Aqui! : Voilà plus de huit mois que l’ETA a annoncé un cessez-le-feu permanent mais plus le temps passe et plus on a le sentiment vu de France que rien de décisif ne se produit, sinon un regain de tension et des actes délictueux (vols d’armes en France ) et des manifestations au Pays Basque et à Madrid. N’y a t-il pas des négociations secrètes dont personne ne parle ?
Mathieu de Taillac : Il y a une date clé à prendre en compte : l’annonce par José Luis Zapatero ,le 29 juin dernier, qu’après avoir vérifié l’abandon de la violence par l’ETA, il ouvrait les négociations avec la bande armée. Le contenu des négociations est donc secret, mais leur existence même fait peu de doute.
Il faut distinguer ici deux démarches formellement séparées. D’un côté, les négociations avec les terroristes. Officiellement elles ne portent que sur la situation des prisonniers et la concrétisation du démantèlement de l’ETA. D’autre part la future création d’une « table des partis » basques, c’est-à-dire des réunions entre toutes les formations, dont la vitrine de l’ETA aujourd’hui illégale, Batasuna, pour discuter de l’avenir politique du Pays Basque.
@! : La démarche de Zapatero n’est pas aussi lisible que ses propos pourraient le laisser penser. Que peut contenir le » grand accord de coexistence politique au Pays basque » dont parle le président du gouvernement espagnol ?
M.d.T. : Cet accord se réfère justement à la partie politique du processus de changement au Pays basque. La « table des partis » a pour objectif de discuter de l’évolution institutionnelle de la communauté autonome Pays basque, l’Euskadi.
Une bonne référence de jusqu’où le gouvernement espagnol est disposé à céder, c’est le nouveau Statut catalan, la mini constitution qui dans chaque région espagnole régit les rapports entre l’État et la région. Le Statut catalan est le fruit d’un très large consensus au Parlement régional, et il prévoit de nouvelles compétences -la gestion des aéroports par exemple- et un nouveau financement -la Catalogne doit recevoir de l’État un financement proportionnel à sa contribution-, en plus de définir la Catalogne comme une « nation ».
A contrario, le « plan Ibarretxe » qui devait établir un État basque « librement associé à l’État espagnol », voté par une courte majorité à Vitoria, a été fermement rejeté par Madrid en 2005.
@! : A supposer que la trêve se poursuive, quelles étapes concrètes peut-on imaginer dans la négociation? Et croyez-vous, qu’au delà de la classe politique espagnole, la société puisse accepterqu’un référendum d’autodétermination voit jamais le jour au Pays Basque espagnol ?
M.d.T. :On a l’impression que les deux interlocuteurs se regardent en chiens de faïence. Le gouvernement attend de l’ETA une confirmation que le cessez-le-feu n’a pas de marche arrière possible. L’ETA attend des gestes concrets du gouvernement, par exemple sur la situation des prisonniers.
Une fois ce processus engagé, la question politique pourra revenir au premier plan. Une étape clé serait la légalisation de Batasuna, ou la création sous d’autres sigles d’un parti politique légal représentant le mouvement indépendantiste qui partage les mêmes objectifs que l’ETA. Si cette légalisation n’intervient pas avant les élections municipales et régionales de Mai 2007, le processus risque de se gripper sérieusement.
Quant au referendum d’autodétermination, il est inimaginable à ce jour. La société espagnole n’est pas prête à donner l’impression de céder sur l’une des revendications phare des terroristes. Si un jour un Pays basque pacifié parvenait à devenir une espèce de Québec européen, alors l’hypothèse pourrait devenir envisageable, mais je crois qu’au moins une génération d’hommes politiques et de citoyens de base aura dû passer entre temps.