@qui!: Après le sondage Louis Harris, pour la Gazette des communes qui révèle que c’est d’abord sur le terrain de l’économie et de l’emploi que les français attendent des résultats de la part de leur Maire, pouvez-nous dire, alors que justement les Maires n’ont pas de compétence en la matière, quelle est leur voix en termes d’économie et d’emploi? Comment une commune, dans le cadre de ses compétences et demain, une commune élargie, une métropole, peut contribuer autrement que par le jeu classique de la Mission locale, à créer de l’emploi? Comment le Maire peut-il agir concrètement sur ce terrain ?
Vincent Feltesse : D’abord, pour vous répondre, je prends ma casquette d’ancien élève d’HEC et d’ancien Maire de Blanquefort qui a bien vu, sur le dossier Ford, que finalement rien n’est jamais impossible. On a un seul exemple en Europe d’un grand groupe qui devait se séparer d’une usine, auquel on arrive à faire revendre cette usine, puis, qui s’apercevant que le repreneur n’est pas fiable, choisit de réinvestir dans cette usine. Au total, on nous a prédit 10 fois la mort de cette usine… Et même si tout n’est pas parfait, on a quand même préservé 1000 emplois industriels et des compétences. Et ce n’est absolument pas anodin. Ce que je retiens de cette expérience, c’est qu’un Maire a quand même une capacité à mobiliser et à faciliter les choses pour les entrepreneurs eux-mêmes. Mobiliser, c’est à dire que le maire a un rôle d’agrégateur des talents, de mise en relations avec l’Université, avec des sous-traitants, avec la Métropole dont je vais reparler, avec la Région, avec la CUB. Il peut faire en sorte que tout le monde se mette autour de la table. Ca peut paraître bête mais c’est loin d’être anodin.
Si je prends ma casquette de Président de la CUB, Chantier Naval de Bordeaux est l’exemple typique. C’est une entreprise qui a un plan de croissance, puisque les catamarans de luxe se vendent plutôt bien. Mais c’est une entreprise qui n’arrivait pas à croître puisqu’elle avait un certain nombre de contraintes notamment sur le foncier immédiat, le risque inondation, etc. C’était un peu désespérant pour la direction de CNB, qui subissait en plus l’espèce de jeu de ping-pong qu’on connaît bien entre les administrations, la Préfecture, la CUB, la Mairie, le Port et ainsi de suite. A un moment, c’est moi, en tant que Président de la Cub, qui met tout le monde autour de la table pour faciliter la prise de décision et permettre ensuite à l’entreprise de se développer. On a donc aussi ce rôle de mettre en relation l’entreprise avec les uns et les autres et d’enlever tout ce qui frotte dans la croissance de l’entreprise, de supprimer les uns après les autres, des obstacles qui peuvent être très opérationnels: un permis de construire, l’accès au très haut débit, l’accès au crédit, l’accès à la recherche, l’accès à la formation professionnelle… Quand vous discutez avec C-discount et que vous leur demandez : «Qu’est-ce qui vous empêche de croître encore plus?», ils ne vous parlent pas d’Amazon, ils ne vous parlent pas de problèmes de financements. Il parle du bassin d’emplois qui n’est pas suffisant pour eux: «Il n’y a pas suffisamment de gens qui sont formés par rapport à nos besoins». Une fois qu’on nous a dit ça, nous qui avons la capacité de discuter avec la Région et l’université entre autres, on voit comment on peut avoir un plan de charge en terme de formation.
Le maire aménageur
Le deuxième point, qui est absolument fondamental, surtout à Bordeaux, c’est qu’un Maire, c’est un aménageur. C’est à dire que le Maire c’est celui qui signe les permis de construire, celui qui donne une vision pour l’aménagement de sa ville. Et aujourd’hui la particularité à Bordeaux c’est qu’on est dans un agglomération qui crée de l’emploi. Jamais assez, mais qui crée de l’emploi. La Région Aquitaine, c’est 4000 emplois nets créés ces dernières années. Sur les 4000 emplois nets, 3000 sont sur la métropole bordelaise. On est sur un territoire qui a la chance de créer de l’emploi, ce qui est un peu le résultat des politiques régionales menées depuis quelques années, du travail sur l’Université, sur la ligne grande vitesse, etc… Cette attractivité on l’a, cette structuration en termes de filière on l’a, maintenant la question qui est fondamentale pour Bordeaux c’est comment on aménage la ville.
