L’escale du livre : entre exigence et éclectisme


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L'escale du livre : entre exigence et éclectisme

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 04/04/2019 PAR Romain Béteille

L’ambition du samedi

17 ans et toujours la même volonté d’ouverture et de pluralisme. L’édition 2019 de L’Escale du Livre s’apprête à reprendre ses quartiers pour le week-end du 5 au 7 avril à Bordeaux. Avec, toutefois, un petit changement, eu égard au contexte social qui rendent les rues de Bordeaux moins fréquentées, notamment les samedis après-midi. Auparavant installée dans le quartier Sainte-Croix, la manifestation se déplace en raison de la fermeture de la place Renaudel, devant l’église Sainte-Croix. C’est square Dom-Bedos, à quelques pas, qu’il prendra ses quartiers, malgré tout. Une semaine après que le maire Nicolas Florian ait déclaré Bordeaux « ville morte », le président de l’Escale, Pierre Mazet, ne cache pas son inquiétude même s’il explique qu’une annulation du festival n’était pas vraiment au programme.

« On ne voulait pas prendre le risque d’avoir une annulation pour des questions de sécurité. On a pris la décision de changer d’endroit il y a presque deux mois, avant l’arrêté préfectoral qui interdisait la manifestation dans certains quartiers du centre-ville. C’est quand même pas mal de travail, c’est un enjeu aussi pour les professionnels du livre, notamment les libraires, impactés eux aussi par les mouvements sociaux tous les samedis. L’activité continue, on ne va pas tout suspendre. La programmation est maintenue comme c’était prévu initialement, il n’y a que la dimension salon qui a été réduite », précise ce dernier. Le salon, qui accueille chaque année environ 30 000 personnes sur le week-end, pourrait bien être impacté par les problèmes de transports. « Cette année, on est assez inquiets pour la fréquentation du samedi après-midi. Le cadencement des tramways est important pour permettre aux gens de venir. Bordeaux n’a pas été présentée comme lieu de rassemblement, on a connu des manifs plus importantes que les gilets jaunes, mais les commerçants savent bien que le centre-ville est beaucoup moins fréquenté… ».  

Croiser les genres

En dehors de ce petit chamboulement, la programmation, comme à son habitude, reste riche et fait la part belle aux créations multidisciplinaires. Lecture dessinée entre Richard Guérineau et Jean Teulé (auteur du savoureux « magasin des suicides »), lecture en musique avec Arnaud Catherine et Matthieu Baillot, lecture en peinture avec Marie Nimier et le peintre Patrick Pleutin : le mélange des genres est une manière pour le festival de se démarquer des multiples rencontres littéraires organisées tout au long de l’année par les différentes librairies de Bordeaux.

Il correspond aussi, selon Pierre Mazet, à une tendance de fond. « On fait ça depuis qu’on est à Sainte-Croix, donc depuis facilement douze ans maintenant. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de manifestations qui proposaient ces croisements-là. Aujourd’hui, c’est un peu plus développé mais on y est toujours très attachés parce que je pense que c’est un moyen de renouveler le public, de donner une autre image de la littérature. Ça donne aussi à voir une génération d’auteurs. Chloé Delaume, se présente aujourd’hui comme autrice et performeuse, elle met en scène ce qu’elle écrit. Il y a de plus en plus d’auteurs qui sont intéressés par des croisements de genres culturels avec d’autres artistes ».

L’Escale ne se prive pas pour autant de têtes d’affiches, avec la présence d’auteurs internationaux (on pense notamment à Francesca Melandri ou à un « grand entretien » avec l’islandais David Vann) ou de comédiens comme Vincent Dedienne qui poursuit sa tournée en lecture de « Fou de Vincent », roman érotique d’Hervé Guibert. « On cherche aussi d’autres façons d’attirer un public et de l’amener à la lecture, par un comédien, une performance, un débat. C’est aussi pour créer l’envie de lire, d’où tous ces croisements ». 

