Le Portugal, dès œillets à la Troika, analysé par les étudiants de l’IJBA


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Le Portugal, dès œillets à la Troika, analysé par les étudiants de l'IJBA

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 21/05/2014 PAR Pau Dachs

« Le Portugal a été assassiné quelque part par les mesures d’austérité menées par la Troika (Commission Européenne, Banc Central Européen et Fonds Monétaire International). Nous trouvions intéressant de voir comment le pays répond a cette actualité lors du 40e anniversaire de la Révolution des œillets, et quel a été le bilan de cette révolution ». Maria Santos-Sainz, professeure de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), s’exprime pour justifier le choix éditorial pour lequel les 15 étudiants de la spécialité de presse écrite de l’IJBA ont dû s’immerger dans la société portugaise pour créer le troisième numéro du magazine annuel de l’institut, Visó (regard, en occitan).

Un an avant, Visó avait traité la réponse citoyenne à la faillite des banques islandaises et à la crise de la dette que celle-ci avait provoquée. Avec le Portugal, l’idée était d’analyser cette « espèce de laboratoire de politiques que risquent d’être mises en place dans d’autres pays, comme l’Espagne ou la France », explique M. Santos-Sainz, coordinatrice de la publication. En même temps, face au départ, vers l’étranger, des portugais les mieux formés, la rédaction voulait connaître ceux qui sont restés, pour savoir pourquoi et quels sont leurs espoirs.

Suite à un travail de documentation et d’enquête de plusieurs mois depuis Bordeaux, les étudiants se sont déplacés à Lisbonne pour une semaine, où, grâce à un partenariat avec l’école de journalisme ESCS de Lisbonne, ils ont créé une rédaction binationale éphémère. Les professeurs locaux les ont guidés dans le choix des angles de reportages. Le résultat, à la fin, c’est une somme d’analyses de l’actualité économique et politique portugaise et des voix de deux générations. D’un côté, celle qui a vu tomber le dictateur António de Oliveira Salazar le 25 avril 1974; de l’autre, celle qui est la plus affectée par la réduction des dépenses publiques imposées par l’Europe d’au moins 4,8 milliards d’euros entre 2011 et 2015 pour revenir à un déficit public inférieur à 3%.
Personnalités historiquesMário Soares
Visó à réussi à interviewer l’ex-président socialiste Mário Soares, qui réclame une nouvelle révolution et critique les politiques  » d’ extrême droite  » du gouvernement de Pedro Passos Coelho (PSD) et l’austérité de la Troika. Quelques pages après le témoignage de Soares l’on retrouve celui du colonel Otelo Saraiva de Carvalho, capitaine de la Révolution des Œillets, également hostile à l’exécutif conservateur, jusqu’au point de demander l’intervention de l’armée.

Au-delà des hommes d’action, les réflexions sur le caractère de la nation, avec une approche presque psychologique, sont apportées par l’intellectuel Eduardo Lourenço. Il évoque une sorte de nostalgie des  temps glorieux du Portugal, en sachant qu’ils ne reviendront pas. C’est le sentiment de « saudade », une idée difficile à décrire et très portugaise. Une constatation remarquable : ces trois personnalités défendent l’idée que le Portugal doit rester dans l’Union Européenne.Jeunesse précaire face à une petite oasis verteL’euroscepticisme, par contre, est notable parmi la jeunesse. C’est une réaction aux conditions de vie précaires qu’ils connaissent, largement décrites par les rédacteurs de Visó. Le salaire minimum est de 485 euros, et il n’a plus été revalorisé depuis 2011, tandis que le prix de la consultation médicale généraliste a bondi de 5 à 25 euros, une inflation qui affecte aussi le prix du transport et des biens de consommation élémentaires. L’université publique est devenue payante et les bourses se sont réduites au point que 38% des jeunes renoncent à des études supérieures. Les contrats de courte durée dans le cadre desquels l’employé paye les charges salariales se multiplient.

En cherchant de nouveaux projets économiques de succès, le magazine regarde la petite oasis verte de l’agriculture de plantes aromatiques. C’est le cas de Luis Alves, qui a démarré son aventure il y a dix ans et est devenu le premier producteur de cette spécialité agricole au Portugal. Aidés par un programme de développement rural de l’Union Européenne, 300 nouveaux projets autour des plantes aromatiques ont été crées en quatre ans. Mais le retour à la terre de la jeunesse n’est pas si facile, et il n’a pas permis à certains diplômés reconvertis en agriculteurs d’échapper à la précarité.

