« Cinémarges n’est pas un prétexte pour parler des questions LGBT, c’est un festival de cinéma avant tout. »


Cinémarges

« Cinémarges n'est pas un prétexte pour parler des questions LGBT, c'est un festival de cinéma avant tout. »

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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 17/04/2013 PAR Thomas Guillot

C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de commencer un entretien en parlant de la météo mais cette fois l’affreux crachin qui régnait sur Bordeaux en ce début de mois d’avril semblait ravir Esther Cuénot. On la retrouve Chez Auguste, le fief des premières années de psycho à la Victoire, juste avant un débat organisé dans le cadre du festival Cinémarges dans cette même faculté. Cela fait déjà quatorze ans qu’elle participe sans relâche à l’organisation du festival. « Il y a des moments où j’aimerais qu’il y ait de la relève, avoue-t-elle. La relation partenaire, les demandes de subventions, la coordination d’une équipe, c’est ça qui peut être épuisant parfois outre la programmation et la rencontre avec les invités qui est toujours un plaisir immense. ». Elle travaille bénévolement bien sûr, comme le reste de l’équipe : « Le festival repose uniquement sur une équipe bénévole, donc une équipe fluctuante. On a toujours eu une petite équipe. On a démarré à trois, là on est huit. Des fois, c’est peu parce qu’il y a plein de tâches ingrates. Mais c’est une bonne équipe qui fonctionne bien. On travaille un peu différemment que la plupart des festivals, on est vraiment en collaboration avec chaque partenaire qui non seulement nous reçoivent mais qui sont aussi actifs dans la programmation et l’organisation. L’Utopia intègre complètement la programmation Cinémarges avec son personnel, ses projectionnistes, etc. En terme d’organisation, au moment du festival on n’est pas surchargé de travail, on peut s’occuper des invités. D’ailleurs cette année, il y a plus d’invités que de bénévoles. »

« Au dessus de nos moyens »Côté financement, le festival se repose sur le Conseil Régional, le Conseil Général et la mairie de Bordeaux. « Et puis des annonceurs privés, ajoute-t-elle. On a quelques partenariats à base d’échange en nature, type chambre d’hôtel ou restaurant contre un encart publicitaire mais le gros du financement est public. » Le budget total tourne autour des 13000 euros pour « une vingtaine de films sans compter les courts. » Mais qu’est-ce qui différencie les films ? « Il y a deux typologies de films. Il y a les films qui sont dans l’exploitation commerciale du cinéma Utopia, dont nous n’avons pas besoin de nous occuper de la billetterie ou des reversements, et il y a ceux dit non-commerciaux qui ne sont pas encore sortis en salle ou qui ne vont pas sortir en salle et dont on paye les droits. Par exemple La Reine Christine, il n’y a plus de copie en France. On a du aller chercher la copie à la Cinémathèque de Bruxelles et payer plein pot la sortie de copie, les droits et le transport. »

Pour les films, l’affichage, la communication et l’accueil des invités « il faut tout négocier. On limite le nombre d’invités, on limite le nombre de films trop chers.Mais en même temps, cela nous permet de garder une totale indépendance. On n’est jamais emmerdé par les soutiens financiers. Vu ce qu’ils nous donnent, ils ne pourraient pas réclamer grand chose de plus. ». Une liberté totale donc ? « La seule censure c’est l’argent. On ne peut pas inviter John Waters à faire une performance, ça nous coûterait un bras. » Qui d’autre aimerait elle inviter à Bordeaux pour boire des coups et discuter à Cinémarges ? « Cette année, on avait envie d’inviter Xavier Dolan mais il n’était pas disponible. Faire venir Peaches était dans nos lubies à un moment donné mais là aussi c’était au-dessus de nos moyens. »

« Le souci de la forme »« A la base, il n’y avait pas d’ambition particulière. J’avais juste envie de porter l’idée d’un festival au sein de l’organisation LGP Bordeaux [ndlr : Lesbian & Gay Pride] qui avait pour but d’organiser la marche. J’avais intégré cette association séduite par le charme de la présidente de l’époque et avec l’envie de développer des projets culturels. J’ai commencé par organiser des soirées gays et lesbiennes au Jean Eustache. Il n’y avait pas de fortes ambitions de départ. » Quand on revient au tout début du festival, celui-ci avait un visage plus militant qu’aujourd’hui. Une évolution nécessaire qu’Esther Cuénot explique en détails. « Il y a 14 ans, le festival s’appelait « Quinzaine de cinéma gay et lesbien ». A partir de la deuxième année, il s’est appelé «  Quinzaine de cinéma gay, lesbien, bi, trans ». A un moment donné, on a vraiment voulu se recentrer sur un festival et créer une association dédiée. Jusque là, il était porté par une association militante qui avait d’autres vocations. Au moment de la bascule, il a été question de redonner un nom et redéfinir le projet. On a vraiment eu envie de se détacher de ces noms à rallonge qui au bout d’un moment ne veulent plus rien dire parce qu’ils sont censés représenter toutes les minorités qu’on ne conçoit pas comme représentables. On voulait aussi marquer une orientation sur le souci de la forme qui était vraiment un choix cinéphile. C’est à dire que ce n’est pas un festival prétexte pour parler des questions LGBT, c’est un festival de cinéma avant tout.Et pas n’importe quel festival de cinéma, c’est un festival de cinéma indépendant et en marges. C’est vraiment ce qu’on voulait mettre en avant. On voulait aussi ouvrir plus largement aux questions queer et se positionner vraiment sur un projet culturel plus que militant. » Après une petite pause, elle rajoute néanmoins : «  Même si ça reste un projet engagé : la culture est politique. C’est toujours engagé. La preuve : je viens de dire que c’est une équipe de bénévoles exclusivement. Il faut quand même une sacrée dose d’engagement. »

