Voilà un document que le Président de la région Nouvelle-Aquitaine, toujours aussi engagé pour la réouverture de la ligne Pau – Canfranc, se fera un plaisir certain à dégainer face aux sceptiques et détracteurs, encore nombreux, du projet ferroviaire. Et pour cause, parmi les enjeux que ce Livre Blanc, commandé par la Nouvelle-Aquitaine et l’Aragon et financé à 65% par l’Union européenne, révèlent, reviennent ceux qu’Alain Rousset met régulièrement en avant quand il s’agit de prendre la défense du projet. Des enjeux à la fois économiques, touristiques, environnementaux, culturels et patrimoniaux.
« Pas de projets alternatifs possibles »
Sur la culture et le patrimoine, le lien est fait avec l’histoire de cette ligne, depuis sa construction par des milliers de français et d’aragonais au début du 20ème siècle, jusqu’à l’accident qui entraîna sa fermeture, en 1970. Mais aussi, avec l’infrastructure ferroviaire en elle-même, qui est encore globalement « dans un état incroyable », souligne Alain Rousset.
Autre enjeu mis en avant : le transport de voyageurs « Jusqu’à 300 000 personnes pourraient emprunter cette ligne », dévoile-t-il, ciblant notamment ici le tourisme grâce à « la beauté des paysage », ou encore « aux 3 stations de ski que la ligne dessert ». Enfin, tout comme le Livre Blanc, il n’oublie pas de citer l’enjeu économique et environnemental du fret, dénonçant à l’heure actuelle « un camion toutes les 30 secondes sur la route du Somport ». Le transport de marchandises, un sujet important aussi pour José Luis Soro, qui estime quant à lui que « la ligne permettrait de sortir quelques 200 camions de la route chaque jour ».
En lien avec la question du développement économique et social, « c’est aussi une opportunité d’un point de vue industriel et de la revitalisation de la vallée », ajoute encore Alain Rousset.
Des enjeux auxquels selon lui, ne peut répondre l’actuelle et déjà problématique RN 134, pas plus que l’hypothèse parfois évoquée de son élargissement en une deux fois deux voies, « qui reviendrait à faire exploser la montagne ou couvrir le Gave », et qui présente « non seulement des obstacles socialement impensables mais aussi financièrement inaccessibles », tranche le Président de Nouvelle-Aquitaine, pour lequel clairement « Il n’y a pas de projets alternatifs possibles ». Par ailleurs prime ici aussi, « l’enjeu européen, plus que franco-espagnol, de la création d’un couloir de fret » par cette ligne, assurent d’une même voix Alain Rousset et José Luis Soro. « C’est pour cela que nous avons l’appui sans discontinuité de l’Europe depuis le début », insistent les deux hommes.
Donner à voir la Vallée d’Aspe après 2025
Mais au-delà de la longues liste des seuls enjeux, qui à eux seuls parfois peinent à convaincre en termes de retombées sonnantes et trébuchantes, le document du jour a aussi pour objectif de démontrer selon les termes du ministre régional d’Aragon, que « ce projet de réouverture de la ligne jusqu’à Canfranc n’est pas un projet romantique, mais bien réaliste ».
Pour ce faire, sont développés différentes pistes concrètes, visant « à maximiser la soutenabilité économique du projet ». Et, détail d’importance, de faire naître, au-delà des questions de pures infrastructures, « un projet de territoire ». Une manière de donner à voir ce que pourrait être la Vallée d’Aspe à partir de 2025, date pour l’heure annoncée de la remise en service des trains sur la voie. Une voie imaginée comme un axe structurel du développement à venir.
A ce titre, au-delà du simple transport de voyageurs, c’est bien le levier du tourisme qui est fortement actionné, et ce dans une double dimension. « Le train peut être à la fois un élément structurant pour le développement touristique en vallée d’Aspe, et un élément, un produit touristique en lui-même ». En d’autres termes en matière d’activités touristiques, le train est à la fois un moyen et une fin. Un moyen, d’abord, permettant de développer par exemple le fameux « tourisme des 4 saisons », en facilitant l’accès aux richesses environnementales et paysagère de la Vallée d’Aspe été comme hiver, ou encore d’accompagner le développement de projets déjà lancés à l’instar de celui du Fort du Portalet dont la réouverture est prévue pour 2020. Selon le Livre Blanc, « les professionnels du tourisme estiment pouvoir capter jusqu’à 60 000 visiteurs par an, contre 6 000 aujourd’hui ». A condition encore, précise-t-il, d’organiser au mieux l’accueil de ces touristes.