Moi, je considère que l’aménagement de la ville, aujourd’hui, à Bordeaux, est monomaniaque autour de la question du tertiaire: tertiaire commerce, tertiaire supérieur, tertiaire bureau, Euratlantique et ainsi de suite… Nous, notre ambition, comme dans d’autres grandes villes, c’est de ne pas permettre que l’installation de bureaux, en plus à un prix de location très important. Donc, dans mon plan de développement de l’emploi sur Bordeaux, il y a comment j’aménage la ville en termes économiques. Si on reprend les secteurs, du coté du Bassin à Flots, il y a bien sûr la filière nautique avec le refit. Derrière la Base sous-marine on a l’objectif de faire remonter une filière machinisme viti-vinicole qui a disparu ces dernières années. Il y a tout l’enjeu de Bordeaux-Nord du côté du Lac qui est extrêmement important, où on a des centaines d’hectares semi-publics avec deux lignes de tramway et la proximité de la rocade, qui est un enjeu très important. Il y a le secteur de Brazza, où on pense qu’il faut mettre de l’artisanat, il y a l’hyper-centre, où on est sur l’industrie du design avec un savoir faire sur le luxe. Dans l’hyper-centre toujours, on peut encore monter en puissance sur le tourisme. Sur tout le secteur de l’hôpital, Carrère et ainsi de suite, on peut développer l’économie de la santé, la « silver économie », l’économie du bien être, sans oublier la question de la reconversion du secteur du Tondu. Il y a tout le secteur Euratlantique avec effectivement le tertiaire supérieur plutôt du côté Belcier, mais on a aussi de l’autre côté, le projet de ce que j’appelle le «nouveau quartier latin». Là on est plutôt sur l’économie créative au sens large avec une partie université, notre projet de médiathèque ouverte 24h sur 24, l’hybridation avec les acteurs culturels, l’idée de faire venir aussi Arc-en-rêve et l’école d’architecture et mettre à jour tout ce savoir-faire qu’on a sur Bordeaux mais qui est aujourd’hui sous-terrain. En terme de BD, on est bien placé, en terme de jeux vidéo, on est bien placé, mais on n’a pas du tout l’image d’une ville dynamique.
Et il faut aussi que Bordeaux apprenne à vivre avec le reste de l’écosystème de la métropole. Le numérique, il peut être dans le secteur des Bassins à flot avec C-Discount, mais aussi avec la Cité Numérique de Bègles et remonter sur Bordeaux-Unitec. La question de l’industrie nautique peut remonter du côté de Bassens. Il y a le sujet de l’aéronautique qui est à la fois sur l’Aéroparc, l’AIA (Atelier Industriel de l’Aéronautique de Bordeaux) qui a une entrée sur Floirac, mais qui est au deux tiers sur Bordeaux, et qui a une capacité de développement derrière l’Aérocampus.
@!: Autrement dit vous comptez mettre en évidence la nécessité de faire apparaître les forces et le potentiel d’un développement économique industriel notamment, mais pas exclusivement, et qui à vos yeux n’apparaît pas suffisamment ?
V.F. : Oui, exactement. Tout cela c’est l’axe 2 de mon programme «De la ville patrimoine à la ville création». Mais sur la question de l’emploi il y a aussi des choses plus terre-à-terre: comment on développe le commerce de proximité, parce qu’on sait que ça crée plus d’emplois que les hypermarchés en périphérie, c’est toute la politique foncière qu’on a en place, c’est faire le choix dans les marchés de BTP, de privilégier le système d’allotissement qui fait plutôt travailler les acteurs locaux, plutôt que des PPP (Partenariats Public Privé, ndlr) qui profitent à quelques grands groupes et qui pressurisent la sous-traitance locale…
Euratlantique: des délocalisations internes pour l’instant
@!: Vous évoquiez Euratlantique: est-ce que le vrai démarrage ce sera l’arrivée de la LGV? ll subsiste de vraies interrogations à ce jour ? Comment, et quand cela va-t-il décoller ?
