Accompagnée de deux comédiens de cette époque, Christian Drillaud et Marief Guittier, la pièce accueillait une nouvelle recrue, Cécile Bournay, incarnant le rôle de la voluptueuse Estelle. Un trio revigorant sur lequel reposait la crédibilité de la pièce, qui a su donner corps (et chair) au texte inlassablement joué de Jean-Paul Sartre.
« L’enfer c’est les autres »
Si l’on connaît par cœur la très célèbre phrase « l’enfer c’est les autres » peut être est-il encore besoin de préciser le contexte dont elle est issue. Reclus ensemble pour l’éternité dans ce qui est qualifié d’enfer dans la pièce, les trois personnages découvrent progressivement que les flammes ne brûleront pas et que le bourreau ne sera pas celui qu’ils imaginaient. Parce que le supplice physique serait trop aisé pour Garcin, macho sans vergogne qui torturait sa femme, Inès, mante religieuse au désir de séduction insatiable et Estelle infanticide et naïve maîtresse, Jean Paul Sartre crée une situation nettement plus oppressante, où chaque personnage causera la perte de l’autre. Pris au piège de ce cercle vicieux, scrutés et percés à jour dans leur plus grande noirceur, chacun devra composer avec la présence et le regard de l’autre, espérant en vain y trouver un quelconque salut, jusqu’à cette sentence sans appel : Le bourreau c’est chacun de nous pour les deux autres. »
Du théâtre avant tout
Pour cette reprise, Michel Raskine avoue ne pas avoir modifié grand nombre d’éléments. La scénographie est identique ; toujours le même décor, savant mélange de rudimentaire et d’un salon empire aux canapés et lustres d’une flamboyance révolue. Des lettres en néon rouge nous rappellent qu’on assiste à une pièce de théâtre, manière de nous annoncer qu’il sera effectivement question de théâtralité sur scène. Car au-delà d’une évidente question philosophique, Michel Raskine semble vouloir insister sur le fait que « Huis Clos » est un texte éminemment théâtral.Explorant les moindres recoins de la pièce, extrayant les détails scénographiques présents dans chaque dialogue, le metteur en scène présente sur le plateau ce que Sartre précise implicitement dans son œuvre : les couleurs, les éléments de décor, les déplacements, les tenues vestimentaires…La mise en scène est tout ce qu’il y a de plus fidèle et rend le spectacle extrêmement cohérent, les comédiens participant pour beaucoup à cette matérialisation du texte. Certes, ils peuvent agacer par leur côté stéréotypé, voir trop proche du théâtre de boulevard pour certains ; pour autant ils donnent littéralement vie et corps au texte et évitent de tomber dans les écueils de l’intellectualisme et de la lourdeur littéraire. N’oublions pas que sur scène, il n’est question que de jeu, que ce texte a été écrit à l’origine pour des comédiens et que la réflexion menée n’est peut-être pas si impérieuse et solennelle qu’on peut le supposer. Baignés dans la lumière blafarde d’une rangée de néons, Michel Raskine nous ouvre les portes de son enfer avec générosité et nous invite à contempler ces trois personnages qui se débattent tant bien que mal pour tenter de trouver une nouvelle issue à leur non-existence.
Des esprits esseulés mais des corps à vif
Plus que des morts, ce sont des « absents » qui se présentent sur scène. Des personnages perdus dans les limbes, qui pour comble de leur souffrance, entrevoient des instants de leur vie sans eux, sur terre. Tous ont péché, tous seront punis par là où ils ont péché : l’autre. Incapables de s’ignorer, comme le préconise Garcin au début de la pièce, ils entreront dans une relation d’interdépendance frustrée qui les conduira au désespoir. Ne pouvant supporter de ne pas être aimés par les autres, habitués à maîtriser des êtres plus faibles, chacun enrage à l’idée d’être confronté pour toujours à deux êtres aussi pervers que soi. Inès, d’abord, longiligne prédatrice, éternellement en quête de femme. Voyant Estelle préférer Garcin, elle se vengera sur cet homme, le provoquant sur son terrain le plus sensible : la lâcheté. Garcin, justement, déserteur assassiné qui préférait régner sur sa femme que prouver son courage. Il ne donnera pas à Estelle ce qu’elle désire le plus: de l’attention. Estelle enfin, blonde, voluptueuse, jeune, séductrice… fragile et déséquilibrée, elle créera la perte d’Inès en ne cédant pas à ses assauts. Des personnalités classiques du départ, Sartre dressera progressivement le portrait de bourreaux du quotidien, enfermés dans leur mauvaise foi, seule issue possible pour se dédouaner. À l’exception d’Inès qui jouera le rôle de déclencheur des prises de conscience. Des révélations honteuses naîtront l’impulsion physique, créant au-delà d’un théâtre de mots, un théâtre de corps, suivant l’éternel principe d’éros et thanatos. Faisant rimer éternité avec trivialité, Michel Raskine attribue aux personnages de Sartre une dimension primitive qui les ancrera dans le réel, menant ainsi de front la double réflexion présente dans la pièce de Sartre : la place du jeu sur scène et la responsabilité des hommes face à leurs actes.
Hélène Fiszpan
Huis Clos de Jean Paul Sartre, mis en scène par Michel Raskine au TnBA,
Du 22 au 26 janvier 2008.
Réservations par téléphone au 05 56 33 36 80 ou par internet www.tnba.org