Halfaouine au TnBA: une plongée au coeur du nouveau cirque tunisien


DR

Halfaouine au TnBA: une plongée au coeur du nouveau cirque tunisien

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 22/11/2007 PAR Joël AUBERT

Aqui! : Comment s’est faite votre rencontre avec le Cirque de Tunis ?
Gilles Baron : C’est une vieille rencontre qui date de 2001. J’avais été contacté pour mettre en scène la cérémonie d’ouverture des jeux méditérannéens de Tunis organisée par Mohamed Dris, à l’époque directeur du Théâtre National de Tunis. Ce dernier avait déjà dans l’idée de travailler avec Bernard Turin, alors directeur du CNAC de Chalons pour la création de la première école de cirque tunisienne. L’école a ouvert ses portes en 2003 et j’ai été appelé à collaborer régulièrement avec les élèves de la première promotion. On peut dire que j’ai été aux prémices de l’ouverture de cette école et chaque année depuis 4 ans je retourne travailler avec eux.

@! : Où et combien de temps avez vous travaillé ce spectacle ?
G. B. : On a travaillé deux mois sur cette création à Halfaouine. Halfaouine est un quartier de Tunis extrêmement populaire dans lequel se trouve l’école de cirque. D’où le nom du spectacle. Je trouvais intéressant de reprendre le vrai point de départ aussi bien géographique qu’émotionnel pour intituler cette première création du cirque tunisien. De plus, cela permettait de faire appel à toutes les sensations, les scènes de vie quotidiennes qu’on peut apercevoir quand on est à la terrasse d’un café. Dans la scènographie, on a d’ailleurs repris des éléments existants, qui font partie du quartier comme le café vert…

@! : Il n’y a pas eu de spectacle avant celui là ?
G. B. : Non, c’est la première promotion et le premier spectacle professionnel. Avant il y a eu des spectacles de fin d’année mais toujours liés à l’apprentissage. Il n’y avait pas encore eu de réelle tournée ou de vrai budget.

@! : Au niveau de la collaboration, avez-vous remarqué de vraies différences entre le cirque enseigné en France et celui enseigné en Tunisie ?
G. B. : Bien sûr et heureusement ! C’est d’ailleurs pour çela que j’avais envie de travailler là bas. Ce qui est intéressant c’est d’aller en Tunisie en essayant d’enlever son regard européen et sa façon de fonctionner en France. En plus, ce sont de jeunes artistes en fin de formation, ce qui implique un travail très différent. On se concentre plutôt sur l’énergie, le tempéramment, l’immédiateté, la vitalité. La moyenne d’âge va de 19 à 26 ans, donc il faut réussir à trouver une cohérence à ce groupe. Pour moi, c’est avant tout leur énergie et leur fougue. On est vraiment parti de ce thème là, puis avec mon scènographe Denis Tisseraud, nous nous sommes concentrés sur la rythmique du spectacle en essayant de tenir compte de l’effervescence de la ville. Halfaouine vit 24h sur 24, c’est un quartier populaire, les magasins sont toujours ouverts, il y a un va et vient infernal, une circulation incessante, des bruits qui se croisent. C’est un mélange de frénésie qui donne envie et qui donne à ce spectacle une teinte vraiment énergique, à leur image. Techniquement, on peut les comparer à des musiciens. Ils ont leur apprentissage, les fondamentaux sont les même qu’en France mais après c’est ce qu’ils apportent d’eux même dans les agrès qui fait la différence. Je peux dire qu’ils ont un rapport plus brutal, ce n’est pas une technique chinoise ou même française, c’est une technique qui tient plus de l’urgence et c’est ce qui me plait dans le fait de travailler avec eux.

@! : Y a t’il eu des problèmes par rapport aux corps?
G. B. : Non, j’ai eu beaucoup de chances car depuis quatre ans il y a eu énormement d’avancées de ce côté là, notamment grâce à la formation. On a très vite appris la danse contact, les
portées…ce qui a depoussiéré les rapports entre hommes et femmes. Evidemment, je me suis tenu à ne pas mettre de nu sur scène, ça ne parle que de sensualité et de rapport homme femme. Quand on se ballade dans la rue c’est ce qu’on voit ; la façon dont les hommes se tiennent entre eux, le regard que pose un homme sur une femme.