V.F. : Aujourd’hui ça a déjà en partie décollé; il faut se rappeler du calendrier. Euratlantique la décision politique c’est septembre 2008, la mise en place de la structure, c’est à peu près 2010, donc on est juste 4 ans après. Je dis ça parce que quand on regarde la durée des dossiers économiques, on sait que ça met du temps. Aujourd’hui on a 50 000m2 de bureau qui ont été commercialisés sur Euratlantique. L’immeuble « Prélude » qui a lui aussi été commercialisé. Au total, Euratlantique, même si j’entends bien les interrogations sur le rythme, je pense qu’on est dans le bon rythme. En revanche, la vraie interrogation qu’on a, c’est quel est l’équilibre entre les emplois endogènes et les emplois exogènes. Et là, pour l’instant, tous les dizaines de milliers de mètres carré de bureau, ce sont plutôt des délocalisations internes à la métropole bordelaise. En même temps, c’est un phénomène habituel dans les grandes opérations d’aménagement; l’amorçage de la pompe se fait plutôt intra-muros et quand la dynamique est partie, on arrive à attraper de l’extra-muros.
De toute façon, même si cette campagne a un coté frustrant car on a parfois l’impression que les débats ne sont pas assez creusés, pas assez présents, la question de l’emploi et de l’économie c’est la question fondamentale des années qui viennent pour deux raisons. D’abord, c’est la préoccupation première des françaises et des français et ensuite parce qu’on est dans un territoire géographique et dynamique. Or ces gens qui arrivent, on leur fait faire quoi? Mais là je mélange un peu mes deux casquettes, candidat à la mairie et président de la Cub. En tant que Président de la cub, j’ai un discours très clair, le nouvel horizon de la Métropole, c’est la question de l’emploi. On a beaucoup travaillé sur la question de la mobilité. C’est un sujet sans fin, il faut toujours en faire plus, mais en tout cas on l’a traité. On a beaucoup travaillé depuis 2005-2006 sur la question de l’habitation, avec la multiplication par deux de la production de logements. Tout ça a permis que l’image de la Métropole ait changé, le troisième grand sujet c’est comment on va plus loin sur la question de l’emploi et de l’économie.
Si la Cub reste à gauche…
@! : Demain, la Cub reste à gauche, vous serez bien le candidat de la gauche à la présidence de la communauté urbaine ?
V.F. : C’est ce qu’ont dit tous les leaders socialistes à Cenon il y a dix jours, ainsi que tous les présidents de groupes. La réponse est oui.
@!: Sur la cogestion, il y a dans votre ouvrage cette affirmation selon laquelle la cogestion a permis tout ce qui s’est passé à Bordeaux, mais pour autant, une autre affirmation qui est de dire, si on lit entre les lignes «si je veux être maire de Bordeaux, c’est parce que la cogestion a vraiment ses limites et pour faire progresser le tout, la Métropole». Donc, pour vous, être Maire de Bordeaux, permettrait une cohésion de l’action qui rende plus efficace la métropolisation. C’est bien ça ?
V.F. : Oui, c’est à peu près ça. Il faut d’abord noter, si l’on fait des comparaisons, qu’on n’a pas du tout le même degré d’intégration à Bordeaux qu’à Lyon, compétence culturelle, sportive, enseignement supérieur recherche,…. On l’a pas pour une certaine raison qui est cette limite de la cogestion puisqu’il y a toujours eu une hostilité de certains maires, plutôt de droite, à ce que la Cub prenne de nouvelles compétences. Moi je pense que nous sommes maintenant à un moment de bascule. En plus, depuis 2 ans, on a des chicayas un peu ridicules entre la ville centre et la communauté urbaine, à un moment où, au contraire, on devrait être beaucoup plus vertueux dans la gestion financière,on a eu des histoires de portails de médiathèque, de marathon, de bleue cub, de propreté,… Après sur la cogestion la différence du discours entre Juppé et moi, c’est que lui dit «la cogestion prime sur tout le reste» Peu importe le projet, peu importe ce qu’on a présenté aux électeurs… Aujourd’hui la plateforme de gauche, n’est pas pareille que la plate-forme de droite: on n’a pas les mêmes options sur le tramway, pas les mêmes options sur l’établissement public foncier, pas les mêmes options sur les compétences,… Lui il dit: «de toutes façon une fois que les municipales sont passés, les Maires doivent se retrouver entre eux et faire le programme de la mandature». Moi je dis que compte tenu de l’émergence du phénomène métropolitain, je pense que le programme de la mandature, doit se faire autour du programme de la majorité. C’est ça qui me paraît nouveau. Après on verra bien, il y aura débat et ainsi de suite.