Un train de tourisme, et de dessertes
Quant au train comme produit touristique en lui-même, les exemples inspirants ne manquent pas, en France comme ailleurs en Europe. Le Trains des Hirondelles dans le Jura, le Bernina Express en Suisse ou encore le Trains des Châteaux en Italie, sont autant d’exemple de trains touristiques cité par le document. Ils rassemblent dans un « package touristique », le train, mais aussi la visite de sites touristiques ou naturels, un déjeuner au restaurant, la visite chez un producteur, la présence de guides ou audi guide à bord du train, etc… Le tout en assurant la desserte des populations. « Ce sont des formules qui permettent d’améliorer la rentabilité du territoire tout en faisant du train un élément intégrateur de ce territoire », souligne notamment Marc Barrau, chef de projet du Livre Blanc, consultant chez Trans-Missions.
Mais une telle hypothèse nécessite des coordinations et échanges indispensables entre les divers acteurs du territoire. L’objectif étant que chacun puisse valoriser ses activités et ses savoir-faire à travers la visibilité que leur offre le train touristique. Mais, en pratique, la première étape à tout ce chambardement touristique à venir (ou à tout le moins espéré…) est d’« établir un bassin touristique commun et trans-national, avec les régions comme autorités porteuses du projet ferroviaire ». Des régions qui devront aussi se faire facilitatrices et accompagnatrices des différents projets locaux pouvant émerger. La réunion de ce mercredi a ainsi poser un premier temps d’échange et de prise de conscience du travail à enclencher sur ce territoire, et ce dès 2020 pour que les projets soient le plus aboutis possibles à l’arrivée du premier « Train des Pyrénées » en gare de Bedous destination Canfranc.
Le pari du fret… mais pas sans réorganisation
L’autre levier principal à la réouverture de la ligne est sans surprise le levier fret. « Outre ses qualités écologiques, le trafic de marchandises permet également de garantir des revenus supplémentaires via les péages d’infrastructure améliorant dès lors la rentabilité économique du projet », pose d’entrée le Livre Blanc. Quant au trafic potentiel, au regard des différents acteurs et équipements du territoire, il pourrait être principalement porté par l’industrie céréalière et agricole ainsi que l’automobile, avec un volume total de trafic compris entre 1,5 et 2 millions de tonnes par an, soit 60 000 à 80 000 poids-lourds par an, sortis des routes, et principalement de la RN 134, « véritable route de montagne au sud d’Accous », souligne le maire de Bedous qui chaque jour compte non seulement les camions, mais aussi les transports de matières dangereuses, en se souvenant de l’accident mortel et facteur d’une pollution importante à l’été 2018.
Pour réussir le pari du fret, le document propose trois orientations stratégiques à mettre en œuvre, mais qui, là encore, se subordonnent à une coordination de l’ensemble des acteurs. Le premier axe invite à travailler à « un accompagnement pour la transformation de la supply chain » afin de mutualiser et faire émerger des logiques collaboratives entre chargeurs, prestataires logistiques et clients finaux. Deuxième axe du plan d’action suggéré par le Livre Blanc : « pérenniser et développer les activités de distribution et de collecte ferroviaire locales », avec l’aide notamment d’un schéma régional du fret établi par les deux régions.
Enfin, une troisième orientation vise à « encadrer le développement des pôles multimodaux logistiques ». Une logique de transport combiné, qui rejoint une remarque plusieurs fois répétée par divers intervenants, qu’ils soient élus locaux, ou associations engagées pour la réouverture de la ligne : « C’est fini la promotion du tout routier. Pour autant on ne va pas se passer de la route… la route et le fer sont complémentaires. Que ce soit pour le fret et le tourisme, il faut jouer la carte de l’intermodalité ».