Gironde : artisans, entre craintes et espoirs


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Gironde : artisans, entre craintes et espoirs

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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 15/07/2020 PAR Romain Béteille

Le 30 juin dernier, la Chambre des Métiers et de l’Artisanat de la Gironde a réalisé une enquête de conjoncture auprès de 1100 entreprises artisanales pour estimer l’impact de la crise du covid au premier semestre 2020. Résultats : 85% des artisans interrogés enregistrent une baisse de chiffre d’affaires et une perte d’au moins 50% pour plus de la moitié. 64% envisagent une poursuite de la dégradation de leur CA sur le deuxième semestre. Ils restent en grande majorité préoccupés par la demande (80%) mais gardent espoir d’une hausse de cette dernière pour sortir de la crise (73%).

Certains secteurs (comme l’alimentaire) ont moins souffert que d’autres (comme la fabrication). 59% des artisans restent tout de même « confiants sur l’évolution de leur entreprise ». À la toute fin du mois de juin, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a présenté un plan de soutien à l’artisanat. Chiffré à un peu plus de 900 millions d’euros, il s’inscrit dans le troisième projet de loi de finances rectificatives. Exonération des cotisations et contributions patronales, fonds de solidarité prolongé ou création de foncières pour « redynamiser les centre-ville » font partie des mesures phares. Dans un contexte souvent décrit comme morose et face à des chiffres réellement préoccupants, nous avons souhaité nous entretenir avec trois artisans, tous trois exerçant leur activité dans des secteurs différents, pour savoir comment s’était passée la période du confinement pour eux. Autant le dire tout de suite : le bilan détonne un peu des discours nationaux.

L’alimentaire se conforte 

Julien Vanlerberghe est le premier d’entre eux. Créateur (depuis fin 2018) de l’entreprise « Domaine Terra« , conserverie gastronomique locale, il affirme faire partie des exceptions plus que de la règle. « On ne représente pas la majorité, on a plutôt eu de la chance ». Avec la multiplication des apéros virtuels et les attentions des proches, les conserves (appétissantes, il faut bien le dire) de Julien ont continué à se vendre. Issu d’une famille d’agriculteur, le jeune homme s’est lancé dans l’aventure fin 2018 et ne semble pas le regretter. « Le covid n’a pas du tout impacté notre activité, on a pu continuer à se développer, le PGE a été une opportunité pour ça parce qu’on a pu faire un prêt de trésorerie. On a profité du confinement pour refaire notre site internet. Nos clients revendeurs ont beaucoup travaillé, on a aussi été démarchés par de nouveaux points de vente ». Malgré une « grosse baisse d’activité de nos clients dans la restauration et dans l’hébergement », continue-t-il, la société a visiblement pu profiter du boom du commerce local et des drives en tout genre, qui pour beaucoup n’ont pas vraiment eu le temps de souffler face à une hausse de la demande. « Les gens avaient le temps de choisir leur alimentation et se dirigeaient vers plus de proximité et de qualité, on en a bénéficié parce qu’on est positionnés là-dessus ordinairement ». Selon une autre enquête, nationale celle-ci, 52% des 2,4 millions d’artisans ont où bénéficier d’une aide étatique.

Les 72% des artisans du secteur de l’alimentaire confiants dans l’avenir, selon le sondage CMA, reflètent sans doute mieux que prévu l’état d’esprit de Julien au moment d’envisager la suite de l’activité. « Je ne suis pas inquiet, je suis hyper optimiste et je pense que ça va ouvrir d’autres voies à ceux qui savent s’adapter. On va continuer à se développer, financièrement ça va. Ça nous a permis de trouver une solution logistique pour faire du porte-à-porte alors qu’avant on était uniquement en point relais. On a pu toucher de nouvelles épiceries fines un peu partout en France. Le site est maintenant finalisé. J’ai une très petite expérience en entreprise, mais j’ai essayé de m’adapter dès le premier jour ». Preuve en est : selon Julien, les plans concernant les investissements de sa société sont maintenus. Fin 2020, Domaine Terra prévoit toujours de lancer deux nouveaux produits (des légumes marinés au vinaigre et aux épices) et garde toujours en tête le même objectif : « pérenniser notre activité pour investir sur notre propre conserverie parce que pour l’instant, on loue des locaux ».

