Depuis la loi Besson de 1990, la précarité énergétique est reconnue comme étant « la difficulté à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». Autrement dit, si vous avez du mal à vous chauffez, que les factures sont trop salées pour vous ou que vous utilisez moins d’énergie pour payer moins cher, vous êtes en situation de précarité énergétique. En France, ce serait plus de 7 millions de ménages qui seraient concernés. Depuis la loi sur la transition énergétique et lutte contre la précarité énergétique, plusieurs objectifs ont été mis en place, dont un plan pour la rénovation énergétique de 500 000 logements d’ici à 2017 (dont au moins la moitié occupée par des ménages à revenus modestes), la création d’un chèque énergie ou encore l’obligation de rénovation énergétique des logements lors des mutations à partir de… 2030 et « sous réserves d’outils financiers adéquats »…
Cette précarité, Nathalie Duviella, chef de projet au CREAQ (Centre Régional d’Eco-énergie d’AQuitaine) la constate régulièrement, puisque l’organisme accompagne les particuliers à plusieurs niveaux. « Premièrement, la compréhension de ce qui est consommé dans le logement via l’analyse des factures des consommations et l’accompagnement des personnes jusqu’au compteur puisque bien souvent, elles ne connaissent rien », affirme la responsable. « Deuxièmement, on travaille sur la réappropriation des logements et du confort. Quand c’est possible, on se rend dans les domiciles avec du matériel économe en eau et en énergie et on s’adapte à la situation, on laisse aux occupants ce qu’il nous semble pertinent de laisser comme des multiprises, un collecteur pour supprimer les veilles, des lampes basse consommation, des bas de portes, ect. Enfin, on fait des liens via d’autres partenaires comme l’Adile, la CHS ou simplement de la médiation avec les propriétaires bailleurs ».
Quant au profil type, « Les personnes en situation de précarité énergétique sont en revanche plutôt isolées, et elles ne le ressentent pas comme tel. Elles éprouvent par contre des difficultés à payer leurs factures alors qu’elles ont froid. Le froid est d’ailleurs un gros souci puisque quand nous avons effectué des visites hors du centre urbain du département, on a constaté qu’un ménage sur deux se chauffait à 14-15 degrés maximum. Quand on parle de ces problèmes, il y a évidemment le côté « combien je payes » mais il y a aussi le « combien je ne payes pas » et « combien je devrais payer pour être chauffé décemment ». Chaque problème est différent, mais les réponses apportées par les organismes officiels sont bien souvent inadaptées.
Un profil type ? C’est à ce problème qu’a été confrontée Camille Bassaler, une habitante du centre-ville de Bordeaux au RSA. « Ca a commencé avec du moisi aux fenêtres. L’agence n’a pas voulu intervenir, elle m’a même clairement fait comprendre que c’était de ma faute », résume la locataire. « J’ai contacté Allo Energie (une ligne téléphonique et un service lancé par le CREAQ et la ville de Bordeaux qui se présente comme un accompagnement personnalisé face aux problèmes énergétiques à domicile) qui m’a dit qu’il y avait des dysfonctionnement, notamment au niveau de la boiserie, du double vitrage défectueux. De là je suis passée par de multiples intermédiaires comme le service d’hygiène de la ville, mon agence immobilière. Par la suite, le bailleur m’a envoyé une lettre en me disant qu’il y aurait d’important travaux de sécurité à effectuer et que mon bail ne serait pas renouveler, alors qu’on venait de relouer un studio juste à côté… J’ai contacté un avocat après avoir reçu une lettre m’intimant de quitter les lieux. On voit que ce genre de dispositifs n’est pas connu, et quand on a pas beaucoup de moyens, on hésite à s’en servir ».
Un dilemne que connaît bien Véronique Bernard, chargée de mission « Précarité énergétique et évolution des métiers » à l’Ademe Aquitaine : « Pour les locataires, c’est toujours plus difficile car il faut convaincre le bailleur. Cette dame était toute seule car elle n’était pas dans un grand logement. Souvent, les collectifs se font dans de grands ensembles. Le locataire qui habite dans un immeuble comme celui là, il est seul. Après, on voit que les gens ne sont pas assez informés. L’Adil, qui renseigne autant les propriétaires que les locataires, constate que l’information n’est pas suffisante. On a mis en place depuis plus de 15 ans les « Espace Info Energie », mais les gens qui bénéficient de ce dispositif sont plutôt des propriétaires ou des gens qui ont les moyens, donc il y a des lacunes. Sur les gens plutôt pauvres, beaucoup ne se manifestent pas, ils se replient souvent sur eux mêmes. Il faut donc multiplier les dispositifs pour toucher le maximum de personnes. Il y a des choses qui existent, mais on ne va pas souvent au bout », déplore-t-elle.
Des initiatives multiplesPourtant, des projets sont en cours en Aquitaine. Dans un plan d’action concret, l’Ademe a prévu de « soutenir et de contribuer au Réseau Préca Energie », créer un module de sensibilisation des nouveaux élus (notamment au niveau du Conseil départemental, garant du budget consacré à la précarité énergétique, qu’il appelle d’ailleurs poétiquement la « lutte contre l’habitat indigne), réalisation d’un petit film qui valoriserait les actions locales, récupération de matériaux de construction et équipement avant mise au rebus par les entreprises du bâtiment et les distributeurs ou encore la mise en place d’opérations d’auto-réhabilitations accompagnées. Autre idée qui n’est encore qu’à l’Etat de projet : l’intervention de la mutualité chez les particuliers pour un diagnostic qui ferait le lien entre la précarité et la santé (allergies dues aux moisissures, ect.) et prendrait contact avec un médecin généraliste pour une ordonnance personnalisé en fonction des cas et des situations. Elle pourrait voir le jour avant la fin de l’année 2015.
L’Aquitaine pourrait aussi prendre exemple sur ce qui se fait ailleurs. Récemment, une start-up américaine, « Gridmates », a lancé un site collaboratif qui permet à des particuliers de donner un peu de leur électricité pour rééquilibrer la balance. Au Royaume-Uni, des praticiens peuvent désormais délivrer des certificats permettant à des patients dont la maladie est liée au logement de réaliser des travaux chez eux. Ce problème concerne d’autant plus la région que la précarité énergétique a tendance à fortement s’accentuer dans les communes rurales, qui ont moins de moyens pour s’armer des dispositifs préventifs. L’Insee devrait se pencher sur ce phénomène et apporter des données plus récentes (qui correspondent au nouveau recensement démographique) dans les prochains jours. En attendant, sur les 7 millions de ménages français en situation de précarité énergétique, 3,8 millions seraient toujours en situation d’impayés.