Véronique est une femme à histoires ! Il ne s’agit pas des siennes, bien sûr, elle est beaucoup trop délicate pour en faire. Mais elle s’intéresse aux histoires des autres. Car Véronique est « passeur de mémoire ». Elle transmet les mots de tous ceux qui n’ont jamais bien su parler d’eux-mêmes.
L’école était si ennuyeuse ! Elle adorait les histoires et on lui parlait d’Histoire. Dans la maison de Bègles, ses grands parents aussi disaient des choses générales. Mais jamais rien sur évènements intimes ou importants de leur vie, sur leurs sentiments. « Si mon grand-père m’avait raconté sa guerre à lui, ses émotions, le conflit de 39-45 aurait été moins lointain, plus réel. »
Plus tard, en retrouvant ses lettres, Véronique Tinel a découvert un autre grand-père, et mesuré combien il était difficile de se construire dans l’ignorance de son passé. La jeune fille plutôt contemplative, amoureuse de Kessel et d’Umberto Ecco, reprend ses études à 25 ans et fait un DEA… d’Histoire. Elle se passionne pour le Moyen-Age, et l’aventure des hommes dans l’évolution des idées et des mœurs. De ses études sur les Chemins de Compostelle pour le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques, naît la volonté de transmettre la mémoire.
« A trente ans, j’ai fait ce que l’on fait à 12 ans, j’ai commencé un journal intime et je me suis inscrite dans un atelier d’écriture. Ce fut une rencontre magique pour aller à ma propre découverte ! » Véronique dit alors à tout le monde : « Racontez qui vous êtes, parlez de vos rêves, brisez les silences ! ».
Elle veut faire comprendre aux gens que l’histoire orale est au moins aussi importante que l’autre. Peu à peu, elle va prendre la plume pour être, dit-elle, « passeur de mémoire » et transmettre ainsi ce que lui confient ses premiers « narrateurs ». Ils ont eu ses coordonnées par la maison des écrivains. Certains veulent laisser une trace, transmettre des souvenirs aux petits-enfants à l’occasion d’une fête de famille, retrouver leur cheminement, comprendre leur passé… Les expériences sont toutes différentes, les mots uniques.
Véronique Tinel les recueille chez le narrateur, dans son intimité. Au préalable, ils se sont entendus sur la forme du livre à venir. De la simple monographie au livre relié, où seront insérées les photos, les diplômes, les contrats de mariage…
« C’est très difficile d’entrer dans la vie des gens, confie-t-elle. Je dois les rassurer, expliquer que je suis astreinte au secret professionnel. Personne ne se donne tout de suite. Il faut du temps pour se projeter dans les évènements, livrer ses émotions. Il faut s’apprivoiser. » Les rencontres sont toujours bouleversantes, les expériences extraordinaires. Souvent les larmes jaillissent. Parfois ce qui est dit ne sera jamais écrit.
Véronique, « sidérée par la richesse des êtres humains » s’est intéressée à la psycho généalogie. Elle sait trouver les nœuds, les pistes. Mais rien à voir avec de la thérapie. « Je ne suis pas une analyste, mais un guide qui dénoue l’écheveau depuis la naissance. »
Les entretiens terminés, elle laisse le texte reposer et le remet en ordre, sans en perdre la spontanéité. Puis elle le travaille avec son narrateur. « Je ne suis pas écrivain, je ne fais pas de littérature et je ne m’approprie pas l’histoire. Si je ne transcris pas les mots tels qu’ils sont dits, ça ne marche pas. J’écris seulement le récit d’une vie, en allant au plus juste de ce qu’elle est ». La vie. Elle tient dans quelques dizaines de pages et il faut se la réapproprier, puis la livrer. « Il se passe quelque chose de douloureux qui se termine. Parfois les gens ne sont pas prêts à donner le livre. »
Il est aussi arrivé à Véronique Tinel de ne pas aller au bout du travail. Un vieux monsieur l’a appelée. Il avait du mal à se raconter, puis il est devenu intarissable. Véronique n’avait plus assez de temps pour lui, alors il s’est mis à écrire. « C’est le plus beau cadeau qu’il pouvait me faire ! »
Rosalyne Bottrel