Les festivals de cinéma gay, lesbien, bi et trans ne sont pas si rares en France, il y en a au moins un par ville mais la fondatrice de Cinémarges refuse l’amalgame : « On ne se reconnaît pas dans la plupart des festivals de cinéma LGBT. » Pas de films trop identitaires gay ou lesbien, ni de panorama de l’année, chez Cinémarges on fonctionne par thématiques : « Ça ne suffit pas qu’il y ait une histoire d’amour entre deux garçons ou entre deux filles pour qu’on programme un film. Il faut qu’il ait des qualités formelles, il faut qu’il dise autre chose aussi, il faut qu’il soit dans un contexte, qu’il soit politique, qu’il donne à penser. C’est pour ça qu’on a un partenariat avec la fac ou les librairies pour donner aussi à penser autour de la programmation cinéma, travailler sur des thématiques, tisser des fils rouges entre les films. C’est un parti pris assez différent des festivals gays et lesbiens classiques qui ne font pas de thématiques ou de débats. »

« Désir de visibilité »Revenant une nouvelle fois sur la création de Cinémarges quand on lui demande les modèles et le contexte de cet période, elle n’hésite pas sur ce qui a été la principale inspiration : « Fin 98-99, on était sur la fin de ce qu’on a appelé le « New-queer cinema », vraiment une vague qui a démarré dans les années 90 avec Rose Troche, Gregg Araki, John Waters même s’il avait déjà commencé avant mais ça se développait pas mal, Gus Van Sant… Une série de cinéastes qui commençait à être dans l’auto-représentation parce qu’il y en avait marre aussi d’être mis en scène par d’autre. Il y avait vraiment une urgence à montrer cette cinématographie là qui arrivait peu en France et encore moins à Bordeaux. C’est vraiment né de ce désir de visibilité avec les questions de représentation, de montrer des films dans lequel on puisse se reconnaître. » Elle prend donc appui sur un des films programmés la veille à la bibliothèque municipale : «  C’est un peu le message au début de The Celluloid Closet où quelqu’un dit qu’il a soif de se reconnaître dans les films. Pour se reconnaître, il faut que le personnage de pédé ou de gouine soit un peu plus évolué que le stéréotype de base. Ça n’a pu être fait que par des gens concernés qui parlaient aussi de leur vécu. »

Mais des féminismes, il y en a plusieurs ; entre Judith Butler, Christine Delphy, Virginie Despentes, Caroline Fourest et les Femen, comment le festival Cinémarges trouve-t-il son identité ? « On est clairement dans un post-féminisme queer, affirme Esther Cuénot. C’est vraiment le pré-requis politique du projet. Ce qui nous a toujours intéressé, ce sont les problématiques de genre, les questions trans, les questions qui sont portées par les minorités dans la minorité. En aucun cas on s’inscrit dans un féminisme institutionnel, ronflant, abolitionniste, anti-prostitution, anti-pornographie… Nous on montre du porno, on donne la parole aux putes, aux trans, aux travestis et on s’intéresse aux articulations entre classe, race et sexe. Ce qui se trouve vraiment dans des problématiques queer. On dénonce aussi l’homo-normalisation, sur laquelle on a eu un débat il y a deux ans. »

Et quand on aborde un sujet d’actualité : « Le mariage ? Ça a le mérite de susciter le débat. On ne peut pas être stratégiquement contre l’égalité des droits, cependant on peut dénoncer la manière dont cette question évacue les autres revendications. Pourquoi on ne peut plus dire (comme dans les années 70) qu’on est contre le mariage tout court ? La revendication au mariage c’est l’inscription dans une institution patriarcale, c’est l’aspiration à la normalité, à l’assimilation… Cela n’inspire certainement pas de nouvelles formes cinématographiques ! »

Le site de l’édition 2013

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