L’humour noir de Philippe Mohlitz aux Beaux-Arts


Beaux-Arts
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 02/03/2018 PAR Alix Fourcade

Un homme, aux allures de chasseur, est assis sur un trépied avec une longue-vue. En suivant la trajectoire de celle-ci, le spectateur atterrit sur une petite tour, où, à y regarder de plus près, il aperçoit une femme, nue, en train de faire sa toilette : c’est « La vue ». Dans « Le toucher », nul besoin d’autant d’accommodation pour l’œil, une grosse main articulée vient vigoureusement toucher du doigt les fesses d’une jeune demoiselle, elle aussi dénudée, et affairée à se faire belle. Les deux gravures font partie de la série sur les cinq sens de Philippe Mohlitz.

« Vous recevez des infirmes aujourd’hui ? », s’amuse l’artiste bordelais de 76 ans, présent pour la présentation de l’exposition à la presse ce jeudi 2 mars. Bien que peu bavard, le grand barbu aux cheveux blancs a l’œil affiné, sûrement grâce à la précision que lui demande son travail. Il pose la question en constatant que des loupes sont proposées à l’entrée de l’exposition aux visiteurs, pour observer les infimes détails que chacune de ses œuvres à l’encre noire recèlent.

Deux gravures des deux maîtres de Philippe Mohlitz, Rodolphe Bresdin et Jean Delpech, introduisent son univers, entre le gothique et le comique. À côté, sa plus petite œuvre, de la taille d’un timbre-poste, côtoie sa plus grande œuvre. S’il a mis trois jours à faire la première, il a consacré près d’un an à la seconde.

Un extrait du film « Le chevalier, la mort et le diable » est diffusé un peu plus loin, où l’on voit le buriniste travailler dans son ancien atelier sur une plaque de cuivre, sur laquelle il dessine une tête de cheval.

Coléoptères, dromadaires et monastères

Des coléoptères, des dromadaires, mais aussi une nature prolifique, où s’entremêlent des fleurs, des épis de maïs aztèques… Ces petits détails installent, dans chacune des gravures du dessinateur, des atmosphères uniques. Dans cette ambiance gothique, où les intérieurs ont souvent des allures de vieux monastères décrépis, des personnages abîmés, voire franchement fripés, rodent, sans jamais réellement regarder le spectateur.

Omniprésente, la mort se manifeste particulièrement sous la forme de croix, de morceaux d’os, ou de carcasses de bateaux, qui laissent imaginer de terribles naufrages. Un poids morbide dont Mohlitz se joue en y ajoutant du sexe, de la jeunesse, comme dans « Acné », où une jeune fille est tranquillement en train de faire l’inventaire de ses pustules faciales en prenant son bain, tandis qu’un squelette est sur le point de la rejoindre, sans qu’elle ne le remarque.

« Pilleur de rêves » laisse le spectateur d’autant plus songeur quand on apprend que certaines gravures révéleraient d’autres détails encore, en les orientant différemment. Ce titre a été choisi en référence à l’œuvre « Pilleur d’épaves » de Mohlitz, qui présente un bateau à la dérive. L’exposition rassemble essentiellement des œuvres au burin et pointe sèche, mais aussi sept sculptures en argent et/ou en bronze.

« J’étais trop fainéant pour l’usine, et trop con pour l’administration »

Difficile d’en apprendre plus sur l’artiste lui-même, tant il se protège derrière sa carapace. Son humour la transperce tout de même, malgré lui. « J’étais trop fainéant pour l’usine, et trop con pour l’administration », explique-t-il pour justifier son choix de carrière. Né, très certainement, à Saint-André-de-Cubzac (33), bien qu’il ne veuille l’élucider lui-même, le Bordelais paraît attaché à sa région qu’il représente dans certaines gravures. Notons celle où la célèbre grosse cloche se détache de son socle, dans un état de décrépitude avancée.

De 1965 à 1970, Philippe Mohlitz suit des cours du soir avec le graveur Jean Delpech. Il y réalise sa première œuvre, « La vierge à la sarbacane » en 1965, la femme ayant décidément une place omniprésente, si ce n’est privilégiée, dans son travail.

La technique est le seul sujet sur lequel il accepte de s’étendre. Ses instruments sont d’ailleurs exposés dans l’exposition. Pour ses gravures, il commence par un « crobard » dans son carnet. Puis, il procède à la taille sur cuivre avec son burin, qu’il enfonce plus ou moins, pour faire varier l’épaisseur des traits, ou avec une pointe sèche, qui permet de donner un effet de griffure sur le papier.

Première exposition consacrée exclusivement à son travail, « Pilleur de rêves » a tout l’air d’une rétrospective. « C’est la dernière », plaisante le grand homme, visiblement mal à l’aise qu’une salle entière lui soit dédiée. À la fin de la présentation à la presse, il préfère d’ailleurs partir boire une bière tranquillement de son côté, plutôt que d’enchaîner sur un café avec les journalistes.

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