C’est une opération peu commune dans laquelle s’est engagée la métropole de Bordeaux ce vendredi 31 mars. Lancée en grande pompe, une opération de mécénat d’un nouveau genre a été présentée en détails : celle de la restauration du pont de pierre. Selon le discours officiel, c’est une des premières collectivités à se lancer dans la démarche. Autant dire qu’elle compte faire les choses dans les règles : une « charte éthique » a été adoptée en janvier dernier et un comité de pilotage sera chargé de vérifier que tout soit fait conformément à la loi. Pour cette opération de renforcement, qui fait suite à plusieurs autres opérations de rénovation (entre 1992 et 1996 mais aussi en 2002), la municipalité a estimé la première phase des travaux à 11 770 500 euros hors taxe. Elle a déjà fixé un calendrier : entre fin mai et l’été 2018. À noter qu’un second renforcement des piles est prévu par la suite en plus de cette première mise en oeuvre.
Un don scruté
Pour le maire de Bordeaux, Alain Juppé, cet « appel à la générosité publique » est évidemment une aubaine, « considérant les contraintes budgétaires de plus en plus prégnantes auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales ». « C’est une solution avantageuse, et pas seulement pour une question purement financière », a-t-il souligné. « C’est un moyen d’associer la société civile et les partenaires privés à un projet collectif ». Parallèlement, une grande campagne de communication (baptisée « Tous sur le pont ») compte bien sensibiliser le public à la question. Pour Bordeaux Métropole, l’objectif initial est clair : couvrir, grâce au mécénat, 10% de la somme totale du coût des travaux, soit un peu plus d’un million d’euros.
Concrètement, le don effectué par un particulier ou un privé dans cette campagne de mécénat peut, comme souvent, prendre plusieurs formes différentes : financier, en nature ou en compétences. Plusieurs partenaires se sont déjà joints à l’initiative. Pour la librairie Mollat et La Toque Cuivrée, ce sera un mécénat de compétences : l’un en réalisant un reportage vidéo pour permettre au public de suivre le chantier, le second en commercialisant une boite de cannelés (!) à l’effigie du Pont qui sera vendue pendant tout la durée des travaux, chaque boîte vendue donnant lieu à un reversement d’1,50 euros à la métropole. Le promoteur immobilier Altarea Cogedim, lui, va donner de sa poche, « quelques dizaines de milliers d’euros ». La compagnie de croisière fluviale Bordeaux River Cruise, elle, proposera des ballades pour découvrir le chantier. Enfin, précisons que cette campagne donne droit à un crédit d’impôt à hauteur de 60% pour les entreprises, 66% pour les particuliers assujettis à l’impôt sur le revenu et 75% pour ceux payant l’ISF.
« En toute transparence »
En regardant d’un peu plus prêt la charte éthique en question (deux pages), on se rend compte à quel point Bordeaux Métropole a pris ses précautions, notamment dans l’onglet 12 : « intégrité, conflits d’intérêts et transparence ». « Bordeaux Métropole veille à ce que ses agents n’entretiennent avec les mécènes aucun rapport susceptible de les conduire à méconnaître leurs obligations de discrétion, de probité et de neutralité », peut-on y lire noir sur blanc, en plus de l’annonce de la mise en oeuvre d’un compte rendu de délégation annuel en conseil de métropole. Si cette opération est d’envergure, elle n’est pas la seule à recourir au mécénat pour participer à son financement parmi les 28 communes de la métropole. En effet, en février dernier, la ville de Pessac y avait aussi recours en lançant une « mission mécénat » (après un vote du cadre en novembre au conseil municipal) avec pour objectif minimum 1000 euros par projet, soit 12 000 euros en fourchette basse. Interrogé sur cette question, Alain Juppé tempère. « Bien sûr qu’on est un peu dans une forme de compétition, toutes les collectivités sont confrontées aux mêmes difficultés. C’est normal qu’elles cherchent à recourir au mécénat ».
La parole est visiblement décomplexée et se base sur des chiffres nationaux édifiants : un mécénat des entreprises évalué à 3,5 milliards d’euros en 2015 (dont 97% provenant des TPE et des PME) et 2,2 milliards pour les particuliers (pour près d’un français sur deux donateur). Du côté de l’opposition socialiste, dans un communiqué sous forme de tribune, l’élu départemental PS Mathieu Rouveyre dénonce. « Alain Juppé, qui a vidé les caisses de la Ville et de la Métropole en finançant ses projets pharaoniques fait l’aumône aujourd’hui aux habitants de la métropole pour trouver de l’argent. Faut-il s’attendre à ce qu’Alain Juppé demande demain aux Bordelais, dont les impôts locaux sont déjà excessifs, qu’ils financent par souscription la construction d’écoles ou le fonctionnement des transports urbains ? Cet appel aux dons prouve que la Ville et la Métropole sont financièrement très malades : elles n’ont même plus la capacité d’autofinancement suffisante pour leur permettre d’emprunter la totalité de la somme nécessaire », écrit-il. Dans cette lettre, l’élu demande également la réalisation rapide d’un audit externe pour « examiner en toute transparence les comptes » et ainsi « mesurer l’ampleur des dégâts ».