Économie d’urgence et débouchés

On l’a aussi vu pendant cette période, de nombreuses entreprises (petites ou grandes) se sont adaptées à la situation et se sont mises à ce que l’on pourrait résumer comme une « économie d’urgence« . Ça a sensiblement été le cas pour Julie Rambeau. À un mois prêt, elle s’est lancée, comme Julien, dans le grand bain. Après des études à l’école des Beaux-Arts de Rennes et après une expérience de globe-trotteur, elle a monté sa propre entreprise (« De l’air ») spécialisée dans la création de meubles et d’objets de décoration. Et malgré l’arrêt des salons, Julie n’a pas vraiment compté ses heures depuis le 15 mars. « Au début, j’étais plutôt sur des fins de commandes. Beaucoup de commandes ont été annulées par rapport aux salons évènementiels, ça a été une succession de coûts importants. À côté de ça, la communauté de commune Val de Leyre nous a appelé suite aux annonces du gouvernement et nous ont offert quatre mois de loyer. Fin mars, une boulangère m’a fait part de sa peur d’attraper le virus et de le transmettre, j’ai donc fabriqué pour elle une protection en plexiglas sur mesure. Après ça, j’ai rencontré beaucoup de commerçants, il y a eu un gros travail de fait avec les professionnels ouverts de ma ville et des communes autour ».

Julie a donc fait chauffer ses outils, que ce soit pour des protections en plexiglas, ou pour fabriquer des visières, avec l’aide des « makers » proches de chez elle. Le tissu, qui lui servait habituellement à faire des doublures de sacs, elle l’a utilisé pour fabriquer des masques. Les réseaux sociaux ont aussi visiblement tourné à fond. « Ça m’a aidé à me faire connaître ou à réactiver mes connaissances qui maintenant m’appellent pour faire de la gravure. Avec les files d’attente, les gens avaient le temps de parler ! ». Polyvalence est sans doute le mot juste pour décrire l’activité de gravure de Julie, qui va de la housse d’ordinateur à la pierre tombale. Les clients du bar tabac ont pu découvrir ses cartes, laissées sur le comptoir.

« J’ai beaucoup travaillé parce qu’il fallait répondre à la demande, sept jours sur sept, douze heures par jour. Pour la suite, beaucoup d’artisans parlent d’une chute économique en octobre-novembre mais je reste positive, je pense qu’on trouvera toujours de nouvelles idées. En tout cas, ça m’a conforté dans l’idée que j’avais déjà, à savoir que c’était mieux pour moi de m’implanter localement et de travailler avec des artisans du coin (notamment des fabricants de cuir pendant le confinement) plutôt que de lancer tout de suite un produit au niveau national avec un gros budget en communication. Je pense que je continuerai là-dedans pour la suite ».  Selon le sondage de conjoncture, si la hausse de la demande reste la principale source d’espoir des professionnels, tous secteurs confondus, la stratégie commerciale (34%) et la diversification de la gamme (22%) suivent. 

Nouvelles opportunités

Enfin, le dernier témoignage fait partie des 9% à avoir suivi une ou plusieurs formations pendant le confinement. Pour Florence, ça a été l’utilisation de Canva pour créer des posts sur les réseaux sociaux et l’animation de formations. Lancée fin 2019, « L’atelier pin parasol » de cette ancienne salariée d’imprimerie a décidé de tout changer en se lançant dans un métier d’art manuel : la céramique. « En janvier j’ai commencé à prospecter, à chercher des points de vente. Mon atelier chez moi donc je n’ai pas vraiment de visibilité, je cherche à commercialiser les pièces que je fabrique dans les boutiques. Ça a plutôt pas mal marché. Entre temps, j’ai eu une belle opportunité de participer à un salon de créateurs pendant les JMA… mais c’est tombé pendant le covid, donc forcément ça s’est arrêté. Tout s’est arrêté, ça m’a mis un gros shoot au moral, je n’ai pas très bien vécu la chose. J’en ai profité pour créer, beaucoup ».