Entrée(s) en politique

Le festival littéraire donne aussi la parole à des auteurs autour de grands débats politiques ou de société, que ce soit autour du féminisme (par un dialogue entre Chloé Delaume et Julia Kerninon) de l’Europe (avec un grand débat croisant les regards des trois écrivains Emmanuel Ruben, Robert Menasse et Andreï Kourkov), de l’intelligence artificielle (à travers une rencontre avec Alexis Broca et Pierre Ducrozet) ou du fondamentalisme religieux (via un débat réunissant Jean Birnbaum et l’auteur algérien Boualem Sansal).

« Les écrivains ne vivent pas hors du monde, ils en sont aussi le reflet et s’en saisissent », justifie ainsi Pierre Mazet en assumant les ouvertures sociétales de cette programmation. « Dans « Tout sauf moi », Francesca Melandri parle aussi de la montée de l’extrême droite en Italie. Nous ne sommes pas non plus hors-contexte : en pleine année d’élections européennes, ne pas faire de débat sur l’Europe me semblait dommage. Ne pas aborder, alors qu’il y a encore plein d’attentats, les questions du djihadiste et du fondamentalisme religieux me semblait tout aussi impensable. Tout comme les écrivains reflètent aussi une société, les questions qu’elle se pose, on veut aussi prendre part à ces débats, d’autant qu’ils sont aujourd’hui encore plus pesants que d’habitude ». 

Intérêt général

Enfin, cette dix-septième escale est aussi l’occasion pour les organisateurs de fêter quelques anniversaires. En premier lieu, les quarante ans des éditions Verdier en présence de l’une des directrices de publication de cette maison fondée dans l’Aude en 1979, Colette Olive. Des écrivains « maison » viendront aussi témoigner autour de cet anniversaire (qui viendra notamment s’ajouter aux quarante ans de la librairie La Machine à Lire) « pour montrer comment les auteurs se positionnent par rapport à cette maison et développent des fidélités ». Les auteurs locaux auront aussi droit à des focus, l’exemple le plus évident étant cette « discussion » avec l’éditeur bordelais Jean-Paul Michel.

« Beaucoup de personnes le connaissent en tant qu’éditeur à Bordeaux à travers William Blake, on oublie que c’est un poète important qui fait l’objet de colloques à l’étranger, d’études universitaires et dont une anthologie est sortie au mois de mars. C’est toujours important d’avoir des auteurs étrangers mais le loin ne doit pas occulter des auteurs ou des maisons qui sont plus près de chez nous ». Pas question pour l’Escale de trop se « territorialiser » ni d’être trop « spécialisée » : son pôle « littérature jeunesse » ou son classement d’auteurs dans un onglet « littérature général et graphique » dans le programme fait partie des éléments rappelant la portée généraliste de la manifestation, même si cette dernière garde une rigueur volontaire en mettant chaque année à jour sa liste d’invités. « Je n’invite pas Jean-Paul Michel, Chantal Detcherry ou Jean-Maarie Planes en tant qu’auteurs locaux. Je n’ai pas envie que cette manifestation soit faite pour les « régionaux de l’étape ». On invite des auteurs qui ont publié, parfois dans des maisons d’édition locales, mais pas uniquement.

Dès lors que l’Escale est financée par des fonds publics, ce qu’elle est à 85%, on se doit de soutenir la diversité éditoriale des « vrais » auteurs et pas forcément des locomotives qui n’ont pas forcément besoin de nous pour vendre. C’est pour ça qu’on a une programmation assez exigeante ». Les différents rendez-vous, débats et performances et l’éclectisme des sujets abordés ont ce lourd poids sur les épaules : celui de rendre l’exigence populaire. 

L’info en plus : vous pouvez retrouver l’intégralité de la programmation, les auteurs invités et les informations pratiques de l’édition 2019 de l’Escale du livre sur le site officiel www.escaledulivre.com.

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