« Ce n’est pas parce que la presse fait de l’information qu’elle est solide. Son existence, c’est le tiroir-caisse ». Nicolas Brimo justifie ainsi l’obligation de certains titres de presse de passer sous le contrôle de grands groupes, en raison d’une « santé économique catastrophique ». Le journaliste du Canard Enchaîné cite plusieurs exemples, comme Le Parisien (LVMH), le Figaro (Dassault) ou encore l’Express et Libération (Patrick Drahi – Altice). Pour Eric Fottorino, lui aussi, le « paysage est sinistré », tant sur la création que la diffusion. « Chaque année, 800 à 1 000 points de vente disparaissent », poursuit le cofondateur du ‘Un’. Il est rejoint par son confrère du Canard Enchaîné. « En 10 ans, le Canard est passé de 32 000 points de vente à environ 20 000 ».
Internet : le chamboulement
Eric Fottorino estime que le déclin de la presse remonte surtout aux années 2000. « Pour moi, deux moments ont aggravé les difficultés de la presse écrite : l’arrivée de Google, qui proposait de nous référencer, aspirant nos contenus sans nous payer et dans le même temps l’arrivée des [quotidiens] gratuits. Et là, quand vous êtes lecteurs, pourquoi vous ennuyer a payer un journal, quand vous y avez accès gratuitement en ligne ? ». A partir de ce moment-là, les abonnements ont commencé à se développer. Nicolas Brimo est fataliste : « à terme, nous serons tous de plus en plus obligés à passer par internet ». Ce constat est paradoxal, puisque Brimo, comme Fottorino, dirigent deux des médias ayant choisi de résumer leur présence sur internet à une simple vitrine de leur papier.
« La profession a une part de responsabilité »
Le lectorat est important, mais pour Nicolas Brimo, le principe fondamental d’une presse qui marche est « de ne pas dépenser plus qu’on gagne. Cela semble tout simple, mais la presse l’a oublié pendant une période ». Ce n’est pourtant pas le seul reproche qu’il fait aux journalistes. En effet, selon lui, la presse française est, en majorité, « inculte du point de vue de l’économie et se montre incapable de démontrer les enjeux internationaux, comme à l’Union Européenne ou l’ONU ». Il est rejoint sur ce point par Eric Fottorino, qui se souvient d’une anecdote remontant à l’époque où il était directeur du Monde. Alain Minc, alors président du conseil de surveillance du Monde, souhaitait rappeler les correspondants de l’étranger et les faire travailler à distance depuis Paris. « J’ai refusé, se souvient Eric Fottorino. Être journaliste, c’est aller voir, perdre du temps. Oui ça coûte de l’argent, mais c’est important d’avoir les correspondants directement sur place ».