« La France, c’est le pays de la liberté, de la justice, de la démocratie ! Ici, on n’a rien du tout », crie Ahmedo, électricien sans papiers de 40 ans, au bord des larmes. Depuis près d’un an, il fait partie des quelques 300 jeunes hommes (pas plus de 40 ans pour la plupart) qui ont fui les exactions de l’état marocain, des indépendantistes du front Polisario (qui occupent environ un quart de ce territoire contrôlé majoritairement par le Maroc et en réclament l’indépendance) et des groupes intégristes perpétrés sur les quelques 150 000 réfugiés de Tindouf, au Sahara Occidental. Des heurts ont poussé un grand nombre de réfugiés à quitter le pays en 2010. Installés dans un campement fait de bric et de broc et de matériaux récupérés, ces hommes originaires de Dahkla, ville côtière de 60 000 habitants, se logent depuis janvier dernier sous le Pont Saint-Jean, à quelques minutes du centre ville de Bordeaux. A l’intérieur du camp, de la boue, des conditions de vie déplorables. Pas d’eau, il faut aller la chercher à plus d’un kilomètre. Pas d’électricité non plus. L’un des réfugiés nous montre un vieux frigo usagé, qui trône en plein milieu du camp, témoin d’un véritable « bidonville à ciel ouvert ».
Des associations viennent en aide aux réfugiésDepuis des mois, la Ligue des Droits de l’Homme, la CIMADE et l’ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés) dénoncent cette situation auprès des pouvoirs publics, qui peinent à répondre à la demande. Quelques privilégiés ont déjà été logés 2 ou 3 jours dans des hôtels, la plupart sont sans papiers et sans travail. « Nous ne sommes pas des animaux », tempête Ahmedo. Les femmes et les enfants, eux, sont logés ailleurs, à Villeneuve d’Ornon. Selon un journaliste présent sur place, cette situation est la même depuis longtemps. Le propriétaire du terrain sur lequel les réfugiés sont installés aurait même fait une demande d’expulsion, « craignant le risque d’inondations ». « Le logement et l’hébergement de ces personnes, leur protection, sont obligatoires, prévues dans la Convention de Genève. La préfecture de Gironde a plusieurs fois été condamnée par le tribunal administratif pour leur abandon des demandeurs d’asile. Un deuxième campement a même été ouvert, faute de place ».
Dans le deuxième site, près de la bretelle de sortie du Pont Saint-Jean en direction du centre-ville de Bordeaux, les conditions ne sont guère plus reluisantes. Dans de vielles tentes recouvertes de bâches bleues, l’un des réfugiés confie : « On est jusqu’à 10 là dedans. On dort tous ici. On nous fait beaucoup de promesse, mais on ne voit pas d’avenir ». Sous un pont, une demi-douzaine de tentes pliables sont posées à même le sol sur un trottoir. Au milieu du passage, l’eau a tout inondé, et les canalisations sont bouchées. Les hommes sont obligés de pomper l’eau avec des seaux, « mais elle revient toujours ». « La plupart des vêtements que nous portons, c’est les associations humanitaires qui nous les ont donné », confie un réfugié. Elles sont là aussi tous les vendredi pour leur porter de quoi manger et garder un peu espoir. Mais la réalité est amère pour la plupart. « Les autorités savent les conditions dans lesquelles nous vivons. Mais elles restent loin de nous ».
« Rien ne bouge »« C’est scandaleux de voir que rien ne bouge, et que tout le monde fait la sourde oreille. Il y a quantité de bâtiments abandonnés ou non utilisés dans les alentours qui pourraient être réquisitionnés pour permettre à ces hommes de vivre au moins un peu plus décemment », affirme Jean-Claude Guicheney, de la Ligue des Droits de l’Homme de Bordeaux. « Tout ce qu’ils veulent, c’est qu’une solution concrète soit trouvée, pour ne plus qu’ils dorment sous un pont ». Certains réfugiés improvisent un feu en brûlant du papier dans un vieux barril. D’autres pataugent dans la boue et les flaques d’eau, mais ici pas de haine.
Certains, le sourire aux lèvres, gardent encore espoir. « On espère tous qu’on va nous sortir de là. Je suis là depuis le mois d’août 2013, ça commence à faire long ». En attendant, les solutions d’hébergement tardent à venir, et les associations veulent alerter les pouvoirs publics et les élus. « C’est ni plus ni moins qu’un bidonville en plein coeur de Bordeaux. Des gens qui, pour la plupart, fuient la menace de la colonisation marocaine, et c’est une situation qui dure depuis 40 ans », déclare une représentante. La petite centaine de réfugiés sahraouis ont presque tous fait une demande de droit d’asile depuis plusieurs mois, mais pour eux, les portes semblent rester closes.
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