Et il faut d’ailleurs bien noter que c’est la première élection où l’enjeu de la CUB apparaît comme ça: chaque camp éprouve le besoin de faire une vraie plate-forme communautaire, les médias s’en emparent… En 2008, à gauche, on avait déjà une plate-forme communautaire, mais personne ne s’en est emparé. Cette année, il y a eu un meeting métropolitain à gauche, un meeting métropolitain à droite, donc on voit bien que c’est un nouvel enjeu politique. De ce point de vue, ça me paraît plus honnête vis à vis des électeurs et électrices de dire qu’on a chacun une position et, s’il y a une majorité de gauche, d’annoncer la direction dans laquelle on ira. Après, en ce qui me concerne, en ayant présidé de la CUB depuis 7 ans, je n’ai pas le sentiment d’avoir été un extrémiste comme président de la CUB. J’ai plutôt le sentiment, au contraire, d’avoir su préserver l’intérêt métropolitain, c’est ma marque de fabrique, mais aussi, l’intérêt des communes. Parce que Alain Juppé, réécrit un peu l’histoire de sa présidence. Il faut quand même se souvenir de l’espèce de rapport de force permanent qu il y avait entre la ville centre et la périphérie à partir de 2001.
La plus grande précarité est dans l’hyper péri-urbain
@!: Sur la Métropole émergente dans la Gironde, plus grand département de France, comment on fait cohabiter au mieux, l’émergence, la montée en puissance de cette métropole et le département dans ses fonctions de préservation de l’équilibre des territoires?
V.F. : Je pense qu’il y a deux sujets. Premièrement, il ne faut pas que la Métropole cannibalise toutes les richesses. Aujourd’hui la plus grande précarité, la plus grande pauvreté, elle est dans l’hyper péri-urbain. Je suis un élu local, mais je suis un élu de la République française, donc je ne peux pas avoir une vision totalement égoïste du développement de la France. Deuxième point, il y a aussi une réalité au niveau de la Communauté urbaine qui est qu’il ne faut pas non plus que la répartition de compétences entrave le développement de la Métropole. Mais dans la loi Métropole il y a trois choses qu’on va devoir ré-articuler: les rapports avec les communes, les rapports avec le département, les rapports avec la Région. Je pense que l’enjeu principal pour nous, c’est d’abord de voir comment on ré-articule les rapports avec les communes. Puisque les compétences n’ont pas bougé à un moment de raréfaction de l’argent public, la CUB joue bien ce rôle de «bouclier des communes». Avec les départements, comme on n’a pas du tout le même degré d’intégration que la Communauté urbaine de Lyon, honnêtement, je ne vois pas l’intérêt pour nous de prendre la compétence sociale au quotidien. On va se noyer et se disperser par rapport à la dynamique et par rapport à l’intégration. Et il y a un troisième acteur avec lequel on va travailler, avec les contrats Etat-Région, c’est la Région; sur les sujets enseignement supérieur, recherche, économie, on voit bien que le phénomène métropolitain a émergé ces derniers temps. Donc, il faut qu’on trouve une articulation intelligente entre la Région et la CUB. Mais je pense que c’est contre-productif de vouloir faire que demain, la Métropole se mette à gérer le social au quotidien. C’est pas ça l’enjeu à Bordeaux ou dans la Métropole aujourd’hui. Peut être dans 15 ans, mais aujourd’hui en tous cas, non, ça ne l’est pas.
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