l’enfance (insistant sur le nécessaire besoin de la « continuité des parcours », de la « prise en compte des besoins de l’enfant » et de la « professionnalisation des personnels »), un travail de prévention auprès des familles pour éviter le placement dans ces foyers de dernier recours, la possibilité pour les jeunes jusqu’à 21 ans de bénéficier d’un contrat jeune majeur, le soutien (60 000 euros de subvention) à l’antenne départementale de la FNADEPAPE (Fédération nationale des Associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance) permettant à d’anciens éducateurs de l’ASE d’apporter un appui au personnel actuel ou encore le développement du parrainage des jeunes par des « citoyens volontaires ». « On a décidé de doubler, voire tripler certains professionnels sur certaines heures, notamment le lever et le coucher parce que ce sont des périodes compliquées. Lors du dernier budget 2019 du CDEF, nous avons acté la création de cent nouveaux postes sur le département en 2019 », a affirmé de son côté Emmanuelle Ajon.

La collectivité a également insisté sur son orientation dans la création de structures de plus petites tailles que le CDEF, pour tenter d’apporter aux enfants placés un accompagnement plus personnalisé. C’est le cas, par exemple, du Pavillon des six papillons à Talence, qui accueille six enfants dans un processus expérimental mêlant social et médical depuis avril 2017. »Cela semble porter ses fruits : nous avons rencontré des riverains qui ont témoigné qu’en quelques mois, les comportements des enfants s’apaise », a précisé le président du Conseil départemental. D’autres structures de ce type (à Blanquefort, au Bouscat et bientôt à Mérignac) ou d’autres, comme l’expérience d’un premier « village de fratries » à Sablons dans le Libournais, sont déjà envisagées, de même que l’accueil séquentiel (le week-end) des enfants en familles d’accueil ou la possibilité de former ces familles à l’aide psychatrique avec la mise en place d’un plateau thérapeutique pour les aider à prendre en charge des enfants présentant des pathologies psychiatriques. Christine Bost, maire d’Eysines, a enfin tenu à nuancer : « certains de ces enfants sont scolarisés dans nos écoles, fréquentent des associations et sont considérés comme n’importe quel autre enfant de notre commune. Deux écoles accueillent des élèves du CDEF, nous discutons très régulièrement avec les enseignants observant l’évolution des comportements des enfants ces cinq ou six dernières années. Les enseignants doivent faire face à des gamins qui souffrent de pathologies parfois très graves, comme la schizophrénie. Parrallèlement, il y a aussi des enfants qui vont plutôt bien malgré les difficultés qui sont les leurs, et malgré le fait que le CDEF soit le dernier sas après que tout ait été tenté avec les familles. Il y en a aussi qui s’intègrent bien ».

Des arbitrages qui tardent
Certaines mesures sont plus récentes et/ou sont même en train de se mettre en place. Le 12 décembre dernier s’est ainsi réuni pour la première fois une cellule d’urgence composée de décisionaires de l’Agence Régionale de Santé (ARS), de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et du département pour « examiner, au cas par cas et dans un délai assez court les solutions qui peuvent être apportées ». Elle doit se réunir une fois par mois. La Gironde souhaite également mettre en place un « conseil départemental des jeunes de l’aide sociale à l’enfance » (dont la première plénière officielle n’est pas attendue avant novembre 2019) pour, selon Jean-Luc Gleyze, « que les enfants puissent exprimer leur avis sur la manière dont la protection de l’enfance est pratiquée dans ce département et corriger les éventuels dysfonctionnements ».

Au niveau national, Emmanuelle Ajon a souhaité qu’un(e) secrétaire d’Etat soit nommée par le gouvernement sur le sujet de l’aide sociale à l’enfance. La ministre Agnès Buzyn avait, à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfance le 20 novembre dernier, annoncé la nomination d’un « haut-commissionnaire en charge de la protection de l’enfance » et la prise en charge complète des frais de santé des mineurs confiés aux services sociaux (y compris, donc, pour la consultation d’un pédopsychiatre ou d’un psychologue). Plusieurs fois repoussée, cette « stratégie » est pour l’heure attendue avant la fin du mois de février.

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