Visó a rencontré également des nouveaux visages de la politique portugaise, à remarquer celle du maire de Loures, Bernardino Soares, qui essaye de combattre les privatisations du gouvernement central. Quant à la culture, la publication a traité le rôle de la musique électronique dans les banlieues de Lisbonne.Les arcanes et l’évolution du pouvoirEt voilà le travail de documentation des étudiants, qui permet de découvrir les paradoxales origines du président de la Commission Européenne, José Manuel Durao Barroso. Aujourd’hui devenu fervent défenseur de la réduction du déficit et des mesures néo-liberales de restructuration de l’économie, ses origines politiques se trouvent dans l’activisme estudiantin maoïste. En outre, un reportage explique la collaboration intéressée avec les nazis et Salazar de Ricardo Ribeiro do Espirito Santo Silva, fondateur de la banque qui porte son nom –aujourd’hui gérée par son petit-fils, Ricardo Salgado–.

L’Angola est un sujet incontournable de l’actualité portugaise. Et encore une fois, un paradoxe. L’ancienne colonie, émancipée du Portugal en 1975 suite à une longue guerre – l’une des causes de la Révolution des Œillets –, profite de ses pétrodolllars pour racheter les entreprises clefs du pays. Isabel Dos Santos, fille privilégiée du dictateur angolais José Eduardo Dos Santos, est le cas exemplaire de ce nouveau pouvoir économique, et elle a réussi à accroître sa richesse en s’associant à l’homme d’affaires portugais Américo Amorim. Et pendant que des angolais arrivent, des portugais partent dans l’ancienne colonie pour essayer de bénéficier de sa croissance économique.Les sensations des visiteursLudivine Laniepce est l’une des étudiantes qui a travaillé sur le troisième numéro de Visó. Elle a rencontré un peuple ami de la France et avec une bonne maîtrise du français. Frappée par les conditions de vie des jeunes portugais, elle se dit également surprise par la passivité de certains : « Au Portugal il y a des protestations régulières, mais très mesurées. Les jeunes générations ne connaissent pas vraiment leur histoire, ils ne sont pas vraiment concernés par le 40e anniversaire de la révolution des œillets ». Elle ne croit pas possible le succès d’une deuxième révolution portugaise. Sa troisième constatation, également par rapport aux jeunes, c’est qu’une majorité parmi ceux-ci prévoient comme « presque naturelle» l’hypothèse de partir ailleurs à court terme. D’ailleurs, elle a eu la chance d’interviewer Eduardo Lourenço avec une collègue , Géraldine Robin. Un entretien de plus de trois heures qui a fortement marqué ces deux étudiantes.

Maria Santos-Sainz rappelle que l’année prochaine il y aura des élections législatives au Portugal. Elle a perçu un mécontentement assez visible dans le pays, et remarque que l’unique parti qui a progressé lors des élections locales est le Parti Communiste. « La révolution n’a pas eu lieu encore, la seconde. J’espère voir un changement lors des prochaines élections », insiste-t-elle.Les espoirs du journalismeQuand l’on parle avec Maria Santos-Sainz et Ludivine Laniepce de l’avenir des étudiantes de l’IJBA dans le journalisme (un métier menacé au Portugal, comme on lit sur Visó), elles sont plutôt optimistes. « La crise touche tous les journalistes, mais en France nous avons la chance d’avoir des écoles reconnues avec des partenariats avec les médias, des stages, des remplacements d’été… »

Toutefois, l’enquête annuelle de l’IJBA sur le parcours professionnel de ses étudiants démontre qu’obtenir un travail stable est plus compliqué aujourd’hui. « Avant il fallait attendre quatre ans pour décrocher un CDI, maintenant ç’est passé à huit ans », explique la professeure. Ludivine Laniepce, qui envisage de s’engager dans la presse régionale, a vécu des moments d’inquiétude en pensant à son avenir : « Je commence à relativiser, il y a des gens qui partiront à la retraite…». Un travail comme celui fait au Portugal invite à l’espérance.

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