L’interdiction de fumer dans les lieux publics avec les multiples reportages « peuples » au café du commerce qu’elle a engendré sur les medias a jeté un rideau de fumée sur ce qui se trame dans les arcanes de la finance, en particulier celles qui sont impliquées dans la filière tabacole. Selon toute évidence, le 11 janvier prochain, Altadis qui est le produit de la fusion de l’Espagnol Tabacalera et de la SEITA française, va tomber dans le giron de la multinationale anglaise Impérial Tobacco. La France, l’Etat français vont ainsi perdre les derniers débris de leur présence dans une entreprise qui est complètement tombée sous le coup de la libéralisation économique, avec l’incontournable passage par la privatisation. On peut considérer, certes, qu’avec le tabac il n’y a rien à regretter, mais ce qui se passe pour ce secteur peut très bien se dérouler ailleurs. Cependant côté tabac il y a toute une histoire.
Le tabac et les pouvoirs
Sans imposer ici un rappel ennuyeux, il est bon de se souvenir que, découvert en 1492 en même temps que l’Amérique par Christophe Colomb, ramené en France par le moine angoumois André Thevet, le tabac a rapidement connu la mainmise des pouvoirs successifs; Jean Nicot en fit de la poudre destinée à remédier aux migraines du fils de Catherine de Médicis François II, Richelieu lui infligea des droits de douanes avant la création du monopole en 1674. Si celui-ci fut remplacé par la liberteé de la culture par les députés révolutionnaires de 1791, Napoléon le rétablit en 1810. La Seita dans la forme qu’on lui connaissait avant la naissance du Marché Commun fut créée en 1926 par Raymond Poincaré. On peut dire que tout au long de son existence le monopole a été un outil de prélèvement d’impôts que l’Etat ne s’est pas privé d’utiliser. La Seita qui était devenue en 1959 un établissement public à caractère industriel et commercial, a commencé à glisser sur la pente de la décomposition en 1970 avec l’abolition des barrières douanières et la suppression du monopole, suivie en 1976 de la disparition du monopole de l’importation. En 1980, le pouvoir de l’époque lui accorda toutefois un sursaut national en la transformant en société nationale dont l’actionnaire unique serait l’Etat. Formule qui résistera près de 15 ans. En 1995 le gouvernement privatisera la SEITA, décision qui permettra l’arrivée des investisseurs institutionnels, et de réserver une part minime des actions aux salariés. Mais le monde continue de bouger, les anti-tabac aussi.
La bonne affaire
En 1999, la SEITA et l’Espagnol Tabacalera fusionnent et créent Altadis. C’est donc ce groupe qui interesse à travers « une OPA amicale » Imperial Tobacco. Altadis est doté d’un capital social qui est détenu à près de 80% par les investisseurs institutionnels (surtout anglo-saxons) 13% par les actionnaires individuels, 3% par les salariés, et 2% par l’Etat espagnol. « Pour éviter que l’OPA ne devienne hostile » le conseil d’administration d’Altadis a fini par accepter au niveau de 50 euros par action l’offre de la firme d’Outre-Manche, la préférant à celle de Capital Partners. Le numero quatre mondial du tabac va ainsi s’offrir la Gauloise et la Gitane pour plus de 16 milliards d’euros. Une bonne affaire pour les actionnaires: l’action d’Altadis valait autour de 21 euros en 2002. Les campagnes anti-tabac, les procés qui planent sur les multinationales tabacoles incitent, certes, ces dernières à se serrer les coudes. Les ventes de cigarettes avaient ainsi fortement baissé en Espagne en 2006. Mais des mesures de restructuration d’Altadis avaient porté leurs fruits en 2007. Pour les neuf premiers mois de cet exercice le chiffre d’affaire économique du groupe s’est situé à 3019 millions d’euros contre 2041 l’année précédente. Et si les ventes de cigares ont baissé, celles de cigarettes, grâce à l’exportation avaient atteint 89,6 milliards d’unités contre 85,7. On peut donc se demander aujourd’hui quelles seront les conséquences pour la France de cette opération. On aimerait aussi connaïtre la position du gouvernement français sur la question. Il semble cependant que les autorités européennes enquêtent à propos de cette OPA, (laquelle ne sera effective que si au moins 80% des actions sont acquises par Imperial).
Qu’en restera-t-il?
La fédération CGT des tabacs attend d’y voir plus clair pour faire part de sa position, mais elle craint pour l’emploi et l’avenir des quelques sites de production qui demeurent encore en France( Nantes, Riom, Strasbourg, Metz, Le Havre). Côté planteurs on assiste dans une certaine indifférence à cette perspective d’acquisition, considérant « que cela ne changera pas grand chose pour l’achat des tabacs ». Le repreneur aurait aussi donné des assurances quant à l’avenir du centre de recherche de Bergerac. Mais chacun s’accorde à reconnaitre que l’arrivée d’Imperial Tobaco sera inévitablement suivie d’une restructuration. Déjà Altadis n’emploie pas plus de 5000 salariés en France (il en comptait plusieurs dizaines de millers à la belle époque du tabac) sur 27 000, et le nombre des planteurs français est tombé en 40 ans de plus 100 000 à 5000.
Gilbert Garrouty