@! : Parlez nous de la pièce. Est-ce une succession de numéros traditionnels ou y a t’il une recherche plus contemporaine et chorégraphiée ?
G. B. : (Rires) Ce n’est sûrement pas une succesion de numéros. Je travaille depuis 1998 avec des gens du cirque et généralement je fonctionne beaucoup de façon mono discplinaire, c’est à dire que j’essaye de me concentrer sur une seule technique, le plus souvent avec des équilibristes. En effet, j’ai souvent eu le sentiment qu’en travaillant avec différents agrès et différentes techniques on avait du mal à trouver une continuité, ceci étant dû à une séparation par l‘agrès en lui même et par la technique qui impose des complications. Mon parti pris se situe plus sur la question « comment faire pour qu’il y ait une unité centrale et que l’agrès soit un vrai prolongement de l’action ?» J’essaye de revendiquer un cirque chorégraphié, dans lequel il existe une vraie écriture, et où l’agrès est mis au service de la dramaturgie. Je voulais absolument éviter ce morcellement de numéros.

@! : J’ai lu que ce spectacle était une métaphore du voyage?
G. B. : Oui. A la base on a eu l’idée avec Denis Tisseraud mon scénographe de démarrer la pièce
sur une grande porte du caravansérail. Cette grande porte avait une symbolique très forte dans les pays du Magreb car c’est là qu’à chaque fois qu’une caravane passait, les gens se
regroupaient et racontaient leurs histoires. On a alors pensé à ce que se disaient ces gens, leurs histoires, à cette tradition de l’oralité. Puis nous avons déviés sur la place du village en Tunisie et de ces divers endroits où les personnes se regroupent pour parler. On a trouvé qu’on tombait plus juste finalement en se repositionnant sur la vie de quartier.

@! : Peut- on déjà parler d’un cirque contemporain en Tunisie?
G.B. : On peut dire qu’il n’y a pas de cirque traditionnel pour l’instant en Tunisie, c’est très jeune et c’est aux artistes de faire leurs preuve. C’est ce qui va être difficile, ces jeunes artistes tunisiens doivent eux même tout mettre en place. Ils ont une formation, ils doivent maintenant entrer dans la création et montrer leur travail, leur métier, obtenir une reconnaissance artistique et sociale. Pour leurs parents, ce n’est pas un vrai métier.

@! : Pensez-vous qu’il y aura une suite ? Vos projets à court terme ?
G. B. : J’ai envie de travailler avec certains des artistes, je pense que l’école de Tunis va continuer à
développer le Cirque de Tunis. Des collaborations il y en aura, mais j’aimerais les faire venir en
France pour pouvoir travailler avec eux plus profondemment et plus sur du long terme.
En ce moment je continue toujours avec Oozing Tears et je pars en tournée avec le cirque tunisien. Je prépare un autre spectacle de cirque dont je suis sur l’écriture et j’ai dans l’arriere boutique une pièce de théâtre et cirque que j’aimerais écrire.

@! : Un dernier mot ?
G. B. : Ce qui est important de ne pas oublier, c’est qu’il s’agit d’une très jeune école et d’une formation atypique car ces élèves viennent de nulle part. Je veux dire, ils ont passé un concours de sélection pour entrer dans l’école mais ils ne savaient rien faire avant, ils ne sortaient pas d’écoles de danse ou de cirque amateur. Ce sont vraiment des gamins qui couraient sur la plage ou faisaient du sport entre eux. Ils ont vu cette annonce là et ils ont eu envie de rentrer dans cette histoire. C’est ce que j’aime chez eux, ils ont chacun des parcours personnels extraordinaires. J’ai beaucoup d’affection pour eux d’autant plus que dans leur pays, c’est une prise de risque d’essayer de se lancer dans une carrière artistique. Je les trouve courageux. Je suis heureux et fier qu’ils aient pris cette responsabilité là et j’espère que le spectacle reflètera ce qu’ils aiment de leur Tunisie et cette cette urgence de s’engager qu’ils ont en eux.Il y a de la rage, de la colère, du désir dans le spectacle et c’est cette vie qu’on ressent quand on va à Hafaouine. C’est du désir à la Jean Genet et c’est ce qui m’interpelle à chaque fois que je pars là-bas.

Propos recueillis par Hélène Fiszpan

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle ! Gironde
À lire ! SOCIÉTÉ > Nos derniers articles