La Gironde et son souci des « fractures »


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 10/01/2019 PAR Romain Béteille

Tête d’affiche

« Fracture ou faille, ça s’écarte. Il y a de plus en plus de français sur le bord de la route et qu’on est obligés d’assister tandis que l’autre France est de plus en plus taxée pour permettre d’aider les premiers. C’est un système diabolique », disait Jacques Chirac dans un débat face à Lionel Jospin en 1995. Le mot fracture et le besoin de lutter contre ont sans doute été les deux marqueurs des voeux à la presse formulés ce jeudi 10 janvier par le président du Conseil départemental de la Gironde, Jean-Luc Gleyze, qui s’est par ailleurs montré inquiet des conflits sociaux qui traversent la France depuis le mois de novembre dernier. Situation qui a été marquée par la mobilisation encore importante, constatée samedi dernier, à Bordeaux. « Il y a une vraie inquiétude pour nous et un besoin de réponses essentiel ». Le contexte est en effet particulièrement incertain à l’aube de nouvelles manifestations des gilets jaunes annoncées pour ce samedi, un grand débat national aux contours houleux et un mic-mac manifeste autour des critères du retrait de la taxe d’habitation.

Pour Jean-Luc Gleyze, les collectivités locales auront aussi leur rôle à jouer dans les semaines à venir. « Le grand débat devra permettre au moins de capter des revendications de façon plus précise, avec la difficulté de l’hétérogénéïté de ce qui est demandé. Le vrai sujet pour le gouvernement sera de ne pas faire naître un faux espoir. D’autres acteurs pourraient être concernés sur les réponses à apporter, d’où l’importance des corps intermédiaires. Si on donne les moyens à ces collectivités de réaliser correctement leurs politiques publiques, c’est sans doute le meilleur moyen de répondre, chacun à son niveau, aux préoccupations de nos concitoyens en fonction des compétences qui nous sont données par la loi ». Le refus du jacobinisme n’est pas nouveau pour celui qui pilote le département depuis désormais quatre ans : il a déjà plaidé en faveur de la décentralisation à de nombreuses reprises, tout comme il a renvoyé l’Etat à ses responsabilités concernant certaines aides sociales (les allocations individuelles de solidarité).

Solidarités territoriales

Il est vrai qu’en décembre dernier, la Gironde a voté un budget de 1,78 millions d’euros, en hausse de +5,3% par rapport à 2018, avec 956 millions d’euros réservés aux dépenses sociales. « Nous avons déjà quatre ans de mandat derrière nous, il nous reste deux ans, c’est sans doute l’occasion pour nous d’aller au plus près de nos concitoyens pour échanger avec eux sur ce que nous avons déjà mis en oeuvre et ce que nous pourrions faire. Les incertitudes restent nombreuses, notamment concernant la réforme de la fiscalité (taxe pour les communes, taxe foncier bâti) ou le pacte financier sur lequel nous sommes toujours en demande auprès de l’Assemblée des Départements de France. Pour autant, face à ce qu’il dénonce comme des « fractures sociales et territoriales », Jean-Luc Gleyze ne dévie pas de sa ligne habituelle. « Les fractures sociales sont aussi l’expression de ceux qui sont dans la très grande pauvreté mais aussi de ceux qui travaillent et qui n’arrivent pas à vivre plutôt qu’à survivre. Je pense aux agriculteurs n’arrivant pas à tirer un revenu décent de leur exploitation, aux artisans, à ces personnes qui sont obligées de mettre en parenthèse leur parcours professionnel pour devenir aidant d’une personne handicapée et d’une personne âgée. L’action sociale, en dehors des allocations elles-mêmes, nécessite aussi un coût important », a-t-il notamment déclaré.

L’exercice n’a pas épargné un ping-pong local. Après qu’Alain Juppé se soit plié au même exercice un jour plus tôt et ait orienté le débat vers la tenue d’assises territoriales, le président du département ne s’est pas totalement fermé à la démarche, à une condition. « C’est une bonne nouvelle, je ne sais pas si c’est une prise de conscience ou une lucidité accentuée sur cette question. Pour ce qui nous concerne, nous avons toujours été convaincus de la nécessité de travailler sur l’interdépendance des territoires et la complémentarité en évitant absolument la rupture et la fracture. C’est une proposition intéressante mais il y a un prérecquis à toute démarche d’acceptation de ma part : que le président de Bordeaux métropole se prononce clairement contre la métropolisation. Je ne peux pas envisager de réfléchir à l’interdépendance des territoires si cette dernière est encore à l’ordre du jour. Dans ce cas, la Région et le département seront d’accord pour, en pilotage partagé, travailler sur cette interdépendance que nous pratiquons déjà » (et l’élu de citer la convention partenariale déjà passée dans le cadre de la loi NOTRe ou les accords signés avec plusieurs villes comme Eysines, Bordeaux ou Lormont). « Ce qu’il faudrait encourager, c’est l’accentuation de cette collaboration, et non pas la fracture des territoires entre eux, sinon c’est donner de l’eau au moulin des revendications des gilets jaunes ». Dans ce cadre, il a également défendu les politiques de redistribution vers les territoires : les 28 millions d’euros d’aides aux communes et intercommunalités votées dans le budget 2019, l’ouverture de nouvelles aires de co-voiturage ou encore le plan Haut-Méga, soutenu par les fonds européens, ayant été cités comme exemples aux côtés des contrats de ville d’équilibre (passés avec Libourne, La Réole et Lesparre en 2018 et prévus pour Castillon, Langon et Saint-André-de-Cubzac en 2019) et de l’initiative Solutions solidaires, dont le prochain grand rendez-vous public est prévu pour les 20 et 21 février prochain au Pin Galant de Mérignac et convoquera experts, élus et associatifs pour débattre autour de politiques de solidarité innovantes.

Gestion des bases

Enfin, un dernier dossier (et pas des moindre) est venu s’inviter à la fête, celui du revenu de base. La récente tribune d’un économiste dans Le Monde ne pouvait servir de meilleur prétexte pour en remettre une petite louche, alors même qu’un projet de loi a été déposé en octobre et qu’il devrait être mis sur la table gouvernementale le 31 janvier prochain. « Est ce que le revenu de base peut être une partie de la réponse aux préoccupations des gilets jaunes ? La question mérite d’être étudiée sous cet angle, je ne suis plus seul à le penser. En 2016, nous étions quelques utopistes inconscients dans ce département à penser qu’il fallait peut-être envisager la solidarité nationale d’une manière différente de celle pratiquée au travers du RSA. Depuis quelques mois, nous sommes dix-huit présidents de départements à porter cette expérimentation. Pas de certitude ni de dogme, mais le gouvernement semble désormais s’intéresser à cette expérimentation », a poursuivi Jean-Luc Gleyze, en profitant pour annoncer une rencontre proche avec la nouvelle secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé (la girondine Christelle Dubos) aux côtés d’autres présidents de département pour évoquer cette potentielle démarche d’expérimentation. Si la feuille de route semble donc tracée, bien qu’incertaine, le chemin de la collectivité pour 2019 reste encore long.

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