L’atelier-maison de Florence s’est donc rempli de ses créations, constituant ainsi un joli stock pour les futurs salons, qui devraient redémarrer en septembre. « En attendant, je suis repartie sur la prospection avec les réseaux sociaux, notamment Instagram. J’ai essayé de produire en me disant que ça ne serait pas perdu, qu’il y aurait d’autres opportunités, pour développer la prospection c’est bien d’avoir plus de choses à présenter. Ça fait plus de dix ans que j’ai envie de faire un métier manuel, il suffisait juste que je trouve le métier en question. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas toujours » continue-t-elle. « D’une manière générale, je reste accrochée, je me dis que ça va marcher, que j’ai l’énergie et l’envie. Il va falloir être un peu ingénieux, trouver des sources de différenciation, aller dans des secteurs un peu différents de ce qui se fait. Pour ma part, je pense me tourner vers la décoration plutôt que vers la vaisselle, quitte à chercher d’autres partenaires. J’ai déjà commencé à prendre des rendez-vous pour rencontrer des gens, tant pour la céramique que pour l’édition (carnet, cartes postales) ». Pour la suite, Florence a également à cœur de développer des ateliers d’animation et de création pour différentes structures, comme des EHPAD, afin d’apporter « un peu de récréation à un public un peu laissé pour compte. Même si ça ne sera sans doute pas avant le mois de septembre, j’ai hâte », s’impatiente-t-elle. 

Retour au local

S’ils ne cachent pas les inquiétudes générales, ces trois passionnés nous ont en tout cas confortés sur un point : ils ont à cœur de continuer leur activité. Pourtant, la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé soulignait, fin juin, que 50 000 commerces (sur 350 000) risqueraient de fermer dans les prochains mois. Au-delà des soutiens nationaux et locaux (y compris financier), c’est à une sorte de « conquête de l’opinion » à laquelle les Chambres des Métiers et de l’Artisanat se livrent. En Gironde par exemple, on compte sur une campagne « vivons local, vivons artisanal« , un label qui pourrait bénéficier à un peu plus de 43 000 professionnels sur le secteur, et sur les communes pour signer des « chartes de soutien à l’économie de proximité », pour promouvoir l’artisanat le plus largement possible. La campagne envisage aussi de susciter la créations d’initiatives, qu’elles viennent d’artisans, de collectifs, d’associations ou de clubs d’entreprises. Enfin, les communautés de communes qui auront signé une charte de soutien pourront être répertoriées sur une carte d’initiatives labellisées. Sur la métropole bordelaise, les premières chartes devraient être signées dans les prochains jours de juillet.

Pour Nathalie Laporte, présidente de la CMA girondine, « pendant le confinement, on a vu que les consommateurs ont eu besoin de l’artisanat et du commerce de proximité. Il a pu se réinventer et rendre perceptible ce dont les consommateurs avaient besoin. Depuis le déconfinement, ils sont un peu repartis dans leurs travers. La solidarité ne doit pas être dans un seul sens, on mérite que notre savoir-faire soit valorisé avant, pendant et après le confinement. Entre fin octobre et début novembre, on verra des dégâts forcément, puisqu’on va recommencer à régler nos charges sociales et nos loyers. Mais on sait qu’on a des capacités à se réinventer. La campagne va faire une vraie promotion dans ce sens ». À demi-mots, la responsable compte aussi sur le renouvellement démocratique bordelais et métropolitain pour faire un pas en avant supplémentaire. « J’ai eu l’occasion d’échanger avec Pierre Hurmic sur le rebond. Je pense qu’il y aura une nouvelle démarche, une nouvelle façon de travailler. Le maire est conscient qu’il a besoin de nous, il n’y a pas que le tourisme et l’économie verte. Je suis confiante, même pour la métropole et pour l’immobilier d’entreprise ».

Une autre initiative, qui s’inscrit dans la même campagne mais baptisée, elle, « J’expose un artisan d’art », se veut comme un élan de « solidarité inter-entreprises artisanales ». Elle consiste à inviter les artisans disposant d’un point de vente d’y exposer les œuvres d’un artisan d’art. Bref, les grandes ambitions, pour les professionnels comme pour les consommateurs, du retour au local restent à confirmer mais les tendances sont déjà là : selon une étude parue en septembre 2018 portant sur l’achat local alimentaire, 42% des sondés invoquaient leur souhait de « soutenir les petits fabricants et les PME ».

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