« Le dernier des grands »
C’est avec beaucoup d’humilité et de respect que M. Singaravelou, ancien président de l’université Michel de Montaigne, s’est adressé à Carlo Ginzburg ; son propre fils, historien du contemporain, ayant même grandi son inquiétude de s’adresser à celui qu’il savait être une éminence dans son domaine, en se contentant de commenter sa venue par : « C’est le dernier des grands ». Une estime que les quelques centaines de personnes présentes dans cet amphithéâtre ressentait : « c’est comme rencontrer Machiavel », soulignait Julie, étudiante en maîtrise d’Histoire. Solène, italienne de carrière scientifique, voyant Carlo Ginzburg passait devant elle, était impressionnée : « C’est un sommet. Par curiosité, on vient, mais là, on n’ose vraiment pas l’approcher. »
Les mots s’envolent pour décrire l’homme du jour : « Il est quelqu’un qui cherche à comprendre les hommes, les sociétés, et veut comprendre son monde non pas à l’aune de ce qu’il est, mais de ce qu’il a connu », le décrit ainsi Singaravelou. Pour son ami Sandro Landi, il est « un grand déchiffreur d’archives, qui en fait entendre certaines perdues » au gré de ses romans et essais, où on peut écouter « la musique inimitable de [votre] raisonnement ».
« A la manière d’un Sherlock Holmes »
Après une envie de devenir peintre, Carlo Ginzburg a pris le choix soudain de devenir historien à vingt ans, une décision rapide que ce dernier associe au clic-clac d’un photographe prenant un cliché. Avec la même simplicité, l’historien écoute les éloges qui lui sont faites, en élève attentif et également professeur sévère qui suit d’un œil les spectateurs agités. Il laisse donc échapper un « Oh ! » honnêtement enthousiaste lorsque, en supplément du prix Docteur Honoris Causa, il reçoit l’édition rare d’un livre qu’il aime ; il applaudit l’auditoire levé pour le saluer, et il parle avec plaisir d’histoire, donnant son avis avec franchise sur des sujets actuels comme les histoires identitaires, jugeant la recherche d’identité européenne dangereuse.
Pour Singaravelou, ce spécialiste de la notion de traces rassemble « les indices à la manière d’un Sherlock Holmes, pour non pas découvrir la vérité, mais la cerner ». Sandro Landi cite quelques travaux de l’historien, qui reprend des faits historiques originaux et en sort une théorie extraordinaire : alors, « l’étude d’un cas, surtout s’il ressort de la norme, permet de généraliser la norme ». Laissons le mot de la fin à Carlo Ginzburg lui-même pour une méditation quotidienne : « nous devons apprendre à regarder le présent en le mettant à distance, comme si nous l’examinions à travers une longue-vue renversée ».