C’est une première dans la région, est c’est à Bordeaux qu’il s’est lancé. Suite aux attentats de janvier dernier, la Fédération Musulmane de la Gironde, la Mairie de Bordeaux et la Société de Recherche et d’Analyse en Emprise Mentale (SFRAEM) ont été réunis par la Préfecture de la Gironde avec de nombreux autres acteurs pour créer un tout nouveau lieu de prévention pour lutter « en amont » contre l’embrigadement des jeunes dans l’islamisme radical. Le CAPRI, pour Centre d’Action et de Prévention contre la Radicalisation des individus a donc vu le jour des conséquences de cette réflexion au mois d’octobre dernier. Située près de la place Gambetta, le bâtiment qui l’accueille compte déjà trois psychologues pour des cas pour l’instant principalement signalés par la préfecture. On ignore le coût du lancement d’une telle struture. En revanche, on sait que l’État en est le principal financeur, avec l’aide du Comité Interministériel de Prévention de la délinquance, mais aussi à l’échelon local, via la mairie de Bordeaux Métropole, le Conseil départemental de la Gironde et le Conseil régional d’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes.
Sa principale mission : prévenir la radicalisation en analysant les signaux qui peuvent la favoriser (comme la rupture de relations familiales ou un attrait soudain pour la violence), à la fois à travers une prise en charge psycho-sociale et, plus inédit, une intervention sur le fait religieux (notamment avec des experts en théologie et spécialistes de l’islam comme l’imam de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, engagé dans l’action à titre consultatif) pour réexpliquer les notions coraniques afin de désenclaver un extrémisme devenu un phénomène de société en France. Ce type de structure, étudiée et mise en place à partir d’exemples internationaux (notamment au Québec ou à Londres via le dispositif Prevent lancé à la suite des attentats de 2005 dans les transports publics qui avait provoqué la mort de 56 personnes), est assez rare en France. Il en existe trois similaires : en Ile-de-France, en Alsace et sur la Côte d’Azur.
Une méthode concrète
Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux chargé de la diversité, secrétaire général et porte-parole du CAPRI, explique son fonctionnement de l’intérieur. « Les familles peuvent nous contacter via notre site internet (radicalisation internet), par téléphone ou par mail. On analyse ensuite s’il s’agit d’un cas de radicalisation ou pas, avec des indicateurs que nous avons définis. Si c’est le cas, on le transfère auprès d’une cellule pluri-professionnelle d’évaluation qui va proposer une prise en charge adaptée. Elle pourra être à base de psychologie, d’intervention dans le champ social ou théologique », affirme-t-il. « C’est forcément très compliqué, parce que certains jeunes sont radicalisés sans forcément avoir conscience de l’être. 80% du travail repose donc sur les familles (notamment pour désamorcer les conflits familiaux qui peuvent en être l’origine), qui vont être accompagnées pour renouer un lien affectif avec ces jeunes afin de les sortir de l’emprise qui abolit leur discernement ».
Le CAPRI a donc été lancé officiellement ce samedi à Bordeaux en présence de Patrick Kanner, Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, qui en a profité pour faire quelques annonces d’ordre plus administratif que réellement concret. « La radicalisation, ce n’est pas l’apanage des quartiers de la politique de la ville, ils n’ont donc pas à se justifier de leur appartenance à la communauté nationale », a-t-il affirmé à la tribune. « Mais je sais voir avec lucidité que certains d’entre eux sont gangrénés par ce poison. C’est pourquoi nous avons pris la décision que dans chacun des 437 contrats de ville, il y aura un plan d’action sur la prévention de la radicalisation qui constituera une annexe à côté du développement social, de la rénovation urbaine et du développement économique. Les 317 délégués de l’Etat qui interviennent au coeur des quartiers auront désormais vocation à jouer un rôle d’interface entre les cellules de suivi départemental et au niveau local ».
Des profils types ?
Un collège d’expert devrait donc se réunir tous les 15 jours pour étudier les nouveaux cas. Pour l’heure il y en a environ une dizaine, pour une quarantaine d’individus suivis en Gironde depuis la fin du mois de juillet. Si le contenu des sessions avec les spécialistes restent volontairement floues, on en sait en revanche un peu plus sur les trois profils les plus fréquemment rencontrés : les jeunes atteints d’une pathologie d’ordre psychologique (environ 15%), les jeunes femmes sous emprises principalement recrutées sur le web et la dernière frange, les jeunes hommes effectuant un choix rationnel. La nouvelle cellule bordelaise compte a donc un objectif à long terme : celui de changer les mentalités. Un travail d’autant plus difficile à effectuer lorsqu’on sait qu’actuellement (selon des chiffres datant d’avril dernier), 1573 français seraient « directement impliqués dans des filières terroristes » en Irak et en Syrie, soit 3 fois plus qu’en janvier 2014. Pire : 30% de ces individus seraient des femmes.