Aqui ! Comment analysez-vous les résultats du FN aux élections européennes ?
Roland Cayrol : Il faut les relativiser. C’est la seule élection à la proportionnelle en France. Et, c’est une élection secondaire, qui n’a pas vraiment de sens pour les Français, car ils ne voient pas l’intérêt du parlement européen. Mais, ne nous méprenons pas, le FN ne fera pas 25% aux prochaines élections nationales. Lors de ces européennes, 70% de ceux qui ont voté l’ont fait pour un parti pro-européen. Etre en tête dans une proportionnelle n’a jamais été une victoire. C’est une erreur des médias de dire que le FN est le premier parti de France.
@ ! : On entend aussi beaucoup dire que le FN n’est plus un vote de protestation, qu’en est-il vraiment ?
R.C : C’est faux de dire que le FN n’est plus un vote de protestation. La majorité absolue des électeurs du FN ne veulent pas quitter l’Europe et ne savent rien du programme économique du parti. Pire, la majorité des électeurs du FN ne souhaite pas que ses cadres participent à un gouvernement. A l’évidence, ce n’est pas un vote d’adhésion ! Pour autant, il ne faut pas négliger la montée de la protestation et du FN dans ce type d’élections. Il s’agit notamment d’ouvriers déçus par la situation économique nationale, la baisse du pouvoir d’achat. Actuellement, la force du FN de Marine Le Pen c’est de réussir à faire une jonction entre le Midi et une droite exacerbée et le Front national du Nord-Est, un FN de base ouvrière, de tradition de gauche. Alors que dans le Midi, c’est plutôt identitaire, par rapport aux étrangers. Ils rassemblent ces deux électorats sur l’hostilité contre les immigrés et un front anti-musulman. La nouveauté, c’est que la barrière de la nationalité est tombée. Désormais, les électeurs disent « dehors », même si les dits « immigrés » sont français.
@ ! : Le FN a aussi arrondi son image avec Marine Le Pen ?
R.C : Oui, car Marine Le Pen est une femme, elle est blonde et elle sourit, ce qui change l’image du FN. Et, le programme économique a changé du tout au tout. Jean-Marie Le Pen était un libéral, alors que celui de Marine Le Pen ressemble étrangement à celui de Mélenchon. On le voit notamment à son discours pour défendre les syndicalistes CGT de la SNCF. Ceci étant, dans les sondages, l’immigration ne vient qu’en septième position. C’est d’abord le chômage, le pouvoir d’achat et l’avenir des enfants. Il paraît difficile d’imaginer le FN arriver au pouvoir. Je ne vois pas qui aurait intérêt à l’UMP à se rapprocher du FN.
@ ! : Comment expliquez-vous que Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche ne montent pas malgré de plus en plus d’aspirations sociales ?
R.C : La première chose est que les Français ne sont pas sûrs que ce soit un parti protestataire. Ils se demandent si ce ne serait pas considéré plutôt comme un vote de gauche. Ce n’est pas une protestation sur la gauche de l’électorat, mais sur des gens qui attendent des résultats. Par exemple, le Front de gauche s’est insurgé contre le choix de Manuel Valls. Mais, en réalité, l’électorat socialiste ne veut pas une politique plus à gauche. Il veut des résultats. On n’est plus dans un vote idéaliste. Il n’y a aucune raison que ça profite à la gauche de la gauche, car ils ont été mouillés dans les échecs précédents.
@ ! : Sur un tout autre sujet, comment jugez-vous la façon dont le gouvernement a mis en place la réforme territoriale ?
R.C : Enfin ! Même si le gouvernement s’y est mal pris, il s’est enfin attaqué aux mille-feuilles, ce que personne n’a fait depuis 20 ans. Sur le sujet, même si je suis un fervent défenseur du débat, si on ouvre les débats, on n’y arrive jamais. La seule façon d’enclencher le processus, c’est de dire voilà une carte. Après, il y a le fait de ne discuter qu’avec certains « copains ». Cela fait un peu petits arrangements entre amis. Je n’ose pas croire que l’on laissera la région Pays de la Loire toute seule. Et, même chose, pour le gouvernement, le Massif central n’existe pas. Sur la question du cumul des mandats, le Sénat a tout essayé et n’a pas gagné. S’il y a une volonté politique et des gens de droite qui jouent le jeu, le gouvernement réussira cette réforme. Alain Juppé fait partie de ceux-là, a priori. Au fond, tout le monde a compris que les deux niveaux, c’est la métropole et la Région et qu’il fallait qu’elles soient plus puissantes par rapport à la taille économique. C’est important d’avoir compris cela. Le problème, ce n’est pas combien on va gagner, mais d’être plus efficace.
@ ! : A droite, la prochaine élection présidentielle est déjà dans toutes les têtes, quel candidat vous paraît le mieux placé ?
R.C : Il n’ya que trois candidats possibles : Fillon, Juppé et Sarkozy. Cela va se jouer sur leurs personnes et la dynamique qu’ils représentent. Si ce sont uniquement les militants qui se prononcent à la primaire de l’UMP, Alain Juppé ne passera pas, car il est trop modéré et trop âgé. A l’inverse, aux yeux de l’opinion publique, il est apprécié parce qu’il est modéré et âgé. A mon avis, Nicolas Sarkozy va essayer de faire durer l’idée qu’en tant qu’ancien président de la République, il peut sauter la case primaire. Mais, il a perdu les dernières élections. Et, les gens risquent de lui dire : « au nom de quoi ? ». Il ne faut pas enterrer trop vite François Fillon, car il a une base historique à l’UMP et a fait jeu égal avec Jean-François Copé pour la présidence de l’UMP. On devrait y voir plus clair en décembre 2015, car on verra si le pacte de responsabilité du gouvernement fonctionne ou non et la campagne des élections régionales sera engagée.