L’actualité du roman noir : Glaise


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L'actualité du roman noir : Glaise

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Temps de lecture 2 min

Publication PUBLIÉ LE 30/10/2017 PAR Bernard Daguerre

Nous sommes en août 1914 et la guerre va perturber gravement l’équilibre toujours précaire de ces familles d’agriculteurs isolées : là, elle enlève le père, Victor, à Joseph, son fils de 15 ans.  Un peu plus bas dans la vallée, c’est le fils qui a dû partir, laissant sa mère Irène et Valette le père, un sale type, rendu quasiment manchot par un accident domestique. La guerre apporte encore d’autres chamboulements : Valette accueille sa belle- sœur –dont le mari est lui aussi parti à la guerre- et sa nièce adolescente, Anna.

Le romancier jalonne son récit d’évènements qui viennent comme s’opposer au rythme imposé des tâches agricoles. Il y a là dans les travaux et les jours égrenés une quasi- réminiscence d’un code d’agriculture vivrière édicté déjà par de bons auteurs de l’antiquité gréco-romaine. Une manière de mesurer le temps qui passe, les gestes précieusement acquis, une chaîne dont les femmes de l’histoire sont comme les garantes :  par exemple Mathilde, la mère de Joseph, trie les semences précieusement conservées par sa belle-mère qui vient de mourir. Irène, dans la ferme voisine, ajoute à ce rôle celui du désir d’enfantement.

Joseph apprend ainsi- tout en se rebellant et en gardant son domaine secret, celui de sculpteur de glaise- sous le contrôle des femmes, mais aussi celui du vieux Léonard, un bienveillant fermier voisin qui fut jadis durement touché par la perte d’un fils, noyé encore enfant. La grande affaire de sa jeune vie adolescente reste toutefois, l’apprentissage de l’amour avec Anna, guide d’une relation qui ne demande qu’à être splendide. Mais voilà, il y a Valette, espèce de centaure pervers qui veut exercer sa fonction prédatrice sur la jeune fille.

Le livre est ainsi riche d’une matière littéraire diverse, construite, aboutie, tragique : dans ses modes de narration, il emprunte au récit du monde paysan jusque dans les épisodes les plus savoureusement épiques comme la récupération nocturne d’une mule volée par les soldats, passage traité comme un geste à la Mandrin ; au roman de filiation et d’apprentissage, à travers les portraits de femmes paysannes et des relations entre les générations ; enfin à la narration noire, dans la dimension cachée des échos de la guerre lointaine, qui gît dans les replis masqués de l’histoire. Le style de l’auteur enserre à l’intérieur de ses mots « dans les lettres tachées de boue » son histoire et la dimension cosmique qu’il aime à lui donner : dans la chronologie même, anciennement perçue, « du volcan qui [rejeterait] encore des fumées vieilles de trois millions d’années » aux « premiers hommes du fond de leur caverne, occupés à construire des mots dans leur tête et à écrire leur histoire à l’aide de tisons éteints » ; tout comme dans les images de l’univers nocturne dont s’imprègne Joseph :  « [Il]  bascula sa tête en arrière embrassant ainsi plus largement la prairie de nuit fleurie de milliers de soleils. » ou encore « La lune ressemblait à une assiette de porcelaine blanche trônant sur une nappe noire pleine de trous ». Un vrai vertige, cap loin de la terre.

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